Rester là, assise devant ces objets. M’imprégner de la douceur et du mystère.
La première chose que j’ai envie de faire est de capturer, avec un filet magique, cette lumière. Je me contenterai d'un appareil photo. Ni douce ni tranchante, elle épouse l’espace de l’œuvre, elle est l’œuvre. Elle ne révèle pas, elle se révèle à moi et m’émeut. Le plasticien travaille avec précision ces chromatismes et ne laisse rien au hasard : lumière subtilement orientée vers le bois, le blanc, le vide. Sa lumière n’éclaire pas, elle vit, s’incarne, se pose majestueusement.
Bill Culbert est un des premiers, dans le début des années 1960, à essayer de construire de l'art électrique, de plutôt basse consommation, grâce à des tubes fluorescents.
Le déchet est toujours vivant
Une architecture feutrée, des pots jonchés au sol, litres vides, évaporés. Flotsam jugs (2014) fait écho aux problèmes que rencontre notre société au niveau du climat. L’artiste surfe avec minimalisme sur les vagues d’objets que fabriquent notre société au fil du temps, utilisant la récupération d'objets dans les décharges, et leur transformation en oeuvre, ou en objet de design intérieur.
Au milieu de cela, des photographies indiquent à quel point le déchet, l’objet utilisé, jeté dans une décharge à ciel ouvert, est toujours vivant.
Ainsi, il évoque l'objet plastique et sa provenance, son devenir, l'esthétisme ou la perte de valeur qui lui sont associés dans notre société. L’artiste laisse cependant le soin au regardeur de comprendre ce qu’il voit, son positionnement restant énigmatique.
Immersive et contemplative
En parallèle à ces impressions, on ressent vite que le plus important de ses installations est la sensibilité qu'y a mis l'artiste.
Quelle est cette absence qui rend si touchant le travail de Bill Culbert?
Le sens de ses œuvres se décline dans la palette du sensible, chaque expérience perceptive étant immersive et contemplative à la fois.
C’est cette activité, cette mise en contraste qu’il instigue, construisant sa maison avec des branches de lumière artificielle, dans Hut (2014).
...Le voyage continue. Au creux d’une valise jusqu’à sa destination, n’oublions pas que la lumière peut aller partout.
J’arrive dans une pièce au sol sombre et quadrillée, une table de verre est étirée parterre, un espace, qui dût être convivial, ou des gens ont pu se retrouver. Je suis en présence d’une absence. Un vide que l’artiste présente par la translucidité des verres. L’imaginaire est extraterrestre, il suggère que l’on a bu dans des petits verres, mais ce sont en fait des verres à moutardes et à anchois. (Anchois et moutarde, 1990)
Décalage un peu absurde
La lumière a parfois quelque chose de brut, de tortueux : les tubes perchés se croisent et forment des croix, la lumière veut barrer. L’artificiel n’est pas caché, les fils apparents serpentent et marquent une représentation de nos villes, faites d’énergie, de matériaux polluants et de parasites. (Central Station, 1991).
Dans une phase plus expérimentale, on est dans la forme, le jeu des harmonies couleur/lumière. Des installations apparaissent carrées, polies, jouant sur la frontière si ténue entre objets de design et œuvre d’art. (Colour theory, 1991)
Dans un décalage un peu absurde, Bill s'amuse avec ses supports et délivre l'émotion de l'objet: l’architecture de lumière, et la vieille table d’un autre temps collée au mur abritant une lampe.
Des chaises et des tables tombent du plafond, le tube de lumière incandescent s’étire vers le haut.
Les installations aspirent celui qui les regarde dans une drôle d’énigme.
Le vide, le trop plein.
Le neuf, le vieux.
Comment réfléchir au monde sinon en observant les témoins du temps ?