La huitième femme de Barbe bleue ?

Figure bisontine et franc-comtoise, la psychanalyste et écrivain Michèle Faivre-Jussiaux (1947-2010) n'a cessé de chercher à mettre au jour ce qui fait l'humain en mariant la finesse de l'analyse à l'élégance de l'écriture. Son dernier livre sort en ce moment, accompagné d'une réédition. Josette-Alice Bos les a lus et les présente pour Factuel.

Michèle Faivre-Jussiaux

Un événement : quatre ans après sa mort, Michèle Faivre-Jussiaux est toujours parmi nous. Et de belle manière : son dernier livre, Barbe bleue ou le maître des réjouissances vient d'être publié, accompagné de la ré-édition de celui qu'elle avait écrit en 1989 – et qui était épuisé : Secrets de vie, secrets de mort – Lecture d'un conte russe : Vassilissa-la très-belle. Les Éditions des crépuscules ont choisi – à juste titre – de publier en même temps ces deux écrits complémentaires.

C'est un événement pour ses lecteurs, ses amis, ses analysants et ceci pour plusieurs raisons.

Michèle Faivre-Jussiaux (1947-2010) est une figure bisontine et franc-comtoise : psychanalyste et écrivain, elle n'a cessé au long de ses écrits de chercher à mettre au jour ce qui fait l'humain en mariant la finesse de l'analyse à l'élégance de l'écriture. Sa personnalité a été une richesse pour tous.

Courageuse et engagée, elle avait défrayé la chronique en 1979 en publiant, avec Édith Lombardi, La Malate, un hôpital psychiatrique très ordinaire. Livre argumenté et bien écrit qui aura un impact certain sur la situation d'un établissement franc-comtois, et qui gagnerait à être relu dans le contexte actuel de dégradation de la politique de santé mentale.

Poète dès l'âge de 16 ans et publiée à 25 ans avec le recueil À cri ouvert (Seghers), Michèle Faivre-Jussiaux a écrit, en plus de nombreux articles psychanalytiques, plusieurs textes majeurs dont les titres sonnent comme autant de manifestes. Elle avait reçu la reconnaissance de sa profession avec le Prix Oedipe en 1991, pour son ouvrage La voie du Loup, et passionné le grand public avec La salle d'attente de mon psychanalyste en 2008.

Relecture de contes populaires

Barbe bleue ou le maître des réjouissances, 118 pages.
Secrets de vie, secrets de mort - Lecture d'un conte russe : Vassilissa la très belle, 64 pages.
Tous deux aux Editions des crépuscules, ces ouvrages sont présentés lors d'une soirée littéraire le samedi 21 mars à 19h au restaurant Mon Loup (10, Rue Pasteur - 25000 Besançon) par François Migeot, écrivain, et Gérard Albisson, éditeur et psychanalyste. Des extraits des deux livres seront lus par Judith Migeot-Alvarado et Josette-Alice Bos. Les musiciens Fayçal Sahli et Claudio Ibarra assureront un accompagnement musical.

Avec Barbe bleue ou le maître des réjouissances, Michèle Faivre-Jussiaux revient à un genre où elle excelle, la relecture de contes populaires. À plus de 25 ans d'écart, les deux livres qui viennent d'être publiés ont cette même qualité d'écriture, poétique et sans jargon qui les rend accessibles à tout public. Ce qui n'enlève rien à la profondeur et la pertinence de l'analyse qui les sous-tend.

En interrogeant la littérature populaire, Michèle Faivre-Jussiaux établi le lien entre la vie et le rêve, entre l'imaginaire et l'inconscient. Et nous offre, sans avoir l'air d'y toucher, une connaissance renouvelée de la sagesse de ces contes.

Ainsi, l'on pourrait dire que Secrets de vie, secrets de mort nous fait entendre comment une fille accède à la féminité. Avec Barbe bleue, c'est de la liberté d'une femme qu'il s'agit, de toute femme qui veut advenir à elle-même, quelle que soit la tentation de céder à qui veut lui imposer son emprise.

Le talent de Michèle Faivre-Jussiaux est reconnu de multiples façons.

Commentant, Secrets de vie, secrets de mort, paru, en première édition aux Éditions Calligrammes, la psychanalyste Élisabeth Doisneau soulignait : "… Au fil de la lecture, croît et se dénoue la tension, au rythme du conte, dans un style qui épouse les sonorités du texte, une sorte de commentaire musical […] Psychanalyse et vraie littérature, souplesse et rigueur – un accord si rare que l'on souhaite que ce ne soit là qu'un prélude.… " (in Ornicar ? N° 48 – Le cabinet de lecture – p.121 – 1989)

Vingt cinq plus tard, Annick Bianchini confirme : "… Les chemins intérieurs sont-ils moins réels que ceux dont l'existence est attestée par des relevés précis ? Michèle Faivre-Jussiaux réécrit le conte, le fait vibrer dans toutes ses harmoniques, l'interprète. Une manière de le raconter à nouveau, d'en faire surgir le fantastique, l'inquiétante étrangeté.

Une question traverse ce conte russe, celle du regard. Le non-vu. L'histoire de Vassilissa parvient à changer, par le rêve, le visage de l'impossible, à jeter sur le récit un voile tissé avec art. C'est ce voile que Michèle Faivre-Jussiaux a essayé de soulever, ici et là, non pour voir mais pour lire.

Voici le tsar amoureux d'un voile si fin qu'une toile pareille n'a pas de prix.  Dans les doigts de Vassilissa, l'aiguille vole.  Impalpable objet.  Précieux  « à n'en pas croire les yeux ».  Vassilissa est au bout d'un voyage. Heureuse dans un rêve rêvé d'avance. Ce qui se passe dedans est là, dehors, dans le mouvement de « l'amour retrouvé vers l'amour oublié, secret de vie qui anime la vie d'une femme »… (in Oedipe Le Salon - Cabinet de lecture – 2015)

« Eprouver comme une faute le désir de se soustraire à leur destin de chose conquise... »

Voici comment Barbe bleue nous est présenté par Michèle Faivre-Jussiaux :

«Toutes, elles ont succombé à son emprise. La peur irrépressible qu'inspire celui qui impose sa propre loi. Celui qui fait ce qu'il veut et veut sans limites. Qui décide du bien et du mal, du beau et du laid, de la vérité et du mensonge. [...] Toutes, sous le regard de Barbe bleue, ont éprouvé comme une faute le désir de se soustraire à leur destin de chose conquise, la faute inexpiable de lui résister. Seule, la dernière a pu enfreindre sa loi et s'appartenir encore ».

Et voici ce que nous dit l'écrivain Claude-Louis Combet du texte de Michèle Faivre-Jussiaux :

«… Cette lecture m'a apporté un plaisir littéraire très sensible. J'ai vraiment goûté la qualité foncièrement poétique de l'écriture, la subtilité avec laquelle sont associés, de façon toute naturelle, sans effort, sans artifices, les états d'âmes, les éléments descriptifs, le sens tragique des évènements. C'est un texte dans lequel on respire la beauté, et qui véhicule des émotions – désir, angoisse, surprise, illusion – tout à la fois très fortes, très justes et très pudiques. Abandon et retenue, exaltation et désenchantement, fascination et terreur, l'écriture joue toutes les gammes sans jamais de fausse note.

Enfin, j'ai apprécié, de la part d'une psychanalyste, que l'inspiration ne cède jamais à la tentation de l'interprétation. Jamais on ne sort de l'espace de la fiction et de la poésie. Le lecteur reste libre d'associer à ce pur récit sa propre réflexion sur les pièges de l'amour et le destin de la femme. Jamais il ne se sent manipulé par une idéologie explicative. […] Le Barbe bleue de Michèle Faivre-Jussiaux est une création poétique, subjective, tout-à-fait originale – une fantaisie au meilleur sens du terme… » (in courrier privé, novembre 2010)

La vivacité de l’esprit jusqu’au bout du possible

Et la psychanalyste Marina Stéphanoff complète : «… La préface, sans rien dévoiler du propos final, en souligne avec délicatesse la dimension symbolique, initiatique, et surtout nous offre de connaître les circonstances de cet ultime écrit. Michèle Faivre- Jussiaux a terminé cet ouvrage à la veille de sa mort. Savoir cela éclaire la lecture : la polysémie évidente de certains passages n’en est que plus bouleversante. L’auteure est visionnaire de son propre destin (destin qui est celui de chacun de nous). C’est une forme de victoire de l’esprit sur le corps.

Écrire ce texte au moment de sa propre finitude, c’est mener la vivacité de l’esprit jusqu’au bout du possible, puisant son énergie dans la force du désir que l’acte d’écrire soutient, et c’est tenir une place unique : Michèle Faivre-Jussiaux serait-elle la huitième femme de Barbe Bleue ? Celle qui n’est pas dans le conte, mais qui en fait le récit, et que l’on pourrait justement nommer la Visionnaire [… ]

Le beau texte de Michèle Faivre- Jussiaux est un cadeau de vie en forme de récit. Il dit quelque chose du bonheur d’être femme sans minimiser la complexité, les angoisses, et la tentation de les éviter. Ne pas se contenter de la séduction, d’être l’objet du désir de l’autre, oser essayer être soi. Affronter ce qui est, c’est toujours gagner en liberté, c’est grandir, humainement, émotionnellement.

Être insoumise, c’est chercher toujours le sens, c’est refuser de se le tenir pour dit. Alors la forêt des cauchemars, des angoisses, s’éclaircit sans nul doute, il n’y a plus de bataille à mener, il suffit juste d’avancer, comme l’Insoumise après le dévoilement de la vérité originaire. Vivre. Plénitude d’être, intensité de l’instant vécu. Devenir un esprit libre.

C’est comme la chose unique, car précieuse, que l’on aimerait transmettre à ses enfants, quelque chose qui se dirait comme : "Aies confiance…"…» (in article en cours de parution, mars 2015)

La publication de ces écrits est un événement car, malgré son absence, nous voyons à quel point Michèle Faivre-Jussiaux nous est présente grâce à eux. Et c'est un cadeau qu'elle nous fait : par son écriture incandescente, par son courage et sa lucidité, elle nous aide à répondre aux grandes questions de notre temps.

 

 

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