La dernière enquête du pêcheur à la mouche

« Là où tombe la neige », le dernier roman de Philippe Koeberlé est le prétexte d'une enquête sur un crime commis il y a 80 ans... Dans les recoins de ce « passé [qui] constitue une part toujours plus grande de notre vie ».

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Philippe Koeberlé est maintenant de ces auteurs dont on dit : j’ai acheté le dernier Koeberlé. Et Séverin Ménigoz prend doucement sa place aux côtés des Hercule Poirot, Maigret, Kurt Wallander… des personnages de roman qui nous sont plus proches, plus familiers, que certaines personnes de la vie réelle.

Poirot a ses manies, celle de l’ordre en particulier. Ses moustaches et ses bottines sont vernissées et il fait travailler ses petites cellules grises.

Maigret connaît Paris comme sa poche, le monde interlope de la nuit, celui des voyous et des prostituées. Mais aussi le monde des bourgeois qui ne l’impressionnent plus. Bougon, il fume sa pipe, il avance à pas lourds dans ses enquêtes, mais il avance ! Il boit des petits vins blancs et des alcools de prune, dans les bars parisiens. L’hiver il porte autour du cou, une écharpe tricotée par madame Maigret.

Kurt Wallander se débrouille comme il le peut avec sa vie sentimentale ratée, et avec son père atteint de la maladie d’Alzheimer, qui peint indéfiniment le même tableau. Triste monde que celui dans lequel il enquête.

Séverin Ménigoz, lui, est un amoureux et un défenseur de la nature, un pêcheur à la ligne de talent, tout particulièrement un pêcheur à la mouche. Un aristocrate dans le monde très fermé de cet art.

Plusieurs dizaines de truites étaient rassemblées sur la grande gravière, que les femelles creusaient par endroit à grands coups de queues. Elles utilisaient leur corps et leurs muscles puissants, habituées à lutter contre le courant, pour mieux faire des sillons dans le gravier, lançant des éclairs d’argent à chaque mouvement pour l’approfondir un peu plus, de façon à ce que leurs œufs soient mieux protégés, au risque de se blesser. … Certaines grosses femelles étaient courtisées par plusieurs mâles, plus petits.

Séverin et le p’tit Mouge observaient avec respect la vie qui se transmettait, chacun désignant à l’autre les plus beaux spécimens.

Et que disent les gendarmes ?
- Rien ! Ils ne disent rien. Il y a prescription.

Là où tombe la neige, de Philippe Koeberlé - Éditions Coxigrue.
Philippe Koeberlé est le 3 octobre aux Sandales d'Empédocles à Besançon, le 25 octobre au salon du livre de Belfort, le 7 novembre à la Librairie polinoise de Poligny, les 20, 21 et 22 novembre aux Talents comtois à Besançon, le 29 décembre au salon du livre de Gray.

Dans Là où tombe la neige, Séverin, toujours accompagné par le p’tit Mouge, un personnage truculent, rempli de bon sens et d’ingéniosité, va être embarqué dans une enquête surprenante, riche de multiples rebondissements, qui tient le lecteur en haleine jusqu’à la dernière ligne. On croit avoir compris, deviné, il n’en est rien.

Philippe Koerberlé manie le suspens avec maestria.

Pourtant, Séverin Ménigoz ferait bien autre chose que de piétiner dans une neige de plus en plus abondante, dans un Haut-Doubs glacial, où les gens sont des taiseux. Sa compagne est enceinte, il se prépare donc à être père. Pour lui, le nomade, tel qu’il se définit, ce n’est pas une mince affaire.

- Que tu te prépares à quoi ? s’étonna le p’tit Mouge.

- À être père…

- Tu parles, on est tous passé par là, tu vas pas nous gonfler avec tes états d’âme ! Si y a bien quelque chose de naturel c’est d’être père. C’est de ne pas l’être qui pose le plus de problème à un homme normal.

Mais Séverin Ménigoz et le p’tit Mouge ont trouvé, par hasard, un squelette vieux d’au moins 80 ans, au fond d’une grotte.

Bien entendu, le cousin légiste de Séverin sera de la partie.

- La mort est due à une arme à feu, nous avons retrouvé une balle fichée sur la droite du corps vertébral de la deuxième vertèbre lombaire. … Aucune chance de survie, même de nos jours.

- Et que disent les gendarmes ? demanda Séverin.

- Rien ! Ils ne disent rien. Il y a prescription. Le meurtrier est forcément mort également, de sa belle mort ou pas. Il n’y a aucune raison d’enquêter.

Pour notre équipe, pas question de ne pas enquêter.

Qui a été tué ? Pourquoi ? Comment un crime vieux de 80 ans pourrait-il trouver son explication aujourd’hui ? Plus encore, comment pourrait-il légitimer des actions menées par un prêtre venu d’Italie, lui-même en contact avec le conteur local, Ferjeux Faivre, le dépositaire des histoires de familles et de ce territoire enseveli sous les neiges de longs mois durant. Une sorte de griot du Haut-Doubs.

Va alors commencer un formidable jeu de piste qui balade le lecteur des années 1920, après la première guerre mondiale, à nos jours, jusqu’à une organisation pas très catholique, La légion du Christ.

« Gueule cassée »...  braconnier un peu ermite.

En exergue du roman, une citation de Jon Kalman Stefansson /

Le passé constitue une part toujours plus grande de notre vie.

Dans le passé, les années 20, un beau et dramatique personnage de « gueule cassée », et un non moins beau personnage de braconnier un peu ermite.

Et encore et toujours le séminaire de Consolation, dans lequel officie le frère de Séverin, Henri, frère Minime, ainsi que l’on appelle les moines de moindre importance, par choix, dans la hiérarchie de la très Sainte Église apostolique et romaine ! Mais ce frère là est plutôt sympathique, à l’inverse de… je n’en dirai pas plus.

Car oui ! Dans ce Haut-Doubs pétri de neige et de religion, impossible de faire l’impasse sur le poids de l’Église et sur celui de la religion.

Philippe Koeberlé parle diablement bien, ou divinement bien, c’est au choix, de cette région qu’il aime, dont il connait parfaitement bien la géographie. L’histoire aussi, la grande et la petite.

Quelques moments d’angoisse, en particulier lorsque Séverin se retrouve prisonnier dans un tombeau, en compagnie de morts qui lui délivreront un sinistre message.

Car en plus d’être un enquêteur hors pair, Séverin Ménigoz est sensible à des signes invisibles ou inaudibles par le commun des mortels.

Là où tombe la neige, est un très beau polar, dans la tradition des romans où la nature est elle-même un personnage. Il mêle enquête policière et descriptions d’une région, de sa vie, de sa mort si l’homme continue son travail de pollueur. Il fait se rejoindre une histoire passée et le présent. Il parle magnifiquement du Haut-Doubs et de ses gens.

Et ça, c’est la vérité, dirait Adrien, un vieil homme gardien d’une partie de l’histoire.

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