« Je ne reproduis pas la réalité, mais l’émotion d’un moment »

Camille DuDoubs expose à Besançon quelques uns des clichés de sa courte et fulgurante carrière de photographe. Plusieurs années après avoir abandonné le théâtre, il s'est mis il y a trois ans au reportage social ou culturel, architectural ou contemplatif, avec un beau talent.

Camille DuDoubs, posant devant Fenêtre sur cour. (Photos DB)

J'ai connu Camille DuDoubs dans une vie antérieure. Il était acteur, metteur en scène, directeur de jeu. Des années plus tard, le voilà photographe. Avec un talent fou, un regard, un point de vue. D'une génération d'avant la photographie numérique, Camille DuDoubs n'a pourtant pas connu l'argentique, les joies de la chambre noire, ses mystères chimiques. Mais il en a découvert d'autres, via les technologies numériques sans lesquelles il ne serait sans doute pas venu à la photo.

Une large part de sa production est sur son site, avec un étonnant diaporama de reportages sur plusieurs manifestations contre la loi Travail. C'est une galerie charnelle de têtes dures, de portraits, de portraits de groupes, de sourires, ceux d'un peuple de gauche fier et en colère. Un autre montre le lent montage du chapiteau du cirque Circasismic à Besançon, de l'effort solitaire ou partagé, des gestes qu'on devine techniques et précis, de la tension des muscles et des regards, de la satisfaction de l'oeuvre accomplie entre les plis desquels s'entrevoit la Citadelle...

Jusqu'à la fin du mois de décembre, il expose une vingtaine de clichés, plus travaillés, à l'Atelier Corps, conscience et mouvement, 7 rue Rivotte. C'est l'occasion de l'échange qui suit entre un photographe revenant au théâtre par la photo et un journaliste venu au journalisme (notamment) par la photo. En espérant qu'il donnera envie d'y aller voir de plus près.

Comment sortir du théâtre quand on n'y est plus et qu'on le photographie, comme ce spectacle des Urbaindigènes La Revue militaire dont votre exposition montre deux images ?

J'ai arrêté le théâtre il y a longtemps. Grâce à la photo, j'ai re-cotoyé le monde du spectacle. C'est un endroit un peu étrange, je ressentais un trouble car j'étais avec eux au travail avant...

C'est une différence de point de vue ?

Je suis un témoin de leur histoire. Je fais plutôt les coulisses, l'ambiance autour d'un spectacle, les préparatifs. Ça me touche, ces gens qui préparent des choses, prennent des risques, travaillent beaucoup.

La photo 1000 pieds montrent des pieds vus de l'intérieur d'un gradin... C'est aussi une différence ?

C'est l'arrière plan, ce qu'on ne regarde pas, et là aussi ils sont tous différents. Cette photo a été prise au crique Serious Road Trip...

Cette photo montrant un enfant qui joue et regarde un vieil homme a une lumière étonnante...

Elle a été prise entre deux concerts au festival des Pioupious... Il y a peu de travail technique.

Dans un labo-photo chimique, le travail fait que l'image a quelque chose de particulier...

J'ai débarqué directement dans la photo par le numérique. Le développement numérique est l'équivalent de l'argentique. C'est moi qui le fait, mais il y a le temps du cliché et le temps du labo numérique.

Quelle est votre approche ?

Cela dépend de la photo. Je travaille beaucoup sur la lumière...

Fenêtre sur cour a été beaucoup retravaillé, la lumière de la photo paraît loin de celle du cliché.

J'ai fait un travail sur la couleur, fait apparaître le rouge.

Les Pigeons.

Les Pigeons paraît plus proche du cliché, plus réel, alors que Fenêtre sur cour semble le fruit d'une improvisation...

Oui. Je travaille avec des fichiers raw : je peux revenir n'importe quand à l'original en gardant l'historique des opérations. Mais l'image sur écran est neutre, plate, on est obligé de la modifier. Au départ, les Pigeons étaient en couleur. pour la Fenêtre, j'ai essayé des choses et c'est allé vers un endroit qui me plait, un peu comme un peintre. Des choses commencent à poindre dans l'image, et tu vas au bout. J'ai fait beaucoup de photos d'arrière-cours de Besançon comme ça.

Cette photo noir et blanc d'escaliers vus de derrière une fenêtre paraît plus proche du travail de l'image argentique.

Cela vient des différentes qualités d'encres, moins des gens. Elles sont tirées par des imprimeurs...

... avec qui vous dialoguez, comme un photographe argentique pouvait dialoguer avec son tireur ?

Selon le papier choisi, une première épreuve sur écran donne une idée de ce que ça peut donner sur papier. Je corrige ma photo en fonction de ça... Là, elle est un peu plate, j'aurais aimé un peu plus de relief.

Les Ballons, c'est un jeu ?

Oui, j'ai saturé les couleurs et noirci l'ensemble : les couleurs ont une présence plus forte. Je ne reproduis pas la réalité, mais l'émotion du moment de la photo. Je l'ai presque vue comme ça dans mes rêves ! C'est le restant d'une fête d'anniversaire. C'est l'univers d'après la fête d'un événement qui a eu lieu. Je les imagine dormant. Cela dit quelque chose de la position du photographe, décalé par rapport à un événement. Il fait un pas de côté. Il y a un état d'esprit à choper...

Le photographe n'est pas dans l'événement, alors ?

Il peut l'être, mais ne fait pas les mêmes photos. Quand on fait un pas de côté, on voit la réalité avec une poésie qu'on ne voit plus.

Quand et comment avez-vous commencé la photo ?

Il y a trois ans, grâce à la fonction photo du smartphone ! Ça m'a plu, ça correspondait à un besoin. Quand je commence quelque chose, je suis obsédé, je vais au bout.

Vous aviez une culture de la photo, connaissiez des grands photographes ?

Au départ, non. Maintenant, je regarde. C'est un monde, je découvre des univers. Je suis happé par des gens. J'ai un coup de cœur pour Francesca Woodman.

Votre regard, votre expérience, ne s'étaient pas exprimés en photo...

C'est pour ça qu'il y a du spectacle dans mes photos.

Vous en vivez ?

Non, j'aimerais bien...

Le numérique a tué un certain professionnalisme dans la photo, une grande part du photo-reportage...

C'est clair. Mais c'est cette technologie qui m'y a amené !

De quoi vivez-vous ?

J'ai un contrat aidé à mi-temps dans une école maternelle. Je ne m'y attendais pas, mais j'aime bien ce job. La photo prend du temps dans la tête, et si je dois passer à temps plein, je n'en aurai plus assez pour faire de la photo. C'est pour ça que j'aimerais trouver un équilibre...

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