« J’ai été le fils d’un héros et ce n’est pas facile… »

Fils d'un des quatre Résistants exécutés sommairement le 5 septembre 1944, trois jours avant la Libération de Besançon, Michel Boutonnet n'a pas de souvenir de son père qui a occupé une place importante dans sa vie. A 80 ans, il évoque pour Factuel cette absence... et ses engagements « au côté du peuple, mes origines ».

L'événement est commémoré chaque 5 septembre depuis 1945 à Besançon. Un an plus tôt, quatre résistants étaient sommairement abattus dans la combe de Chailluz par l'officier d'une patrouille allemande qui venait d'intercepter leur camionnette. Pour deux d'entre eux, Roger Boutonnet et Michel Pasquier, c'était le 23e transport de ravitaillement du maquis du Mont d'Agrey qui surplombe Corcelles-Mieslot, sur la route de Rougemont. Pour Georges Félix et René Zanchi, c'était le premier...

Chargé de téléphones, de brassards et autres matériels compromettants, le véhicule fut fouillé, ses occupants malmenés et leurs papiers brûlés, avant d'être exécutés d'une balle dans la tête. Le chauffeur, un dénommé Carron, présenté comme « réquisitionné » par ses passagers, eut la vie sauve et put témoigner du sort de ses camarades dont l'un, Michel Pasquier, 20 ans, était le jeune frère du chef du maquis, le lieutenant Henri Pasquier.

Trois jours plus tard, Besançon était libéré... Et la 4e section de la 1ère compagnie de FFI, qui tenait le maquis du Mont d'Agrey, y prend part...

Cette année encore, le Souvenir français a organisé une cérémonie devant la stèle où les quatre agents de liaison sont tombés. Parmi les personnes présentes, Michel Boutonnet, l'un des deux fils de Roger. A 80 ans aujourd'hui, il a accepté de parler à Factuel de ce père disparu quand il avait 3 ans. Et de la place de cette absence dans sa vie.

Il a commencé à témoigner il y a quelques années, sollicité par des enseignantes de l'école primaire de son quartier de Saint-Claude qui avaient fait travailler leurs élèves de CM2. Il avait été frappé à quel point « les gosses étaient imprégnés » de l'histoire, attentifs.

« Ma mère a élevé deux enfants seule... Elle a fait des ménages... »

« Je n'ai pas de souvenir de mon père, mais j'ai une image : j'ai la trouille du vide, je suis assis sur la fenêtre de notre appartement de la rue Jean-Wirsch, retenu par ma mère. On attend mon père qui rentre en vélo... Tout ce que je sais, c'est ce qu'on m'a raconté... Mon père, c'est ce héros... J'ai été le fils d'un héros et ce n'est pas facile... Sa mort a été un drame pour ma mère. Elle a élevé deux enfants seule, dans des conditions difficiles, avec sa maigre pension de veuve de guerre. Elle a fait des ménages, des représentations en porte-à-porte pour Linvosges... Elle ne s'est jamais remariée... »

« J'ai vécu 19 ans rue Jean-Wirsch, et depuis 19 ans dans le même quartier, rue Phisalyx. Un jour, un voisin me dit : Votre père, le Roger Boutonnet, c'était un rigolard, il habitait là... Je demande où, il me répond : Dans la maison que vous venez d'acheter... Il avait dû y louer une chambre quand il était jeune. Il avait eu le certificat d'études à 12 ans. Il était né en 1904, sa sœur en 1906. Il était originaire de l'Aveyron d'où ses parents étaient partis pour faire de la représentation en Suisse. Mes grands parents avaient mis leurs enfants chez une nourrice qui, un jour, n'a plus eu de nouvelles d'eux, plus reçu de pension... Ils avaient 4-5 ans et 2-3 ans, et ont été reconduits à la frontière, pris en charge par l'Assistance publique et placés à Vercel... La sœur de mon père était ma marraine. Elle m'a raconté que c'était l'horreur : ils faisaient de l'élevage au cul des vaches, les travaux forcés de la ferme. Mon père était son protecteur... »

« Il a passé toute sa jeunesse à Vercel, a participé à des courses cyclistes, fait du théâtre... Il a eu plusieurs boulots. On a retrouvé des crochets pour monter aux poteaux de bois : il a dû travailler dans une boîte d'électricité. Mon frère qui a deux ans de plus que moi s'en souvient... Mon père a aussi travaillé chez un ferblantier, puis à la librairie Chaffanjon, 74 Grande-rue, au moment de la guerre. Les frères Chaffanjon ont été arrêtés par les Allemands en février 1944 et sont morts en déportation... On n'a rien trouvé de ce que mon père a pu faire dans la Résistance, ça a dû démarrer à la librairie où on imprimait des faux papiers et des tracts... »

Le maquis du Mont d'Agrey...

« Le maquis du Mont d'Agrey est au-dessus de Corcelles-Mieslot. Il était d'obédience démocrate-chrétienne. J'en ai discuté avec Maurice Ravot, un habitant qui avait 20 ans à l'époque et était à la Grange Verdière, à 2 kilomètres au dessus de Corcelles-Mieslot. Il m'a dit : Les Granges Verdière, c'étaient les durs, les communistes. Au Mont d'Agrey, c'étaient les ceux de la ville, les calotins... Quand je vois ceux que je connais, je retrouve la paroisse de Saint-Claude... Le chef du Mont d'Agrey, c'était Henri Pasquier. Il disait qu'il savait le nom de l'officier allemand qui avait exécuté mon père et ses camarades... Mon frère est exaspéré qu'on ne l'ait pas retrouvé. La fille de Georges Félix, Marie-France, née quatre mois après la mort de son père, raconte que sa mère lui a dit que cet officier s'est vu reprocher l'exécution sommaire par ses supérieurs et qu'il a été envoyé sur le front de l'Est où il aurait été tué... »

« Pour moi, mon père, c'est ça : cette photo où il est debout sur le Moine de la vallée ! »

« Tous les ans depuis 1945, il y a cette cérémonie commémorative dans la Combe de Chailluz... J'ai dit un jour à Henri Pasquier qu'il devrait écrire ce qu'il sait, il m'a répondu : Il y a eu tant de conneries écrites, je ne vais pas en rajouter... Mais il a parlé en 2004 à l'historienne Françoise Leboul qui pilotait un travail de collecte de témoignages à l'occasion du 60e anniversaire de la Libération... »

Roger Boutonnet, premier à escalader le Moine de la vallée, face à la roche de Haute-Pierre, dans la vallée de la Loue.

« J'imagine que mon père était dans un réseau avec les frères Chaffanjon. Sans doute aussi avec le CAF, le club alpin français, parce qu'il était le meilleur grimpeur de la section du Jura. Il a fait la première escalade du Moine de la vallée... Pour moi, mon père, c'est ça, cette photo où il est debout sur le Moine de la vallée ! Et la photo de sa carte d'identité... Il y a aussi une histoire sur mon père dans la Résistance que j'ai entendue un jour que j'étais à Bonnay, le village d'origine de ma mère. Un cousin racontait une discussion entre mon père et mon grand-père maternel. Ce dernier lui disait : Soyez prudent, soyez raisonnable, vous avez une femme et deux enfants... Et Roger lui répondait : Virgile, les Allemands n'y voient que du feu, on leur passe entre les jambes... Il était invincible... Il avait aussi écrit sur un carnet de notes sa mobilisation, jusqu'à sa démobilisation à Bordeaux, puis sa remontée de la zone libre à Besançon. Le carnet s'arrête juste avant le passage de la Ligne de démarcation... »

Michel Boutonnet a-t-il été élevé dans le culte de son père ? « Oui. Pour ma mère, c'était son héros... Nous écoutions la radio les messages personnel, je me souviens de l'un : Vu pour la dernière fois à Esch-sur-Alzette... Quand j'habitais Nancy, je suis allé par hasard, pour le travail, à Esch-sur-Alzette, et ça a réveillé en moi ce souvenir de radio... »

A-t-il eu un père de substitution ? « Oui. Ma mère ! »


« Mon engagement vient de mes origines »

Michel Boutonnet est un homme engagé. Etudiant au début des années 1960, il adhère à l'UNEF à Lyon. Il rejoint ensuite la CFDT puis le PSU dont il est secrétaire fédéral en Meurthe-et-Moselle. Revenu à Besançon après sa retraite, on l'a vu à Nuit debout, aux Vaîtes, au côté des locataires de la rue de Chaillot en conflit avec Grand Besançon Habitat... Son militantisme a-t-il quelque chose à voir avec l'engagement de son père dans la Résistance ? C'était tentant de lui poser la question.

Quand, comment sont venus vos engagements syndicaux, politiques, associatifs ?

« Un jour, au lycée, le surveillant général m'a dit : il faut enlever cette blouse où était marqué MRP sur le dos ! Mais mon véritable engagement est venu quand je suis entré à l'INSA, à Lyon, on m'a dit de prendre ma carte à l'UNEF... »

En pleine guerre d'Algérie !

« C'était la bagarre contre les fachos, contre la guerre d'Algérie. J'ai participé à ma première manif contre la guerre d'Algérie rue de la République à Lyon, je m'étais caché derrière une voiture pour éviter une charge de CRS. J'ai aussi monté la garde près de l'appartement du président de l'Université que l'OAS avait menacé... Ensuite, j'ai été maitre auxiliaire de math au lycée Ampère de Lyon où j'ai adhéré au SGEN-CFDT. Puis à la CFDT quand j'ai rejoint le labo des Ponts-et-Chaussées à Nancy, où je suis resté 35 ans, et naturellement le PSU en 1969 dont j'ai été secrétaire fédéral de Meurthe-et-Moselle au départ des rocardiens en 1979, jusqu'à la fin en 86-87... Je me suis investi dans une coopérative HLM, la Maison familiale lorraine. Elle avait deux lotissements de chalandonnettes, le toit nous tombait sur la tête et le plancher s'effondrait... On a pris le pouvoir avec des militants CFDT de Pompey et je me suis retrouvé président. On ne construisait plus, on a attaqué en justice les entreprises pour malfaçon et on a tout gagné... »

Et ensuite ?

« Je suis un gars très stable. J'ai du mal avec les changements. J'ai besoin de repères fixes, physiques, intellectuels, émotionnels. Après le PSU, j'ai adhéré à l'Alternative rouge et verte, mais politiquement, j'ai arrêté. J'ai continué à payer ma cotisation à la CFDT, sans militer. C'était devenu insupportable avec Nicole Notat, mais je suis resté, par fidélité : je ne peux pas quitter mes repères. Je l'ai fait en revenant à Besançon où je suis allé dans un syndicat ouvrier en adhérant à la CGT retraités. C'est un autre monde... Des purs et durs... En 2013, j'ai adhéré à Solidaires. »

Et politiquement ?

« Lors des élections européennes de 2009, je suis allé au meeting de Jean-Luc Mélenchon et quand j'ai entendu son discours, je me suis dit Mais, c'est le PSU ! et j'ai adhéré au PG... Je n'ai pas bien compris le fonctionnement de LFI, seulement que la parole de Mélenchon accroche beaucoup... »

Elle semble primer sur tout...

« C'est un problème. Mais il m'emballe malgré les conneries qu'il peut dire de temps en temps. Il y a eu l'épisode des perquisitions. Mais il y a un Mélenchon bashing permanent dans les médias... »

Y a-t-il un lien entre vos engagements et ceux de votre père ?

« L'engagement de mon père, selon mon frère, que je comprends, c'était de rendre au pays le fait qu'il ait été élevé par l'Assistance publique... Quant à moi, j'ai toujours considéré que je suis du peuple. J'ai été élevé par une femme qui a fait des ménages pour nous élever. Je me dois de me battre aux côtés du peuple. Ce sont mes origines. J'ai connu ma première douche à l'INSA. Avant, on se lavait dans la bassine, le chauffage de la maison, c'était la cuisinière. Malgré les restrictions de l'après-guerre, notre grand-père boulanger a fait que je n'ai pas souffert de la faim. Mon engagement vient de mes origines, mais je n'ai jamais souffert de ces origines. J'ai eu une enfance heureuse. On se mélangeait tous. On jouait au foot avec les enfants du voisin, propriétaire de la menuiserie des Chaprais... A la mort de mon père, la paroisse de Saint-Claude a soutenu ma mère, a mis à sa disposition gracieuse un appartement grâce au curé... »

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