Professeur d'histoire contemporaine pendant 30 ans, Jean Charles avait publié en 1962 « Besançon ouvrier, aux origines du mouvement syndical 1862-1914 » aux Editions Sociales. Les Presses Universitaires de Franche-Comté le rééditent avec 80 pages de plus.
C'est une réédition aussi judicieuse qu'intéressante et plaisante à lire. « Besançon ouvrier, aux origines du mouvement syndical 1862-1914 », paru en 1962, est à nouveau disponible avec une postface de 80 pages qui le complète, voire le modifie, très utilement.
Son auteur, Jean Charles, professeur d'histoire contemporaine à la faculté de Lettres de 1967 à 1997, avait été l'un des premiers jeunes historiens à travailler sur les archives de la Maison du Peuple pour son mémoire de maîtrise. « Les archives ouvrières sont très rares. Là, il y avait des PV de réunions en continu de 1891 à 1932 ! C'est un matériau fabuleux qui permet de voir le mouvement syndical de l'intérieur ».
L'aveuglement
Il avait été exclu du PCF pour avoir critiqué en interne la théorie officielle du prétendu « bilan globalement positif » de l'URSS. Jean Charles, historien du mouvement ouvrier local, sait à quel point le communisme, notamment municipal, pouvait être vécu comme « une contre société proposant une alternative qui aujourd'hui n'existe plus ».
Né à Morteau, vivant à Besançon, Jean Charles voit dans la disparition, non de la classe ouvrière mais de sa « conscience de classe », une explication à la montée du vote populaire pour le FN. Cela souligne « une indignation par rapport aux conditions de vie, mais sans l'idée d'une perspective ».
La tentation extrémiste a-t-elle touché la classe ouvrière à une autre période ? « L'histoire ouvrière n'est pas bordée de roses, mais cela n'apparaît à aucun moment. Il y a bien eu Doriot (ex-communiste ayant entraîné des milliers de militants dans le nazisme), mais jamais un pan complet du mouvement ouvrier n'a basculé comme aujourd'hui dans cette extrême droite raciste. Cela m'écoeure... Le PC de la décrépitude de l'époque Marchais en est largement responsable...»
Il arrive que l'aveuglement fasse l'histoire. Même Sartre, qui souffrait de strabisme et s'est parfois trompé, en aurait eu la nausée.
Le rôle de l'Université populaire
Sa naissance est difficile. Le syndicalisme n'est légalisé qu'en 1884. Une des revendications principales est le respect de la durée du travail limitée alors à 10 heures par jour. Les militants sont souvent licenciés sans autre forme de procès. Les grèves sont souvent très dures.
Le livre de Jean Charles apprend surtout que le syndicalisme bisontin doit beaucoup au syndicalisme suisse, du fait de la présence de nombreux ateliers d'horlogerie. Des syndicats hésitent entre l'affiliation aux organisations suisses et à la CGT à laquelle s'affiliera la « Fédération ouvrière », du nom de la première organisation interprofessionnelle locale.
Au début, elle ne suit que d'assez loin les débats qui traversent la CGT. Ses dirigeants sont des réformistes pragmatiques et socialisants, voire radicaux, hormis une courte période où les libertaires prennent les rênes. Les débats d'alors portent moins sur la justesse des revendications que sur la faisabilité des grèves que souhaitent mener les ouvriers : la caisse de grève, alimentée par des cotisations, est-elle assez fournie pour que le mouvement tienne ?
La postface toute récente apporte une dimension inconnue de la première édition : le rôle de l'Université populaire, plus important à Besançon que partout ailleurs en France. « En 1962, j'ignorais son existence. Tout ce que je sais, c'est grâce au travail de Gisèle David. L'Université populaire a été soutenue à bout de bras par la Fédération. Les conférences de bourgeois, socialistes, médecins, avocats qui, sans calcul, voulaient apporter la culture à la classe ouvrière, étaient très suivies », dit Jean Charles qui fait un parallèle avec le CCPPO.
« Besançon ouvrier, aux origines du mouvement syndical 1862-1914 », Presses universitaires de Franche-Comté, 400 pages, 17 EUR. Préface d'Antoine Prost.
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