Gérard Coquard : « ne pas donner des objectifs impossibles aux paysans »

Référent comté de la Confédération paysanne, Gérard Coquard explique la complexité de la démarche de révision du cahier des charges de la première AOP de France. Il revient dans le détail sur l'avis que son syndicat a envoyé à la commission d'enquête de l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO) pour réclamer des mesures visant une meilleure prise en compte des enjeux sociaux et environnementaux.

Gérard Coquard est paysan à Arc-sous-Montenot (Doubs) dont il a un temps présidé la coopérative fruitière passée en bio il y a quelques années. Membre du conseil d'administration du CIGC, il est l'un des référents la Confédération paysanne pour le comté.

Le processus de révision du cahier des charges engagé depuis plusieurs années a débouché sur un texte adopté en mai par le CIGC. Pensez-vous que votre avis adressé à la commission d'enquête de l'INAO puisse changer quelque chose ?

Nous avons peu d'illusions, mais il peut y avoir quelques aménagements à la marge. Une fois le document validé par le CIGC, la commission d'enquête l'étudie, puis entre en discussion avec les CIGC, elle peut poser des questions.

Qui la compose ?

Des président d'organismes de défense et de gestion, des gens d'autres AOP...

Peuvent-ils être sensibles à vos arguments ?

Nous les avons remis dans un contexte et montré nos différentes. Face à la commission d'enquête, des gens sont intervenus pour dire qu'il fallait assouplir le document et nous qu'il faut durcir. Notre avis va dans le sens d'un rééquilibrage.

Ces interventions sont des pressions...

Certains disent qu'ils sont au-delà des limites proposées par le document et qu'ils risquent de mourir... Il y a une quinzaine de fermes au-delà d'un million de litres de lait, cinq au-delà de la limite de 1,2 million...

La commission écoute-t-elle des entreprises ou des collectifs ?

Elle regarde surtout si le futur règlement ne met pas en péril un groupe d'exploitations. La limitation de la taille n'existe dans aucune AOP. Et si elles le font, elles doivent le justifier...

Dans votre avis, vous écrivez que le maximum de concentré (1800 kg de compléments alimentaires protéinés par vache et par an) peut représenter 30% de la ration. C'est énorme !

C'est le pire des cas... Les gens qui travaillent économiquement ne font pas de folie de ce genre. Ce sont plus ceux qui veulent faire produire beaucoup leurs vaches. Le danger, c'est d'aller au maximum.

Vous dénoncez aussi les « fauches ultra-précoces d'herbe ». Il y a généralement deux ou trois coupes par an, mais cette année, on a vu quatre dans le Revermont par exemple...

Cette année est exceptionnelle. On peut avoir faire quatre fauches sans problème... Mais on va vers des années difficiles, il faut de la prudence. Cela fait deux ou trois ans que ceux qui étaient habitués à faire des stock de foin n'en faisaient plus. Il y a pas mal de fermes au taquet.

Attention aux pratiques énergivores

Vous présentez l'usage de déshumidificateurs comme faisant partie des artifices soutenant le modèle intensif. Pourquoi ?

Tu fauches le matin et tu rentres le soir le foin qui est séché en grange par un déshumidificateur. C'est un gros investissement. Cette année, ceux qui ont ça ont un super foin. Mais c'est aussi de la dépense d'énergie. Ça peut aussi aller avec une moindre distribution de concentré...

Pourquoi aussi présenter la fauche systématique des refus après pâture, ce que les vaches n'ont pas brouté dans la prairie ?

Le refus reste la moins bonne herbe de la pâture. En année normale, il en reste peu... Si la fauche devient systématique, on est dans l'intensif et c'est énergivore.

En quoi le maïs en vert – donc pas ensilé – peut-il avoir des conséquences négatives sur la qualité du fromage ?

Quand on en met, on perd de la diversité dans les prairies où normalement il y a au moins dix espèces de plantes. Le maïs, c'est une plante unique, ça standardise. Plus on grossit, plus la technique facilite le travail...

Pensez-vous obtenir gain de cause sur l'interdiction du glyphosate sur les céréales ?

On est optimiste sur ce point là. Personne ne le défend franchement. Même à la FDSEA où ils ne veulent rien dire contre tel ou tel produit pour ne blesser personne, ce qui n'est pas très courageux.

Quand la commission rendra-t-elle ses conclusions ?

Il n'y a pas de date. On nous dit que ça va être long, on entend parler de la fin 2022, mais ça me paraît optimiste. Et peut-être que le glyphosate sera interdit d'ici là (sourire). Ensuite, le cahier des charges passera au niveau européen. C'est pour ça qu'il y a une certaine prudence, mais le CIGC a décidé de ne pas s'autocensurer.

Encore à faire sur l'eau !

L'enquête des trois ONG est positive pour le comté, mais trouve que le cahier des charges a un faible impact sur la qualité de l'eau, le gaspillage ou l'épuisement des ressources...

Il y a encore à faire ! C'est un peu ce qu'on a dit dans la tribune qu'on a signée avec les autres syndicats, ce qui nous a été reproché... Si tu regardes ce que tu fais, on n'est pas terrible. Mais si tu te compares, on est largement au-dessus du lot. Toute activité humaine provoque des débats. On reste quand même les seuls à avoir une limitation de production...

En quoi la filière peut-elle s'améliorer sur la question du gaspillage ?

Il faut travailler point par point, être pragmatique. Quand on épand, il faut aller dans le sens des indications de la chambre d'agriculture. Il y a du travail et il faut une réflexion collective. Mais il aussi tenir compte du fait que les paysans sont au boulot et qu'il ne faut pas leur donner des objectifs impossibles. Moi, je serais pour le bio, mais il faut aussi que les consommateurs soient là !

« 140 ateliers de fromagerie, c'est 140 lieux de discussion, d'échanges, de décisions collectives... »

La filière comté s'en tire très bien par rapport à la filière cantal. Pourquoi ?

La grosse différence, c'est les 140 ateliers de fromagerie. Cela fait 140 lieux de discussion, d'échanges, de décisions collectives. C'est énorme. Il y a beaucoup de fromages de qualité, de nombreuses démarches et beaucoup de personnes en responsabilité. Notre coop, à Arc-sous-Montenot, regroupe 17 exploitations. Eh bien chaque mois, on est au moins dix à se retrouver...

Jouiez-vous votre place au sein de l'institution CIGC, ce qui expliquerait que la Conf a signé une tribune commune avec la FDSEA et la Coordination rurale pour dénoncer « un acharnement » ? (Factuel a analysé la controverse ici)

Nous ne le voyons pas comme ça. La réalité, c'est que beaucoup de paysans ont été blessés par les attaques. Je l'ai dit à SOS Loue et rivières comtoises : en appelant les médias nationaux, on casse quelque chose, ils ne reconnaissent pas le travail. Et on ne lave plus notre ligne en famille. C'est la vidéo de Hugo Clément, un million de vues, sur la fromagerie Monnin avec SOS Loue, qui a déclenché la tribune. Déglinguer une filière depuis Paris, c'est dégueulasse.

SOS Loue est impatiente car les choses n'ont pas l'air d'avancer vite...

Il faut se pencher sur le problème des rivières. Mais dire aussitôt qu'il faut flinguer la filière comté, non. Le travail qu'on fait nous fait avancer...

Cette tribune a créé quelques remous en interne à la Conf...

Oui. C'étaient surtout ceux qui étaient hors de la filière qui nous ont interpellés, notamment les maraîchers...

N'empêche, une augmentation de production de 2% par an, qui arrive à plus de 71.000 tonnes cette année, c'est beaucoup !

Dans le comté, il y a des gens qui étaient jusque là non plaqués [NDLR : les plaques vertes dont le nombre est fixé globalement chaque année par le CIGC et attribué à chaque fromagerie], comme l'Ermitage. Il s'agit de lait entré dans la filière, mais qui était déjà produit dans la zone comté. Il y a eu aussi une augmentation à la fin des quotas laitiers, dans les années 1990 : du lait est revenu dans la filière avec la création des grands bassins laitiers.

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