SOS Loue et rivières comtoises ciblé par le préfet du Doubs et les syndicats agricoles

Après plusieurs gros titres de la presse nationale pointant les pollutions engendrées par le Comté, SOS Loue et rivières comtoises a été directement mis en cause par le préfet du Doubs et l’ensemble des syndicats agricoles, ce qui a provoqué des remous à la Confédération Paysanne. Accusé d’« agri-bashing » le collectif dénonce une tentative d’intimidation et revendique sa liberté d’alerter sur l’agonie des cours d’eau et d’en dénoncer toutes les causes, dont la principale. Malgré tous les efforts de la filière Comté.

Journalistes et Membre du collectif SOS LRC au bord du Doubs Franco-Suisse – Juin 2021 Photo : SOS Loue et rivières comtoises

Ici une vidéo d’un rejet marron et nauséabond d’une fromagerie qui se déverse dans un petit cours d’eau, là des épandages de lisiers à proximité d’une rivière, des images de poissons morts... Les exemples ne manquent malheureusement pas et fournissent beaucoup de matières à SOS Loue et rivières comtoises (SOS LRC) pour illustrer de façon implacable le dépérissement des cours d’eau, autrefois paradis des pêcheurs. Depuis quelque temps, le collectif a intensifié sa présence sur les réseaux sociaux et alerte sans relâche sur un phénomène qui ne fait que s’aggraver. Cet hiver a eu lieu la pire mortalité piscicole jamais enregistrée, une hécatombe pour les truites et les ombres.

Tout le monde a bien conscience du problème déjà ancien et de ses causes multifactorielles : réchauffement des eaux, traitement du bois, hydrocarbures des routes ou stations d’épurations, qui rejettent la moitié du phosphore que l’on retrouve dans les rivières. L’agriculture est à l’origine de l’autre moitié et de plus des trois quarts des rejets d’azote. Dans une région où le Comté est roi, pointer les conséquences environnementales de la production du fromage AOP le plus vendu de France, et qui dispose d’un cahier des charges parmi les plus restrictifs d’Europe, ne vous attire pas que des amis.

SOS LRC mène avec succès une campagne médiatique sur la situation des rivières comtoises, elle a fait mouche auprès de plusieurs émissions et journaux nationaux. La filière Comté y voit une attaque. Une vidéo d’Hugo Clément, titrée sans nuances « les ravages de l’industrie du Comté » a par exemple été visionnée plus d’1,6 million de fois sur Facebook. C’en est trop pour les agriculteurs, qui ne supportent plus de se sentir stigmatisés et accusés. L’image de marque du Comté en prend un coup et la filière passe à l’offensive avec un texte signé par l’ensemble des syndicats agricoles, FDSEA, JA, Coordination Rurale et, plus surprenant, la Confédération Paysanne. Ils condamnent « l’acharnement dont ils font l’objet de la part du collectif SOS Loue ».

Un texte qui attaque des lanceurs d’alerte

Il a été lu le 21 mai à lors de l’AG du Comité interprofessionnel de gestion du Comté (CIGC), qui organise la filière dans son ensemble : agriculteurs, fromagers et affineurs. Ce communiqué rappelle ses engagements : limitation de la production de lait par hectares et un nouveau cahier des charges, en cours d’instruction par l’INAO (Institut national de l’origine et de la qualité), qui prévoit un accroissement de 30 % de la surface par vache et la réduction de 20 % des épandages de lisiers. « Si on ne considère pas que des mesures structurantes et exigeantes comme celles-là, qui n’existent nulle part ailleurs, ne confirment pas une vraie prise en compte de la préservation de nos ressources et de la qualité de nos rivières, qu’est-ce que vous voulez que je vous dise », soupire Alain Mathieu, président du CIGC, exaspéré par les attaques et par « ceux qui s’estiment légitimes pour dire qui sont les bons et les méchants ».

Ce texte, qui attaque des lanceurs d’alerte, a suscité des remous au sein de la Confédération paysanne. La décision de signer a été prise par le groupe Comté du syndicat qui avait mandat pour le faire, mais tous les paysans n’étaient pas au courant et plusieurs ont été choqué de le lire plus tard dans la presse. C’est le siège du syndicat au Conseil d’administration du CIGC qui était en jeu. Si la Confédération paysanne ne se montrait pas solidaire de la filière, il n’était plus acquis. « Des représentants à la Conf estimaient qu’il était plus important que nous soyons à l’intérieur pour faire avancer les choses plutôt qu’à l’extérieur », indique Anne Mignerey, l’animatrice de la section Doubs du syndicat.

La Confédération Paysanne est partagée, certains pensent que les choses ne vont pas assez vite ni assez loin, d’autres que la production du Comté est sortie des valeurs de l’agriculture paysanne et que seule une baisse de la production sauvera les rivières, tout comme la filière. Car malgré les efforts des producteurs engagés par les exigences du cahier des charges, le passage du fumier au lisier et l’introduction de compléments alimentaires à base de céréales qui peuvent venir d’Amérique du Sud engendrent une pression et des rejets que le milieu naturel n’est manifestement pas en capacité d’absorber. Les sols sont peu profonds et karstiques, tout l’excès s’infiltre rapidement dans les nappes phréatiques et dans les rivières.

Le préfet accuse SOS LRC d’« agri-bashing »

Quant au collectif SOS LRC, il n’a pas eu le temps de répondre aux syndicats agricoles et au CIGC que le préfet du Doubs leur adressait une lettre ouverte « suite aux multiples prises de position médiatique » dans laquelle ils sont cette fois directement accusés « d’agri-bashing ». « J’ai malheureusement constaté depuis le début de l’année 2020 un changement dans le positionnement du collectif SOS Loue et rivières comtoises, avec une communication très agressive vis-à-vis en général du monde agricole, en particulier de la filière Comté. Au-delà de mon regret de votre sortie du partenariat que nous avions construit depuis près de 10 ans, cette attitude inutilement agressive et pointant une unique cause peut être assimilée à de l’“agri-bashing” », écrit Joël Mathurin en qualité de préfet du Doubs dans une lettre datée du 27 mai, quelques jours après sa nomination pour le Morbihan.

« Nous avons été extrêmement surpris, on ne sait pas exactement ce que l’on nous reproche. On se pose la question, est-ce que se faire accuser “d’agri-bashing” ce n’est pas de l’intimidation pour que plus personne n’ose critiquer l’intensification agricole ou la fuite en avant du toujours plus ? », s’inquiète Gérard Mamet, membre du collectif SOS LRC qui alerte et se mobilise contre toutes les causes de pollutions, et pas seulement l’agriculture, depuis 2010. « On n’a pas été agressif vis-à-vis du monde agricole. On a dénoncé des pollutions au niveau de fromageries, on dénonce certaines pratiques d’épandages de lisier. Mais on n’a pas mis en cause globalement tous les paysans, on ne se reconnait pas dans cette lettre », ajoute-t-il.

« On ne va pas se laisser faire, on revendique complètement notre liberté de dire les choses qui ne vont pas, qu’elles viennent de l’agriculture ou d’autres domaines. Il y a une tentative de pression dans la continuité de la police Demeter créée par Macron », estime Marc Goux, le porte-parole du collectif en faisant référence à la cellule de gendarmerie crée en décembre 2019 à l’initiative de la FNSEA pour lutter contre l’« agri-bashing » et qui est accusé de chercher à restreindre la liberté d’expression des opposants à l’agriculture industrielle.

« Depuis qu’il y a eu le communiqué et la lettre, je me censure un petit peu »

Et les pressions semblent porter leurs fruits. « Depuis qu’il y a eu le communiqué et la lettre, je me censure un petit peu. On m’envoie encore des photos hallucinantes d’épandages au bord de l’eau, j’ai transféré comme d’habitude à l’OFB (Office français de la biodiversité) qui m’a dit que ce n’était pas des conditions régulières. Mais je ne les publie plus systématiquement sur Facebook, pour ne pas que l’on nous accuse d’“agri-bashing”. On le reprochera au collectif de toute façon même si j’en publie une de temps en temps. Le problème c’est que si je ne mets pas tout, on peut dire : vous voyez c’est pas souvent », admet Manon Silvant, qui se démène avec SOS LRC pour sauver le bien commun que sont les rivières.

Le collectif avait interrompu en 2018 sa participation aux travaux du nouveau cahier des charges de l’AOP Comté, estimant que la filière ne s’engageait pas assez loin. Sa position s’est durcie, mais SOS LRC continue de siéger dans des instances officielles, comme la nouvelle Commission locale de l’eau du Schéma d’Aménagement et de Gestion des Eaux Haut-Doubs Haute-Loue (SAGE). Elle réunit élus, usagers, services de l’État et associations pour concerter des objectifs et des moyens à mettre en œuvre pour une amélioration de la qualité des rivières.

Dans sa lettre, la préfecture détaille en annexe les avancées sur cette question dans tous les domaines. Mais le 15 juin, lors de la première réunion en présentiel de la Commission sur l’eau, Gérard Mamet, son vice-président en tant que représentant de SOS LRC, demandera de tout remettre à plat la question des origines des pollutions et de tirer un bilan de l’efficacité ou non des mesures déjà prises. « Si malgré les actions menées la situation continue d’empirer, il faut quand même s’interroger sur ce que l’on fait et accélérer, parce que ce n’est pas suffisant. On a proposé 73 mesures, une vingtaine concerne l’agriculture et on dit qu’il faut agir sur tous les facteurs. Est-ce que le fait de dire ça c’est de l’“agri-bashing” ? »

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