Filles entières, filles coupées : la malédiction

« Nommer, même crûment, est parfois la seule façon correcte de contrevenir aux désastres. Les violences faites aux filles sont des désastres individuels et collectifs. Pour que nous y mettions fin, encore devons-nous les désigner. C’est à quoi humblement, je m’attelle, avec d’autres, pour qu’on ne puisse pas dire à leur sujet “je ne savais pas” » écrit Dominique Sigaud, grand reporteur, écrivain, essayiste qui était présente à Livres dans la Boucle, à Besançon. Lors d’un café littéraire, elle a présenté son dernier ouvrage : La malédiction d’être fille.

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 Des faits et des chiffres terrifiants. Des mots pour les dire.

« Nommer, même crûment, est parfois la seule façon correcte de contrevenir aux désastres. Les violences faites aux filles sont des désastres individuels et collectifs. Pour que nous y mettions fin, encore devons-nous les désigner. C’est à quoi humblement, je m’attelle, avec d’autres, pour qu’on ne puisse pas dire à leur sujet “je ne savais pas” écrit Dominique Sigaud, grand reporteur, écrivain, essayiste.

Après avoir lu son enquête, essentielle pour l’avenir des filles, pour leur survie, (Dominique Sigaud insiste pour que le mot fille, soit employé) essentielle pour l’humanité entière, nous saurons. Il importe alors de nous faire les porte-parole de cet écrit fort, d’édifier des forteresses pour protéger ces bébés, ces fillettes, ces adolescentes, ces femmes, chosifiées, marchandisées, massacrées, fœticidisées, filiacisées, violées, incestées, torturées, décapitées, éventrées, brulées à l’acide, tuées à coups de hache, égorgées, lapidées, enterrées vivantes dans le sable, jetées sur des tas d’ordures, victimes de « crimes d’honneur », mutilées, vendues, mariées de force à 9 ans, 10 ans, 11 ans, engrossées de force, soumises au tourisme sexuel, esclavagisées, victimes du SIDA… dans le monde entier. Il importe de dire non à la loi et à la puissance du silence. Le silence des victimes, le silence des témoins, le silence des coupables… Il importe de lever le secret terriblement bien gardé du meurtre des filles par leurs parents, par leur mère qui, de victime bien souvent, devient meurtrière, parce que le nouveau-né est une fille et qu’elle n’a pas d’autre choix que de donner suite aux pressions de sa communauté, de sa famille… Affreux retournement de situation. La victime devient la coupable, dans les pratiques de mutilations sexuelles aussi. Des actes incompréhensibles qui pourraient être ancrés chez les garçons, mais aussi chez les filles, dans une sorte d’inconscient collectif soumis à Tanathos, surtout s’agissant des filles.

Il importe de contraindre la et les sociétés à se débarrasser de la cécité et de la surdité qui les prend quand une enfant parle d’attouchement, de viol, d’inceste. "(On l’a abusée ? Allons, il faut y réfléchir à deux fois avant d’envoyer un père de famille en prison. La charge est inversée, repose sur l’enfant. […] Le père (l’oncle, le grand-père) impose son désir mais aussi son récit.)"

"Si la fille est cette chose dont on se débarrasse sans que quiconque y trouve à redire, comment ne pas ensuite en faire cette chose qu’on vend, qu’on achète, qu’on viole, qu’on marie, qu’on engrosse, qu’on dépossède de tout sans que quiconque y trouve à redire ?"

 

Pire encore : "Mot après mot, Denis Mukwege, gynécologue, un homme qui « répare les femmes » établit une vérité que nous ne savions pas possible : le viol des bébés"

"Le 10 décembre 2018, le gynécologue-obstétricien congolais Denis Mukwege monte, à Oslo, à la tribune du prix Nobel de la paix qui vient de lui être accordé. Mot après mot, il établit une réalité que nous ne savions pas possible. Le viol des bébés. Non plus seulement, les femmes, puis les jeunes filles, puis les fillettes. Une sorte de descente continue et que rien n’interrompt vers le pire, dans ce pays ravagé par des années de guerre.

[…]

« Les viols sont planifiés, explique-t-il, organisés, mis en scène. Ils correspondent à une stratégie visant à traumatiser les familles et détruire les communautés, provoquer l’exode des populations vers les villes et permettre à d’autres de s’approprier les ressources naturelles du pays. C’est une arme de guerre. Il y a trois semaines, une petite fille de 18 mois nous a été amenée, l’appareil génital explosé. Neuf bébés sont arrivés dans le même état depuis janvier, 36 enfants de moins de 10 ans. Je n’avais pas encore vu ça. »"

Ça se passe dans certains pays d’Afrique, mais pas que.

Le viol, une arme de guerre

Parfois aussi, comme en Syrie, c’est l’État qui emploie le procédé." « Des filles d’à peine 12 ans subissent des violences sexuelles, y compris de la torture physique sur leurs organes génitaux et des viols », constate en 2013 Save the Children dans son étude Childhood under Fire.

[…]

Les jeunes filles syriennes enfermées pour avoir manifesté contre le régime ou pour faire pression sur leur famille et qui sont systématiquement violées racontent toutes ce viol-punition : « Tu veux la liberté ? La voilà, ta liberté ! dit un garde en insérant ses doigts dans le vagin de Malina. On va te donner la liberté sexuelle ! » Punies d’avoir revendiqué, punies d’avoir pris part au débat public, punies d’avoir élevé la voix contre les hommes au pouvoir et ses représentants."

La même histoire se décline dans tous les pays en guerre.

Il y a même une « théologie du viol ». " Certaines victimes de Daesh, organisation qui pratique en masse les enlèvements de fillettes, d’adolescentes et de femmes, racontent comment les violeurs font la prière avant et après, comment des fatwas colorent d’un jargon faussement juridique et religieux l’arme du viol, comment les violeurs en parlent comme d’une façon de « se rapprocher de Dieu »."

Un certain islam n’est pas en manque d’inventivité quand il s’agit de ne pas nommer viol, un viol. Il est alors question de « mariages d’été », ou de « mariages temporaires ». Cela se passe en Égypte, entre autres. Au Mali aussi…

"Le tourisme sexuel est important au Caire, à Alexandrie, et Louxor. Les mariages « temporaires » ou « d’été » imposés aux filles pauvres par des ressortissants notamment d’Arabie saoudite, des Émirats arabes unis et du Koweït sont de la traite ;

[…]

C’est, dit-on, une « coutume » musulmane, appelée mariage saisonnier ou de plaisir, mettant des mineures vierges entre les mains d’hommes riches du Golfe, le temps d’une saison, d’un été, d’un mois, qu’importe."

Un système universel

Dominique Sigaud ne parle pas de pratiques isolées dont certaines fillettes, certaines adolescentes et certaines femmes sont les victimes. Elle montre qu’il y a un véritable système d’oppression, et pire, que ce système est universel, qu’il est à l’œuvre partout, y compris en Occident.

On ne veut pas voir, on ne veut pas savoir

La France, notre pays, n’échappe pas à ce système. C’est pourquoi Dominique Sigaud a décidé de s’adresser aux responsables afin qu’un observatoire des violences faites aux filles existe enfin, dans le but d’élaborer des réponses pour éradiquer ce fléau. Un chapitre est consacré à l’état des lieux, en France.

"L’État français sait fournir des chiffres sur la production de lait, le suicide des agriculteurs, la disparition des espèces de moineaux Il a les outils pour ça, les compétences, les institutions. En ne les utilisant pas pour connaître les données réelles, il occupe vis-à-vis des filles la même place que ces adultes rivés à leur « on ne veut pas savoir »."

Quelques chiffres

"1 fille sur 5 dans le monde subit des violences sexuelles avant 18 ans, en Occident comme ailleurs. Dans certains pays, la proportion est de 1 sur2.

En France, 40% des viols et tentatives de viol déclarés concerneraient des mineures de moins de 15 ans. En France, il y aurait chaque année presque 150 000 viols et tentatives de viol sur mineures, soit 300 à 400 par jours. Plus que sur des majeures. En fait, on ne sait pas.

La France est, après les États-Unis, et avec le Royaume-Uni, selon le dernier classement de l’Unicef sur « les violences sexuelles subies avant 15 ans », le pays occidental le plus touché par les violences sexuelles sur mineures. La France, et non pas l’Italie ou la Grèce méridionales. Mais le pays des grands idéaux, trop idéal peut-être pour lancer les études qui permettraient d’en avoir le cœur net, n’a toujours pas mis en place, sur les questions de l’inceste, des viols, de la prostitution et des mutilations, les outils qui permettraient de savoir, d’établir des statistiques, et de là de former les réponses publiques utiles.

Au Royaume-Uni, 21% des filles de moins de 16 ans (1 sur 5) ont été victimes d’abus sexuels.

[…]

À force de fœticide (supprimer le fœtus) et de filiacide (tuer sa propre fille) 160 millions de filles manquent en Asie, ce qui en fait le continent le plus masculin du monde.

Pour la première fois en 2016, le Centre asiatique pour les droits de l’homme a évalué à environ 1,5 millions les fœtus féminins éliminés chaque année en raison de leur genre.

[…]

Les technologies permettant de connaître le sexe de l’embryon et de le choisir à l’avance le facilitent. La démocratisation des échographies a depuis longtemps rendu plus accessible financièrement pour les familles modestes la découverte du sexe de l’enfant à venir et son avortement quasi simultané. On vous apprend à la fois que vous attendez une fille et que vous pouvez la faire disparaître ; des cliniques en Inde ou ailleurs proposent ces kits échographie-avortement.

[…]

Certains vont même en Inde jusqu’à le promouvoir quasi ouvertement. « Payez 500 roupies aujourd’hui pour économiser la dépense de 500 000 roupies à l’avenir », sous-entendu : avortez maintenant, vous n’aurez pas à fournir de dot plus tard."

Des chiffres, encore

Plus de 200 millions de filles dans le monde sont victimes de mutilations sexuelles (clitoris et lèvres coupés), 66% des 12 millions de Soudanaises sont infibulées (vagin cousu),

60 millions de filles sont victimes de violences sexuelles à l’école et sur le chemin de l’école, 12% des filles (1sur9) sont mariées avant l’âge de 15 ans.

100 000 enfants sont victimes de traite sexuelle aux États-Unis.

Les mineures représentent plus de 20% des victimes d’exploitation sexuelle forcée.

Dans son chapitre consacré aux États-Unis, elle rapporte que selon le Centre national pour les enfants disparus et exploités, au moins 100 000 mineurs, le plus souvent des filles, sont victimes de la prostitution. Leur âge moyen est de 12 à 14 ans.

"« La police de Los Angeles recense de plus en plus de prostituées mineures avec les initiales de leurs proxénètes tatouées dans le cou, à l’entrejambe ou sur le visage ou un code-barre inscrit sur le bras. Cette marque permet aux souteneurs de savoir que la fille est la propriété d’un autre. »"

Des mots pour nommer l’innommable, tel que Le Filiacide. Être tuée, au motif unique que l’on est une fille.

"On en parle aussi en Afrique, en Amérique latine, en Asie, partout où mettre au monde une fille serait considéré comme un poids exorbitant.

C’est le tabou d’entre les tabous. Le secret d’entre les secrets. Si dans les campagnes de haute Égypte des mères tuent leurs filles, alors c’est qu’à l’échelle du monde le chiffre est en centaines de milliers. C’est tu, mais c’est là. Ces gestes, même secrets, n’en font pas moins partie du monde où nous vivons, jouent sur lui. Des dizaines de milliers de mères sont les assassins obligées de dizaine de milliers de filles.

[…]

À quel moment a-t-elle su que c’était une fille ? À quel moment a-t-elle su qu’elle la tuerait ? Est-ce qu’elle l’a fait toute seule ? Est-ce qu’elle en a parlé à quelqu’un ? Qu’est-ce que ça lui a fait de tuer ce bébé sorti de son ventre parce qu’elle est, comme elle, de sexe féminin, mais qu’il faut « sauver la maison », éviter que son mari la répudie, aille chercher une autre femme au motif qu’«elle» a fait une fille ?

Deux jeunes cinéastes français heureusement ont filmé la réponse. La malédiction de naître fille nous apprend quelque chose d’essentiel ; ça replace les mères et leurs filles dans l’humanité, redit que c’est leur place. Les larmes des mères obligées de tuer leurs filles au Bangladesh, en Inde, au Pakistan, le souvenir qu’elles en gardent dix ans plus tard, le geste auquel on les a obligées, le regret, le remords, ce qu’on leur fait porter en sont le signe intense, terrible. 

« Quand je lui ai donné le poison, j’ai pleuré. » À nouveau elle pleure. « J’avais déjà tué les deux premières, je ne voulais pas. Je suis si triste. C’est très dur. Ça me fait souffrir. Je n’arrive pas à être en paix. »"

Des mots pour nommer les faits, les actes…

Dans ce travail d’enquête, Dominique Sigaud s’attache à nommer clairement ce dont elle parle. On connait les mots violer, prostituer, battre, séquestrer… Dans le sinistre inventaire des sévices dont les filles sont les victimes au nom des traditions, de la religion, du patriarcat…, on  trouve "l’excision, ablation partielle ou totale du clitoris ou du capuchon du clitoris et des petites lèvres, parfois des grandes lèvres, l’infibulation rétrécissement de l’orifice vaginal avec recouvrement par l’ablation et l’accolement des petites lèvres ou des grandes lèvres, avec ou sans excision du clitoris. (Djibouti, Érythrée, Éthiopie, Somalie, Égypte, Soudan et dans le sud de la péninsule Arabique)."

On trouve aussi " la clitoridectomie, ablation partielle ou totale du clitoris ou du capuchon du clitoris, ainsi que toutes les autres interventions nocives pratiquées sur les organes humais à des fins non thérapeutiques, comme la ponction, le percement, l’incision, la scarification et la cautérisation."

Dominique Sigaud parle aussi de filiacide : "il m’a semblé essentiel, vu l’ampleur des meurtres commis à la naissance sur les bébés filles, parce qu’elles sont des filles, que cet acte porte le nom le désignant en tant que tel, ce que ne permettent ni infanticide ni filicide. Seul filiacide, créé à partir du filia latin, désignant la fille dans une filiation de parent à enfant, signifie exactement « meurtre de sa propre fille ». Fémicide : deux mots existent en français comme en anglais pour désigner le meurtre d’une femme, parce qu’elle est une femme, fémicide et féminicide. J’emploie le premier, pour des raisons de simplicité essentiellement. En entendant fémicide, on entend « meurtre de femme »."

Incester : "l’inceste habituellement n’est employé que sous sa forme nominale. Le nom commun désigne le crime : commettre l’inceste. Ce travail m’a en quelque sorte obligée à en faire un verbe. Ainsi, d’une fille, au même titre qu’elle est violée, je tiens à ce qu’on puisse dire qu’elle est incestée. Il me semble que dans les récits que les victimes sont amenées à en faire, ce mot peut aussi leur être utile, leur permettre de dire « j’ai été incestée », je suis incestée ». Ainsi également apparaît plus clairement, derrière, me semble-t-il, l’auteur du fait, celui qui inceste."

Une sorte de peste qui court à la surface de la terre

 Dans les premières pages de son enquête, elle écrit : […] " Quand on met bout à bout les violences faites aux filles alors que nait le XXIe siècle et non pas le IIe, quand on regarde sut tous les continents, dans les campagnes et les villes […] … on comprend qu’il se passe quelque chose. Qu’à la surface de la terre court une sorte de peste obligeant les filles à la prostitution, à l’humiliation, à la dépendance extrême, à l’impossibilité de se doter d’un corps, d’une voix, d’une existence à soi, pour soi, en son nom propre.

 Les filles, une part de l’humanité interdite de désir, interdite de plaisir, interdite de liberté, interdite d’autonomie dans sa vie, dans ses choix, interdite de construire le propre récit de sa vie, soumise au patriarcat le plus bestial, réduite à l’état de marchandise et de ventre. Au nom de quoi ? Quelle est la fonction sociale des ces violences faites aux filles ?

La réponse n’est pas simple. Dominique Sigaud ne donne pas une explication toute faite, capable d’expliquer l’ampleur de ce désastre qu’elle décrit avec une précision quasi chirurgicale. Des faits. Des chiffres.

Lors de son intervention au Café littéraire, Dominique Sigaud dit qu’elle ne peut pas, pas encore, expliquer pourquoi une partie de la communauté humaine fait subir des telles horreurs aux filles, et ce dans des proportions délirantes. Lisant son enquête, des pistes se dessinent pourtant. En fin de son ouvrage, dans le chapitre consacré à l’Égypte, elle relate un entretien avec un expert reconnu, mais qui tient à parler en off.

« Nous savons que les excisions recommencent à augmenter dans les pays de la Ligue arabe, dit-il. Après le Yémen, l’Arabie saoudite et Oman, c’est au tour de l’Irak, du Kurdistan. Il ne faut surtout pas sous-estimer la volonté de reprise en main des leaders religieux conservateurs. Quant aux mariages d’été des pauvres gamines de l’Égypte et du Yémen mariées une, deux, trois fois à des hommes du Golfe, c’est un sujet très tabou."

L’argent, le pouvoir, la domination vont à l’encontre des droits humains des filles

" « En fait, l’immense majorité des leaders, y compris les vôtres et ceux des grandes agences internationales, s’en foutent complètement. On ne va pas à l’encontre de l’argent, du pouvoir, de la domination. Or l’argent, le pouvoir, la domination vont à l’encontre des droits humains des filles. On leur fait accepter n’importe quelle violence parce qu’elles sont pauvres, le viol, le mariage, la mutilation. La vraie révolution, ce sera quand elles auront les mêmes choix qu’un garçon. » "

Quelques pages avant, elle écrit." De nombreux immams ont rejoint les autres États de la région où ils prônent ce que certains appellent la resoumission des femmes, une tentative de reprise en main des corps et des libertés après l’échec des « Printemps arabes » et l’apparition massive des jeunes filles dans un espace public jusque-là interdit. Des fatwas de Daech et des Frères musulmans ont récemment appelé à l’excision, dans les campagnes de la haute Égypte aussi."

La « culture » du viol. Dans certains pays, en Inde par exemple, on peut parler de culture du viol.

"La culture du viol est telle qu’un viol collectif sur la place publique devient parfois la punition imposée par des instances judiciaires informelles (justice du village, conseil des anciens…) à des jeunes filles."

Un certain relativisme culturel et une forme de libéralisme moral, des mutilations à visée esthétique

"Certaines jeunes filles, aux États-Unis, portent elles-mêmes atteinte à leur propre sexe, en demandant des interventions de « chirurgie esthétique » touchant les lèvres sexuelles et parfois le clitoris et le vagin. Il s’agirait de l’apparition d’un nouveau récit du féminin, à la fois hypercontemporain, ultralibéral et attentatoire, où certaines filles, sans doute ne sachant rien ou presque du féminin, sinon dans sa seule forme d’objet convoité, s’automutilent."

Dominique Sigaud parle d’un certain relativisme culturel et du libéralisme moral, au sujet de deux gynécologues états-uniens qui ont suggéré d’accepter certaines « altérations génitales » qui n’ont pas d’effet « durable » sur le fonctionnement des organes génitaux ou qui modifient légèrement leur apparence.

Ce qu’on fait de ton sexe, tu n’as rien à en dire : ce récit ne t’appartient pas, ce sexe non plus ; les deux vont ensemble.

À propos des mutilations sexuelles, encore : " Et puis, rencontrant récemment en France des femmes mutilées, j’ai compris la puissance du silence qui leur est imposé, intégré à la pratique en quelque sorte. On te mutile et tu te tais, on te coupe le sexe et la parole, ce qu’on fait de ton sexe, tu n’as rien à en dire : ce récit ne t’appartient pas, ce sexe non plus ; les deux vont ensemble."

Filles entières, filles coupées

Le sexe des filles comme un organe dont l’extérieur disposerait.

"Le sexe des filles comme une chose entre les mains d’un père, d’une grand-mère, d’une famille, d’un village, d’un imam, d’un médecin, d’une communauté, décidant qui de le couper, qui de le coudre, qui d’en enlever les lèvres une paire, deux paires, qui de les raboter, qui de les supprimer entièrement sans que l’enfant en soit avertie, laissée avec sa plaie saignante dans l’obligation de se taire et la terreur d’uriner tant c’est douloureux… Le sexe des filles comme un organe dont l’extérieur disposerait : dans des millions de vies de filles, c’est encore le cas. En recrudescence par endroits.

[…]

On mutile la femme pour que l’homme n’ait pas à contrôler ses pulsions.

[…]

La frigidité des femmes comme garante de l’ordre social ; on retrouve l’obligation faite aux mères de tuer leurs filles.

Notre indignation, du néocolonialisme ?

"Aujourd’hui encore, s’y opposer, venant d’occidentaux non concernés par la menace, est parfois considéré comme une sorte de néocolonialisme, un désir d’imposer à l’autre, la femme mutilée, des normes européocentristes."

L’ensemble des pratiques barbares dénoncées par Dominique Sigaud montre plusieurs aspects de l’inhumanité de notre humanité, parfois. Les filles sont liquidées comme on noie les chatons, signant par là le fait qu’elles ne font pas partie de l’espèce humaine. Tout juste bonnes à être un orifice que l’on clôt parfois, ne laissant le passage que pour les menstrues et l’urine. Jusqu’à l’heure, dont elles ne possèdent pas la maîtrise, de laisser le passage au sexe de l’homme.

Dans son intervention au Café littéraire, Dominique Sigaud a fait un parallèle avec le sort réservé aux Juifs. En particulier lors de la Shoah. Elle a rappelé que, dans les camps de concentration, on demandait aux Juifs de tuer les Juifs, comme aujourd’hui on demande aux femmes, dans certains pays, de tuer leurs filles. Que les Juifs, pour les nazis, ne faisaient pas partie de l'espèce humaine.

Que se passerait-il, si ce qui arrive aux filles arrivait aux garçons ?

Dominique Sigaud est, à juste titre, une femme en colère. Elle n’hésite pas à employer un langage de vérité. Que se passerait-il, dit-elle, si des centaines de garçons par jour et dans le monde étaient violés ? Sodomisés à sec ?

En conclusion de ce travail qui met au jour des pratiques terribles, Dominique Sigaud écrit : " Toute fille est du côté d’une possible abondance, c’est ce que montrent entre autres ces spectaculaires capacités de retournement, résilience, récupération, combativité, créativité, y compris psychique, dès lors que quelqu’un tend la main pour l’aider à quitter les situations d’oppression dans lesquelles elle se trouve."

La malédiction d’être fille est dédié À Mary, une fillette de 7ou 8 ans, rencontrée en mars 1994, au Sud-Soudan, pendant la guerre civile avec le nord du pays.

"Alors je lui demande : « Qu’est-ce que tu voudrais, si je pouvais te donner maintenant ce que tu veux ? » Elle ne réfléchit pas, ses yeux sont plantés dans les miens : « Je voudrais un cahier et un crayon. »"

            

                                                                                             DOMINIQUE SIGAUD

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