Filière comté : la Confédération paysanne veut interdire le glyphosate

Le syndicat qui défend des petites fermes autonomes a souvent proposé des mesures adoptées par les organisations majoritaires de la zone comté, comme la proscription des OGM et des résolutions anti-Tafta. Après l'exemple d'une ferme-ouverte à Salins-les-Bains, il proposera une visite à Saint-Julien les Russey le 28 avril.

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« Ce n'est pas le marché qui doit dire ce qu'on fait sur nos fermes ! Ce n'est pas le marché qui doit décider de la production de comté ! » Éleveur bio à Plasne, sur le premier plateau du Jura, Guy Mottet est un paysan agronome. Il n'a pas son pareil pour décrire, au coup d'oeil, la différence entre une prairie naturelle à la riche diversité floristique et un pré de fauche dopé aux « nitrates qui privilégient les graminées productives » au détriment des plantes plus tranquilles.

Il n'est pas contre les nitrates par principe. Selon leur forme, fumier enrichissant la terre dans la durée ou lisier nourrissant la plante au moment où elle en a besoin, les nitrates peuvent être le meilleur des fertilisants. Mais le lisier est un redoutable polluant des eaux s'il est épandu sous une pluie battante ou sur la neige, sur un sol superficiel où le karst affleure ou quand la végétation attend son heure en hiver. Si cet azote immédiatement assimilable est épandu quand les plantes redémarrent au printemps, c'est un fertilisant précieux qui remplace avantageusement les engrais chimiques, et donc une dépense en moins.

« Le sol n'est pas une station d'épuration »

« Sur nos terrains, c'est une catastrophe en été pour la flore, si seulement je pouvais mettre plus de paille et moins de lisier », dit Benoît Girod, du GAEC du fort Belin sur les hauteurs de Salins-les-Bains. Avantageusement orientée au sud, la ferme a beaucoup de terrains en pente : l'épandage est plus délicat et se fait à la main, avec une pompe et des longs tuyaux qu'il faut manipuler... « Le sol n'est pas une station d'épuration », ajoute Guy Mottet. Car l'ennui, c'est qu'on trop produit de lisier. En Bretagne, mais aussi sur la zone de l'AOP comté.

« Il faut arrêter le tout lisier », défend-il. Revenir au mélange des effluents d'élevage à tout ou partie de paille pour faire du fumier, du compost, est cependant plus facile à dire ou écrire qu'à faire. Depuis plus de trente ans, les fermes se sont restructurées, mises aux normes, modernisées, agrandies autour du lisier. Moins vite dans la zone comté qu'ailleurs, mais le résultat est là. Ajouté aux plans d'épandages aussi difficiles à respecter que rarement contrôlés, aux fosses à lisier qui débordent, notamment parce que la production a augmenté, la mutation de l'agriculture a engendré un monstre que peu de paysans ont voulu.

Conflit productivistes-régulateurs

Cette mutation, c'est le marché qui l'a conduite. La résistance des paysans a ralenti sa marche triomphale, mais elle s'est produite. D'abord avec le démantèlement des quotas laitiers par l'Union européenne, mais aussi avec une demande croissante, notamment à l'exportation. La filière comté avait les moyens de résister car elle détermine elle-même les quantités qu'elle produit, mais elle a succombé à l'augmentation de la production qui a doublé en 25 ans. La forte pression est également venue aussi de l'intérieur, notamment des fabricants-affineurs travaillant beaucoup à l'exportation, comme la coopérative des Monts de Joux, Entremont devenu Monts-et-Terroirs, Lactalis. Représentés au sein du CIGC où ils ont des alliés parmi des éleveurs productivistes et chez les distributeurs, ils auraient vu d'un bon oeil la fin de l'auto-limitation de production.

Le GAEC du fort Belin en quelques chiffres
220.000 litres de lait produits par une quarantaine de vaches sur 77 hectares... 85 tonnes de fumier et 850 m³ de lisier... Le chiffre d'affaires de 157.000 euros inclut 38.000 euros de primes PAC. L'excédent brut d'exploitation de 88.500 euros permet de consacrer 46.250 euros aux rémunérations et cotisations sociales. Ce qui fait 1400 euros par mois pour 1950 heures de travail annuel...

Mais la force du CIGC, c'est que deux des quatre collèges - les producteurs de lait et les transformateurs où les petites coop appartenant aux paysans restent importantes - sont animés par des militants de la régulation qui a aussi des partisans parmi les affineurs. Un compromis a été trouvé, mais les productivistes, s'ils n'ont pas gagné sur toute la ligne, l'ont emporté. La production de comté a atteint 60.000 tonnes et des perspectives d'augmentation figurent désormais dans le cahier des charges. Dans la limite inchangée de 4600 litres de lait à l'hectare alors que la moyenne constatée est de l'ordre de 3200 litres, les éleveurs peuvent augmenter de 300 litres + 10%.

Préserver les savoir-faire culturaux

On se base sur une référence de production de lait en 2012-2013 ayant augmenté de 8% depuis 2007 dans le Doubs et de 6% dans le Jura. Du coup, calcule Guy Mottet, on arrive à une possibilité d' « augmentation de la production laitière de 26% entre 2007 et 2015 » sur certains secteurs. Gérard Coquard, qui a vécu de l'intérieur les débats du CIGC, constate : « Il a fallu trancher, c'était ça ou rien... L'Union européenne ne limite rien par principe... On a eu des gros débats, beaucoup ont défendu l'idée de produire ce qu'ils voulaient ».

Du coup, la Confédération paysanne cherche d'autres angles d'attaque. Elle se réjouit d'avoir fait passer des délibérations anti-Tafta dans les chambres d'agriculture de la région, quelques années après après avoir convaincu sur le refus des OGM. Mais Guy Mottet craint les « OGM cachés que sont les plantes mutantes résistantes au glyphosate, c'est incompatible avec la notion de savoir-faire culturaux ». Il s'agit donc de faire évoluer le cahier des charges du comté qu'elle voudrait voir interdire le déchaumage chimique. Autrement dit, interdire le glyphosate, molécule active du trop fameux roundup de Monsanto.

« La civilisation industrielle est obsédée par la productivité... qui appuie la liquidation du monde paysan »

Bout à bout, ces mesures, prises de longue date ou revendiquées, permettent le maintien de petites fermes. La Conf met ainsi l'accent sur celles-ci en organisant des visites commentées où les paysans expliquent comment ils vivent et travaillent. Lundi 13 avril, c'était donc à Salins. Le 28, ce sera dans le Haut-Doubs, à Saint-Julien les Russey, chez Robert Nicod. « Si on n'a pas le comté, on ne vit pas », explique Benoît Girod devant une trentaine d'invités. Parmi eux Michel Cucherousset, ancien président de la coop de Chevigny, « philosophe » de la Conf : « la civilisation industrielle est obsédée par la productivité par personne. Cette notion est fondamentale car elle appuie la liquidation du monde paysan qui conduit à des fermes de 100 vaches, puis de 200 dans 20 ans... »

Il estime que le CIGC qui « regroupe des intérêts différents » est en danger : « le monde actuel, avec sa folie, veut limiter toute capacité d'organisation et d'autolimitation. Il y a 50 ans, le CIGC a été bâti par quelques hommes qui ont dit : nous ne voulons pas de quatre usines à lait en Franche-Comté. Ils n'étaient pas sûrs de ce qui allait arriver, mais ils ont eu raison. Aujourd'hui, 80% du comté est fabriqué par des coopératives appartenant à des paysans. Si on enlève ça, c'est fini ». 

Il est applaudi. On fait le tour de la ferme, on va voir les pâturages, l'ancienne porcherie de 250 places (arrêtée quand l'oncle est parti en retraite) qui abrite les génisses, le hangar à foin avec son ingénieux système de séchage. Au retour, la fondue est prête. Une fondue au soleil, ça le fait, non ? 

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