« En frapper un, pour en éduquer cent ! »

Le même jour, en juin 2022, des hommes et une femme sont enlevés dans plusieurs pays. L'action est revendiquée par l'IVC, l'Internationale des Victimes du Capitalisme. L'affaire secoue les équilibres du monde entier. L'inspecteur-chef El Gordete, un flic proche de la pensée anarchiste, mène l'enquête pour l'Espagne.

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7 MILLIARDS DE JURÉS ? Si ce roman avait été écrit en 2020, après l’épisode du Covid 19, on peut se demander quel homme, ou quelle femme, Frédéric Bertin-Denis aurait choisi de faire enlever par l’un des groupes du rassemblement de l’Internationale des Victimes du Capitalisme (IVC). Nul doute qu’il n’aurait eu que l’embarras du choix pour présenter des coupables devant le tribunal international du Net. Si le roman se déroule en 2022, l’imagination de l’auteur ne lui a pas permis d’envisager cette « catastrophe sanitaire » et au final de la lecture peu importe. En effet, tous les méfaits du capitalisme sont dénoncés dans ce récit policier… mais pas que. C’est aussi un réquisitoire brûlant contre les dérives d’un certain nombre d’individus, apôtres d’un système mondial et mondialisé dédié au dieu Argent.

Cinq citations en exergue, dont celle de Nelson Mandela :

Un combattant de la liberté apprend de façon brutale que c’est l’oppresseur qui définit la nature de la lutte, et il ne reste souvent à l’opprimé d’autre recours que d’utiliser les méthodes qui reflètent celles de l’oppresseur.

Victimes ou témoins du capitalisme mondialisé, sauvage, brutal, des femmes et des hommes ont bien retenu l’analyse de Mandela. Ils se sont organisés. En avril 2020, impossible de ne pas penser que le scénario écrit par Frédéric Bertin-Denis pourrait bien quitter le registre de la fiction pour entrer dans celui de la réalité, si des mesures radicales ne sont pas prises par les puissants de ce monde.

Le 9/06/2022, l’AFP et REUTERS s’affolent. En France, Pierre-Henri de la Marjolie est enlevé par un commando de six hommes masqués. PHM est pressenti comme le futur président de la Cour des comptes. Trois morts sont à déplorer.

Le même jour, au Brésil, Gustavo Almeida de Abreu, a été grièvement blessé au cours d’une tentative d’enlèvement. Le communiqué précise que l’homme défend le président Bolsonaro et sa politique de déforestation depuis son élection en 2018.

En Australie : enlèvement probable du magnat des médias Graham Matlock, âgé de 75 ans.

Aux environs de Cordoue, toujours le même jour on assiste, en direct, à l’enlèvement de Pedro Belmonte de la Isla, le patron de la multinationale Desmantex, leader du textile en Europe, et l’on fait connaissance d’un certain nombre des protagonistes de l’affaire qui deviendra une affaire internationale. Pilar, par exemple. Une femme qui va au bout de ses convictions. Jorge Casado Belaster, chargé d’ouvrir le procès, malgré la maladie qui risque de l’emporter bientôt. Felipe et Victor… El Gordete, le flic chargé de l’enquête en Espagne, va devoir les démasquer, reconstituer leurs trajectoires personnelles et politiques. S’il les comprend, il ne peut adhérer totalement à leur action. C’est donc à un travail d’enquêteur équilibriste qu’il va devoir se livrer. Au sein même de ce groupe, il arrive que des dissensions éclatent.

- Non. je comprends que tu veuilles éliminer ce salopard, mais le but de l'opération n'est pas la vengeance… Sinon, on serait obligé de massacrer des milliers de Pedro Belmonte… Souviens-toi de notre devise : En frapper un, pour en éduquer cent !

Un extrait du communiqué de l’IVC, qui annonce la couleur :

[…]

Cette femme et ces hommes se sont rendus coupables de crimes économiques contre l’humanité. Étant donné l’absence de l’existence d’un tribunal international compétent, ils seront donc jugés par un tribunal populaire.

Ils sont les premiers à faire face à leurs juges.

D’autres suivront !

Si les profiteurs du système (banquiers, lobbyistes, traders, affairistes…) et leurs bras armés (politiciens, flics, journalistes, avocats d’affaires, patrons de multinationales…) ne veulent pas subir le même sort, c’est simple : il suffit d’accepter le partage équitable des richesses et de l’arrêt de la rémunération immorale du capital !

[…]

Signataires : New Weather Underground Organisation ; Death Of Capitalism In Africa ; Peoples Energy Group Itô Noe ; Pour Un Monde Meilleur ; MOVER (commando Ali Ismail Korkmaz) ; Anti Mind Control Movement ; Salvar a Diversidade Humana e Ecológica em Amazonia.

Frederic Bertin-Denis est un fin connaisseur des mouvements terroristes, des mouvements dits alternatif, il est un fin connaisseur du mouvement anarchiste, il est un fin connaisseur du fascisme, de l’Espagne sous le fascisme… Lire un de ses romans, c’est lire un polar, mais pas que… C’est recevoir des informations fiables, c’est lire une écriture engagée, et au final, c’est lire une belle leçon d’humanisme. Même si le projet de Frédéric Bertin-Denis n’est sûrement pas de donner des leçons à qui que ce soit. Tout au plus aide-t-il à réfléchir, à penser mieux peut-être. À penser autrement, à coup sûr.

Fin connaisseur de l’Espagne, donc, de ses résidus franquistes, il nous avait déjà régalés avec Viva la Muerte ! Une somme sur l’après-franquisme, un polar dans lequel l’inspecteur-chef Manolo El Gordo, dit El Gordete mène une enquête à risques en se replongeant dans les arcanes du franquisme, ainsi que dans son passé familial. Nous le retrouvons, dans 7 MILLARDS DE JURÉS ?, ainsi que son épouse, la talentueuse Remedio. Elle est médecin légiste, son avis compte pour ce flic atypique à plus d’un titre. S’ils ont en commun le fait de s’attaquer avec fougue aux enquêtes les plus tordues, El Gordete et Remedio partagent aussi l’amour d’un bon moment passé à table.

Le fumet de l’assortiment de fruits de mer qu’ils avaient commandé interrompit la discussion. Une mosaïque de couleurs et d’odeurs envahit la petite table : coquille Saint-Jacques dans sa réduction d’orange amère, almejas au vinaigre de gingembre, coques à la crème, queues de homard flambées au cognac et gambas à l’ail, le tout accompagné de petits légumes revenus dans un filet d’huile d’olive et d’une bouteille de verdejo très frais. Tout ça, en tête à tête avec la femme de sa vie. Que demander de plus ! pensa El Gordete.

Ce n’est qu’après avoir goûté et commenté tous les plats qu’ils revinrent à l’affaire qui les occupait.

C’est-à-dire l’enlèvement de Pedro Belmonte de la Isla, en connexion avec les enlèvements de Pierre-Henri de la Marjolie en France, de Hiro Katajima au Japon, d’Ayedeke Obayama en Afrique, de Debra Spellman, de Graham Matlock, et de la tentative d’enlèvement de Gustavo Almeida de Abreu.

L’enquête d’El Gordete sera facilitée par une partie de son équipe sur qui il peut compter les yeux fermés, et par un ancien flic lui aussi atypique. Elle sera rendue difficile par le fait qu’on lui impose Adolfo Jimenez.

C’est le CNI qui nous l’envoie. C’est un ancien du GEO, chuchota le commissaire. Il va vous aider dans cette affaire si délicate.

Le CNI : Centro Nacional de Intelligencia, c’est le service de renseignements intérieur et extérieur espagnol. Le GEO : Groupo Especial de Operaciones, c’est le groupe d’intervention de la police pour les opérations à haut risque. Et Jimenez, ancien Skin est proche, très proche des milieux d’extrême-droite espagnols.

El Gordete évalua son partenaire imposé. D’emblée, il le détesta. Une caricature de barbouze ! Costard noir taillé sur mesure déformé par le holster de son gun, chemise blanche gonflée par des pectoraux impressionnants, cravate fine, godasse immaculée, lunettes de soleil, visage bronzé, crâne rasé. Pas un sourire, ni une mimique. Impassible comme il se doit ! Seul bémol, l’agent Jimenez était petit. Sans doute juste la taille minimale pour entrer dans la police.

Renseignements pris auprès d’un collègue du CNI, El Gordete en apprend un peu plus sur celui qui deviendra, dans cette affaire, son pire ennemi et qui aura presque le dernier mot. Presque, seulement, car…

- Ce type est dangereux. Il est arrivé chez nous après avoir été mis en retraite d’office des GEO. Tout ce que je sais, c’est qu’il a dérapé plus d’une fois en mission et que la dernière a été celle de trop. La rumeur veut qu’il ait tué de sang-froid un gosse qui manifestait avec les indignés du 15 M… il a été blanchi, mais tu connais la chanson. Pas de vague ! Je n’ai jamais lu son dossier et avant que tu me le demandes, je n’y ai vraiment pas accès. Classé secret défense. Mais toujours d’après la rumeur, avant d’être flic, le mec était un skin branché néonazi. Je n’ai pas l’impression qu’il ait beaucoup changé.

El Gordete, lui, s’il aime, dans l’ordre, Remedio, quelques amis sûrs, la bonne bouffe, l’alcool… est plutôt rondouillard, voire même ventru. Il défend un certain nombre de principes, pas toujours en accord avec ce que l’on attend d’un flic. Même si au fil de son enquête il se sent des affinités avec l’IVC, il n’accepte pas que certaines limites soient franchies. Une enquête toute en tension, donc. Difficile le lutter contre un groupe terroriste, tout en partageant certaines de leurs analyses…

Dans les atouts d’El Gordete, son pote Fernando

Fernando avait été viré de la police de Barcelone deux ans auparavant. Il avait été accusé d’insubordination répétées par sa hiérarchie. Mais dans la maison Poulaga, tout le monde savait que c’était la coalition curés, industriels, banquiers et réactionnaires en tout genre qui avait eu sa tête. Licencié sans indemnités, Fernando s’était converti en journaliste. Il se consacrait à plein temps à la publication d’un fanzine anarchiste à Barcelone. […] Figure incontournable des milieux alternatifs depuis de décennies, il était incollable sur tous les mouvements anarcho-communo-altero-écolo, même les plus confidentiels. Et il sait tout, ou à peu près, ce qu’il faut savoir sur les groupes qui ont signé le manifeste.

- […] Pour faire simple, les signataires sont tous des groupes nés dans les années 1990-2000. La plupart se sont constitués dans la mouvance des grands mouvements de contestation autour du G7, G8 et d’autres G20. Gênes, Seattle… Ça te dit quelque chose… ?

[…]

– Bref, rien de bien nouveau dans le petit monde de l’alter-mondialisme. En revanche, le glissement vers la clandestinité et la radicalisation, c’est plus récent. Si tu prends MOVER, le groupuscule qui t’intéresse en Espagne, je pense qu’il ne compte pas plus de 30 membres et sympathisants. C’est la partie la plus extrémiste du mouvement des indignés du 15 M. Ils refusent de jouer le jeu dévoyé de la démocratie. Du coup, ils se sont opposés à PODEMOS et sont entrés en dissidence. Depuis plus d’un an, j’entends parler d’eux. Ils seraient montés sur pas mal de braquage et plusieurs de leurs leaders ont disparu des écrans radars…

Pendant qu’El Gordete mène son enquête en Espagne, des informations via You Tube parviennent au monde entier.

Nous affirmons que l’unique chemin à suivre est celui de l’anarchisme…

D’abord, les deux enquêteurs trouvèrent l’image floue, puis elle s’éclaircit. Placé devant une banderole floquée du sigle d’IVC, ils reconnurent instantanément un des visages qui s’étalaient depuis le matin à la une de toute la presse. Le plan américain ne favorisait pas Hiro Katajima. Épaules voûtées, les yeux baissés vers le sol, il ressemblait à un pénitent. Cette impression était renforcée par les hoquets qui ponctuaient les sanglots du directeur de la compagnie d’électricité d’Hokkaido.

Une femme-ninja montre des preuves accablantes sur la nature de l’homme que son groupe a enlevé.

La femme-ninja s’exprima moins d’une minute en exhibant des photos sexuellement très explicites de Katajima violant de très jeunes filles. Elle termine par la déclaration de principes qui clôtura le congrès constitutif de la Fédération Anarchiste Japonaise, le 12 mai 1946 à Tokyo.

Nous affirmons que l’unique chemin à suivre est celui de l’anarchisme qui combat pour une société basée sur la liberté, l’égalité et l’entraide mutuelle. Nous insistons sur la nécessité d’établir une fédération de peuples libres et autonomes, basée sur l’indépendance de tous les peuples du monde. Nous convions le peuple japonais et tous les peuples de la terre à lutter contre tous les gouvernements, contre le capitalisme et contre la réaction.

Peu de temps après la diffusion, El Gordete reçoit la transcription de la déclaration de Katajima. Un mea-culpa en bonne et due forme qui se termine par : Je vous demande pardon…

La voix de la femme Ninja reprend : […] Nous, Peoples Energy Group Itô Noe, déclarons au nom de l’IVC, Hiro Katajima coupable de crimes économiques et environnementaux contre l’humanité et de violences sexuelles répétées. Sa peine sera communiquée ultérieurement… Le combat continue ! Vive IVC !

Le même protocole est adopté pour les autres otages d’IVC, avec, en plus de la dénonciation de leurs méfaits et de leurs crimes, le rapt de leurs avoirs, des sommes vertigineuses. Cet argent récupéré par IVC servira à la construction de leur projet commun. En ce qui concerne Katajima, il devra rendre les 250 milliards de yens qu’il a perçus indûment au cours de sa carrière. Cet argent sera versé intégralement aux organisations qu’il a spoliées, ainsi qu’à plusieurs associations défendant le droit des femmes.

Pendant que le monde entier est en ébullition, El Gordete essaie d’apporter sa pierre à la résolution de l’affaire, dans sa version espagnole.

Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’à l’International, ce n’est pas terrible…

À seize heures, Vasquez-Higuerro fit appeler Manolo dans son bureau.

[…]

– Je viens d’avoir le Général Fortès, débita-t-il d’un ton saccadé accompagné de bruits de succions, il m’a fait un point sur la situation à l’International. Le moins que l’on puisse dire, c’est que ce n’est pas terrible…

Manolo saisit une chaise et s’assit pour écouter son chef.

– … du côté français, l’UCLAT est débordée. Depuis les attentats de 2015 contre Charlie-Hebdo et le Bataclan, l’unité se concentrait essentiellement sur les islamistes, mais voilà que maintenant il faut qu’ils se divisent pour courir après les anars du PUMM. Pour le moment, le seul nom qu’ils ont grâce à la photo de Porto Alegre, c’est Alain Roumécipau. Il n’est pas inconnu de leurs services. Ce type est un activiste professionnel depuis son plus jeune âge. […] jusqu’à l’attentat contre monsieur de la Marjolie, il faisait partie de ce qu’on appelle en France des zadistes… d’après ce que j’ai compris, ce sont des espèces de traine-savates qui empêchent la construction de toute nouvelle infrastructure sous des prétextes fallacieux.

– Si l’écologie et l’humanisme sont des prétextes fallacieux, très bien… ironisa Manolo.

– Évidemment vous connaissez ces éléments subversifs et je suis sûr que vous les approuvez, s’emporta Vasquez-Higuerro en tournant une page de son carnet.

Il y a trop de morts sur votre route

Pour El Gordete et l’enquête espagnole, le final est éblouissant de tension dramatique. Dans une forêt de pins, le cadavre de Pilar, El Gordete, un cerf majestueux, le répugnant flic Adolfo Jimenez à la poursuite d’El Gordete, et Victor Saez.

– Je suis l’inspecteur-chef Manuel El Gordo.

– Je sais qui vous êtes ! l’interrompit Victor, je suis presque content que ce soit vous qui m’arrêtiez… On m’a dit que vous étiez plutôt réglo. Même assez proche de nos idées ?

– C’est vrai, mais ça ne veut pas dire que je vais te laisser partir. Toi et tes amis êtes allés trop loin. Il y a trop de morts sur votre route.

… quand une détonation retentit

Manolo s’approchait doucement de Victor tenant son pistolet d’une main et les menottes de l’autre, quand une détonation retentit.

31 décembre 2022, sept mois après les premiers enlèvements

Une action concertée d’IVC déboucha sur l’enlèvement de quatre-vingts criminels économiques dans quatre-vingt pays différents. Dans le même temps, la prise de contrôle des systèmes d’information de nombreux lieux stratégiques déboucha sur un blocage économique sans précédent. En conséquence, dans les grands ports mondiaux, les porte-conteneurs géants ne pouvaient plus ni accoster ni être déchargés par des machines automatiques qui s’animaient de façon aléatoire dans un joyeux chaos. Les aéroports furent dans l’incapacité de faire décoller le moindre avion. Les voitures et camions connectés prirent un malin plaisir à percuter chaque mur qui se présentait à eux.

[…]

Alors que toute la planète envoyait ses vœux ou s’apprêtait à le faire, Internet s’éteignit.

Quand les écrans se rallumèrent, le flambant neuf système d’exploitation d’IVC s’imposa en proposant l’intégralité des infos économiques, politiques, personnelles de tous les services de renseignement du monde.

Tous les anciens maîtres du Net furent phagocytés par les programmes d’IVC. Les serveurs piratés effacèrent intégralement toutes les données recueillies depuis des dizaines d’années.

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