Deux maires anti-pesticides devant la justice

Comme partout en France, plusieurs communes franc-comtoises ont pris des arrêtés pour limiter ou interdire l’usage de produits phytosanitaires sur leur territoire. Jeudi 14 novembre, il n’y avait pas un maire devant la justice à Besançon, mais deux. Emmanuel Cretin de Nans-sous-Sainte-Anne, qui a bénéficié du soutien d’une centaine de personnes et Michel Piernavieja de St-Julien-lès-Montbéliard, seul devant le tribunal administratif pour défendre son arrêté attaqué par la préfecture.

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Des habitants de Nans-sous-Sainte-Anne, des membres de la Confédération paysanne, des militants du mouvement « Nous voulons des Coquelicots » et quelques « pisseurs de glyphosate », ces citoyens qui ont porté plainte contre Monsanto après avoir fait des tests révélant des taux inquiétants de cet herbicide dans leurs urines. Une centaine de personnes s’était mobilisée ce jeudi après-midi devant le tribunal administratif de Besançon, pour soutenir Emmanuel Cretin, le maire de Nans-sous-Sainte-Anne, et le bien-fondé devant la justice de son arrêté qui interdit tous les pesticides sur sa commune. Au centre de l’attention, écharpe tricolore en bandoulière, le maire salue ses soutiens.

Il est convoqué devant le tribunal pour un arrêté municipal pris le 1er octobre dernier, « à l’unanimité du Conseil », souligne-t-il, et qui interdit l’utilisation de tout produit phytosanitaire sur l’ensemble de la commune. Cette décision s’inscrit dans une démarche environnementale entamée il y a plusieurs années, avec notamment l’arrêt de l’utilisation de ces produits pour l’entretien des espaces communaux, cimetière compris, la sensibilisation des habitants à la dangerosité des pesticides et, plus récemment, le soutien au mouvement des Coquelicots. « Ce n’est pas un coup de buzz, mais la suite logique de certaines décisions », explique le maire.

L’édile a potassé son dossier, et présente sa défense sans avocat, « pour assumer jusqu’au bout ». Après que la représentante de la préfecture a rappelé qu’il n’était pas du ressort des maires, mais d’une police spéciale du ministère de l’Agriculture, de prendre de telles décisions, Emmanuel Cretin se défend dans un discours d’un quart d’heure, arguant qu’il est « dans son bon droit puisque l’État est défaillant sur ce dossier et qu’il y a un danger imminent ».

Consciencieusement, il liste les études qui prouvent les risques liés à l’usage des pesticides, rappelle que les maires ont le pouvoir de police sanitaire en l’absence d’action de l’État, et souligne les carences de celui-ci en matière de protection de la population face à ces produits. Il insiste également sur le contexte hydrogéologique karstique de sa commune, qui abrite notamment les sources du Lison et un point de captage d’eau.

 « Un danger grave »

En sa faveur, il y a notamment la décision récente du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, à laquelle il fait souvent référence, et qui a, pour la première fois donné raison à deux communes ayant pris ce même type d’arrêté. Le 9 novembre, le juge des référés a en effet admis que « les produits phytopharmaceutiques constituent un danger grave pour les populations exposées et que l’autorité administrative n’a pas pris de mesures suffisantes en vue de la protection de la santé publique » et « qu’eu égard à la situation locale [des espaces publics très fréquentés par des populations vulnérables], c’est à bon droit que ces maires ont considéré que les habitants de leurs communes étaient exposés à un danger grave, justifiant qu’ils interdisent l’utilisation des produits en cause ».

Il y a également la décision du Conseil d’État en juin dernier d’enjoindre l’État à prendre des mesures de protection de la population par rapport aux dangers des produits phytosanitaires, qui a conduit à la mise en place d’une consultation publique sur les distances d’épandage.

Contre lui pèsent les dizaines de décisions de suspension d’arrêtés du même genre, la première de cette longue série concernant la commune de Langouët (Bretagne), intervenue fin août. Le tribunal de Cergy-Pontoise a d’ailleurs suspendu l’arrêté de Courbevoie après avoir maintenu celui de Sceaux et de Gennevilliers. Quant à celui de Besançon, il a systématiquement donné raison à la préfecture pour les quatre cas qu’il a déjà eu à traiter : Audincourt, Boussières, Mandeure et Devecey. Le jugement sera rendu d’ici quelques jours, et, comme pour les autres communes, il y aura un jugement sur le fond[GC1] [GC2] , toujours au tribunal administratif, afin de faire annuler, ou non, la décision municipale.

Une seconde affaire du même type à l’ordre du jour

Environ 80 villes en France ont pris des arrêtés de ce type. Le premier jugement sur le fond a été rendu le 25 octobre dernier, et a annulé l’arrêté du maire de Langouët. En Franche-Comté, il semblerait que seules des communes du Doubs ont pour l’heure pris de telles mesures. Mais certaines le font avec moins de médiatisation.

En effet, jeudi, alors que le tribunal se vide après la prise de parole de Emmanuel Cretin, une seconde affaire du même type est à l’ordre du jour. Seul dans la salle d’audience, le maire de Saint-Julien-lès-Montbéliard défend son arrêté qui interdit l’usage de produits phytosanitaires dans un rayon de 150 m autour des habitations. Lui aussi a pris cet arrêté après en avoir discuté avec le Conseil municipal, qui a choisi de le soutenir à l’unanimité sauf une voix qui s’est abstenue, celle d’un agriculteur de la commune.

« Je ne suis pas contre les agriculteurs. Sur la commune, toutes les exploitations sont en polyculture-élevage, donc ils peuvent réserver les terres proches des habitations aux bêtes », indique Michel Piernavieja. S’il a eu moins le temps de préparer sa défense que son prédécesseur, il s’appuie lui aussi sur les mêmes textes et dénonce également les carences de l’État en la matière. Et il rappelle qu’il « n’y a pas urgence à suspendre cet arrêté, bien au contraire, il y a urgence à légiférer sur les pesticides ».

Des arrêtés qui ne sont pas anti- agriculteurs

Alors qu’il n’y a à Nans-sous-Sainte-Anne qu’un agriculteur en bio, il y en a trois en conventionnel installés à Saint-Julien-lès-Montbéliard, dont au moins un trouvait « normal » l’arrêté. La FNSEA explique : « on n’est pas techniquement attaqués. Le glyphosate n’est pas un produit qu’on utilise tous les jours et les arrêtés n’ont pas eu le temps d’être appliqués. Mais ça crée une mauvaise ambiance, ça contribue à l’agri-bashing», indique Thibaut Périnet, directeur de la FDSEA du Doubs. Pour les maires qui ont pris ces arrêtés, il s’agit pourtant en premier lieu de protéger les habitants de leurs communes, « à commencer par les agriculteurs eux-mêmes qui sont les premières victimes », rappelle Emmanuel Cretin.

Il s’agit également de « soulever l’incohérence de l’État, qui nous oblige à former les agents communaux à l’usage des pesticides en 2015 pour les interdire en 2016 », indique Bertrand Astric, maire de Boussières, dont l’arrêté, qui interdisait tout épandage de produits phytosanitaires contenant du glyphosate sur l’ensemble de la commune, a été suspendu le 16 septembre. « D’un côté, l’État nous dit que c’est dangereux, de l’autre il continue d’autoriser son usage par la SNCF ou les agriculteurs », déplore-t-il encore. La commune n’a pas fait appel du jugement en référé-suspension, mais attend avec impatience le jugement sur le fond pour obtenir des explications.

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