Comique, on a retrouvé le Théâtre Group’

Le dernier spectacle de la troupe lédonienne n'était pas au point lorsqu'il a été présenté en mai 2014. La nouvelle version est plus musclée, plus équilibrée et enfin mise en scène.

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Le rire est le propre de l'homme, parait-il. Mais ça dépend de quel rire, alertait Léo Ferré. J'étais consterné en mai dernier lorsque le Théâtre Group avait présenté son dernier spectacle, Comique. Je l'avais écrit dans un article aussi violent que mon enthousiasme passé découvrant l'inspiration fulgurante et joyeusement foutraque de ses comédiens.

Cinq ou six résidences plus tard, après avoir remis l'ouvrage sur le métier, la troupe jurassienne a fait heureusement évoluer son propos, son jeu, et la mise en scène tient désormais la route.

Car en fait, se prendre soi-même pour sujet de son propre travail, c'est certes déjà vu, c'est surtout casse-gueule quand on prétend décortiquer les ressorts du rire. Des rires. Si tous ont le même ressort physiologique, comme tente de le démontrer lors d'un final en queue de poisson Patrice Jouffroy, on peut en effet parler du rire.

Une rupture, une distance, une incongruité...

Mais si, comme le spectacle s'efforce de le montrer, il n'y a pas un ressort, mais des ressorts, alors ça change tout. Peuvent-ils cohabiter ? Communiquer ? Coexister ? La question n'est plus physiologique, plus seulement celle de l'air qui s'expulse joyeusement des poumons, titillant en saccades les cordes vocales, pouvant secouer le patient ou le tordre. Elle devient culturelle, politique, philosophique, magique. A la rigueur psychologique, voire psycho-linguistique quand on réalise qu'il faut une rupture, une distance, une incongruité...

On voit dès lors qu'on ne rit pas avec n'importe qui. Ni n'importe quand, ni de n'importe quoi, ni n'importe où. Et si certains le pensent, il y a toujours quelqu'un pour rappeler que le rire, aussi, a ses conventions. C'est finalement cela que Comique explore. Il fait s'entrechoquer plusieurs conceptions de l'humour et ça fonctionne. Même quand il pousse le bouchon consistant à mettre en boîte les spectateurs, ou vendredi dernier les spectatrices invitées à « raconter une histoire » qui, fatalement seront étrillées parce qu'un peu trop ci ou trop ça. En l'occurrence, un peu trop repas de famille, un peu trop longue, un peu trop catalogue...  

La lutte des rires

En fait, le risque en parlant d'humour, c'est de chercher à être drôle. De tenter le forcing pour faire rire. La première version avait célébré la victoire de certains rires sur d'autres. Parce qu'il y a une lutte des rires, comme il y a - certains disent il y avait - une lutte des classes.

Et puis, il y a le rire commercial, celui que les télés marchandes (de temps de cerveau disponible, on finit par le savoir) promeuvent parce qu'il est jetable, remplaçable, construit sur un quotidien rétréci à la consommation, de soi-même, de l'autre, de l'amour... Ce rire là tente du tuer la poésie et l'émotion. Car qu'est-ce que le rire sans ce qui l'amène, le provoque, le suscite, l'entraîne ? Y a-t-il le rire au milieu de rien ? Déconnecté de la vie ?

Patrice Jouffroy tragédien !

Du coup, en assistant à ce nouveau Comique, on voit les différents ressorts, les personnages s'affronter. L'accordéoniste Laurent Peuzé n'est plus tout seul à jouer un personnage qui ne sait s'exprimer qu'en chantant à tue-tête et bredouiller dès qu'il cherche à parler. Il est comme le témoin des impasses des autres qui insupportent Patrice Jouffroy.

Bernard Daisey fait dans le comique de répétition, d'exagération moqueuse, mais dès qu'il dérape dans le graveleux, Jouffroy, qui le contrait piteusement il y a dix mois, s'est enfin mué en tragédien garant de l'acceptable - de la tradition du Théâtre group ? - , sortant de ses gonds d'une façon qui ne fait rire personne mais tient le public en haleine. Parce que c'est sérieux et grave. On n'est pas obligé de rire de tout, même quand le spectacle s'appelle Comique.

On peut même lui savoir gré de s'offusquer enfin avec conviction du rire ignoble, supérieur, méprisant, raciste, antisémite, sexiste, réac. On a le droit, le devoir éthique, de dire, de hurler stop quand le rire devient insupportable. Quand il ne fait pas rire... et qu'à la fin on en rigole parce que cette bande là prend le dessus avec le mot pour rire

 

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