Ce savoir qui conduit à la sérénité

Dans son essai sur la question de la mort, « Le jardin d’Épicure », Irvin Yalom emprunte des pistes de réflexion, des amorces de réponses, à la philosophie, à la littérature et au cinéma, mais aussi aux patients qu’il reçoit en thérapie.

jardindepicure

Pour devenir sage apprends à écouter les chiens sauvages qui aboient dans ta cave.

C’est avec cette citation de Nietzche que le thérapeute et écrivain Irvin Yalom répond à une interrogation de Mark, lui-même thérapeute.

Dans son essai sur la question de la mort, Le jardin d’Épicure, Irvin Yalom emprunte des pistes de réflexion, des amorces de réponses, à la philosophie, à la littérature et au cinéma, mais aussi aux patients qu’il reçoit en thérapie. Son objectif, à l’instar des philosophes, est de nous aider à panser la blessure de la mortalité et à nous aider à façonner des vies harmonieuses et paisibles.

Le Jardin d’Épicure, d'Irvin Yalom, Galaade Éditions, 320 pages, 22,90 €.

À panser la blessure de la mortalité, et aussi à la penser.

Rude tâche à laquelle il se livre. Une maxime de François de La Rochefoucauld, la maxime 6 qui figure en exergue de l’essai, apporte un complément d’éclairage sur la difficulté qu’il y a à accomplir certains actes.

Le soleil ni la mort ne se peuvent regarder en face.

En ce qui concerne la mort, la leur ou celle des êtres qui leur sont chers, certains parlent d’inquiétude, ou d’angoisse, ou d’effroi, ou de terreur. C’est de ces sentiments souvent paralysants dont s’entretient Yrvin Yalom avec ses patients. Il n’hésite pas à parler de lui, aussi.

Nous le savons, avec une conscience diverse suivant l’âge que nous avons, l’expérience que nous avons de la mort, notre histoire personnelle, notre caractère… nous savons donc que nous allons mourir. Pas moyen d’y échapper ! Et quand Irvin Yalom dit qu’il va s’attaquer à cette question éminemment angoissante, il ne tourne pas autour du cercueil ou de l’urne funéraire de façon alambiquée. Non. Droit au but.

Qu’est-ce que la mort ? Est-ce que ça ressemble à l’état dans lequel nous étions avant que de naître ? Est-ce qu’il y a un après ? À quoi sert de vivre puisque nous allons mourir ?

Des questions qui reviennent, lancinantes, malgré les pièges que nous inventons pour les anéantir. Les questions de la mort et de l’utilité de vivre se posent tout particulièrement à l’adolescence. La question de sa propre mort revient lors des grandes étapes que sont, 50 ans, 60 ans, le départ à la retraite…

Nietzche encore, prétend que Quand nous sommes fatigués, nous sommes assaillis par des pensées que nous avons dominées il y a longtemps.

Des questions. Quelles réponses ?

La religion ?

S’il respecte profondément les religions et les autres croyances (un de ses patients croit aux extraterrestres), Irvin Yalom ne croit en aucun Dieu. Pas de Paradis, pas de Purgatoire, pas d’Enfer, pas de vies multiples sous une forme ou sous une autre, pas de Vierges aux seins voluptueux qui attendraient les valeureux guerriers coupeurs de tête, égorgeurs, violeurs, et autres joyeusetés commises au Nom d’un Tout Puissant.

Il faut dire, et là c’est moi qui le dit, que les religions ont la fâcheuse tendance, ou ont eu la fâcheuse tendance à commettre le pire au nom d’une instance Toute Puissante !

Il y a un dialogue passionnant entre lui et un jeune rabbin qui souhaite devenir thérapeute. Le dialogue serait sans doute le même avec un prêtre, un pasteur…

Irvin Yalom : « Votre souci est fondé, rabbin, l’interrompis-je. Il existe un antagonisme fondamental entre nos points de vue. Votre croyance en un Dieu personnel omniscient, omniprésent, qui vous observe, vous protège et vous fournit des règles de vie, est incompatible avec ma vision existentielle de l’humanité, libre, mortelle, jetée seule au hasard dans un univers indifférent. … »

Le rabbin : « Mais vous, répliqua-t-il, le visage soucieux, comment pouvez-vous vivre avec ces seules convictions ? Une vie privée de sens ? … Comment pouvez-vous vivre sans croire à quelque chose de plus grand que vous-même ? C’est impossible, je vous l’affirme. C’est vivre dans l’obscurité. Comme un animal. Quelle signification aurait la vie si tout était destiné à s’effacer ? Ma religion m’offre signification, sagesse, moralité, un réconfort divin, une manière de vivre. »

Irvin Yalom : … « Vous demandez comment je peux vivre. Je pense que je vis bien. Je suis guidé par des doctrines humaines. Je crois dans le serment d’Hippocrate que j’ai prêté en tant que médecin, et je me consacre à aider les autres à guérir et à devenir plus forts. Je vis une vie morale. Je ressens de la compassion pour ceux qui m’entourent. Je vis une relation d’amour avec ma famille et mes amis. Je n’ai pas besoin de religion pour me fournir des orientations morales. … »

Chez Yalom, l’ici et le maintenant.

L’exercice de notre responsabilité envers nous-mêmes et envers les autres.

Nietzche revendiquait deux phrases de « granit » suffisamment dures pour résister à l’érosion du temps. « Deviens qui tu es » et « Ce qui ne me tue pas me rend plus fort. » …

Il disait, accomplissez vous, réalisez votre potentiel, vivez hardiment et pleinement. Puis alors, et alors seulement, mourez sans regret.

Une des formules favorites de Nietzche est ‟amor fati” (aime ton destin) : en d’autres termes, crée un destin que tu peux aimer.

Mais une fois que l’on a créé un destin que l’on peut aimer, que reste-t-il de nous après la mort ?

Irvin Yalom propose une très belle notion. Celle du rippling.

Le rippling, ou effet de rayonnement, se réfère au fait que chacun d’entre nous produit – souvent involontairement, inconsciemment – des cercles d’influence concentriques qui peuvent affecter les autres pendant des années, voire des générations. …

L’idée de transmettre quelque chose de nous même, même inconsciemment, est une réponse persuasive à ceux qui prétendent que l’insignifiance de notre vie découle inévitablement de notre finitude et de notre impermanence.

Plus loin, Irvin Yalom, fait un court résumé des trois essais que Schopenhauer a écrit tard dans sa vie. Dont celui-ci :

C’est seulement ce que nous sommes qui importe vraiment. Une bonne conscience, dit Schopenhauer, signifie davantage qu’une bonne réputation. Notre but principal, selon lui, devrait être une bonne santé et une grande richesse intellectuelle, qui permet d’avoir accès à une quantité illimitée d’idées, à l’indépendance et à une vie morale. « Ce ne sont pas les choses qui nous troublent, mais notre interprétation des choses » ; le savoir conduit à la sérénité.

Le savoir conduit à la sérénité.

Lorsqu’une des patientes de Yalom perdit sa mère, elle prononça une courte allocution au cours des funérailles. Une des phrases favorites de sa mère lui revint à l’esprit : « Cherchez-la parmi ses amis. »

Nous restons chez les autres.

Des questions ? Des réponses.

Elles sont plurielles dans Le jardin d’Épicure. En s’y promenant le lecteur pourra y trouver la sienne, ou les siennes.

Comment Épicure tenta-t-il de surmonter l’angoisse de la mort ? Il avait formulé une série de théories solidement argumentées, que ses disciples apprenaient comme un catéchisme. Ces théories ont été largement débattues durant les deux mille trois cents ans passés, et sont toujours pertinentes. … je m’intéresserai aux trois plus connues d’entre elles…

  1. La mortalité de l’âme.

  2. L’ultime néant de la mort.

  3. La théorie de la symétrie.

La troisième théorie d’Epicure veut que notre état de non-être après la mort soit identique à celui qui était le nôtre avant la naissance. Malgré les nombreuses querelles philosophiques concernant cette théorie ancienne, je persiste à croire qu’elle a toujours le pouvoir de réconforter les mourants.

Parmi ceux, très nombreux, qui ont réaffirmé cette théorie au cours des siècles, aucun ne l’a fait aussi admirablement que Vladimir Nabokov, le grand romancier russe, dans son autobiographie, Autres rivages, qui commence par ces lignes : « Le berceau se balance au-dessus d’un abîme, et le bon sens nous dit que notre existence n’est qu’un bref éclair de lumière entre deux éternités d’obscurité. Bien que tous deux soient d’identiques jumeaux, l’homme, habituellement, considère l’abîme prénatal avec plus de calme que celui vers lequel il se dirige (à quelque quatre mille cinq cents battements de cœur à l’heure).

Le Jardin d’Épicure se lit comme un roman. Les personnages en sont ceux de la « vraie vie », pour qui le lecteur peut éprouver un sentiment d’empathie et se retrouver dans les tourments qui les ont conduits chez le thérapeute Irvin Yalom. Les écrivains, les cinéastes, les philosophes surtout, apportent un peu de hauteur, et surtout, ce savoir qui conduit à la sérénité.

Newsletter

Lisez la Lettre de Factuel

ABONNEZ-VOUS À LA NEWSLETTER !