Bien urbain : en attendant la ville utopique…

Le festival des arts dans l'espace urbain s'achève les 7 et 8 juillet avec la construction collective puis la destruction festive d'un arc de triomphe en cartons à Besançon. Mais depuis le 8 juin et une exposition en hommage à Bilal Berreni/Zoo Project (photo), tout n'aura pas été aussi éphémère... Quoique.

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Comment traiter de Bien Urbain ? Comment parler d'une manifestation culturelle bisontine qui depuis quelques années, à bas bruit, modifie par petites touches l'environnement visuel ? Donc la perception de la ville. Comment rendre comte d'un événement programmé sur un mois mais qui continue au-delà à laisser des empreintes sur les murs et dans les esprits ? Comment considérer les interventions de quinze artistes dont les noms ne nous disent rien mais qui sont parfois internationalement (re)connus sur ce qu'il est convenu d'appeler des scènes ?

Dans l'édito du programme du festival, David Demougeot, son directeur artistique, souligne « l'irrévérence du graffiti » utilisée par le créateur américain installé à Berlin de sculptures éphémères Brad Downey pour qui « art is not enough ». C'est lui qui a choisi les artistes invités. David Demougeot insiste sur la crise de la démocratie, sur « l'ambiance actuelle qui transforme toute pratique à la marge en une subversion ». Un contexte dans lequel l'art n'est pas suffisant, mais dont « la liberté à se déployer dehors est précieuse ».

« Une manière dont les artistes se saisissent d'une ville »

Ce faisant, ce qui se passe à Besançon avec Bien Urbain s'inscrit dans un mouvement plus ancien que son arrivée en Franche-Comté. « C'est un phénomène mondial qui a au moins trente ans », note le plasticien Gilles Rondot dont l'analyse est résolument critique : « les villes instrumentalisent le graffiti, toutes le font. C'est de l'art pas cher, les œuvres ne sont pas achetées, les artistes rémunérés pour des prestations, par exemple en milieu scolaire... »

Vraiment ? Des artistes pas payés ? L'adjoint à la culture Patrick Bontemps (PS) assume : « c'est dans leur esprit, la philosophie d'artistes comme Eltono qui a travaillé à la Grette. C'est une possibilité pour eux de se faire connaître... » Il voit surtout dans Bien urbain « une manière dont les artistes se saisissent d'une ville, commet ils travaillent en lien avec sa population ». Au côté d'autres partenaires et mécènes, la ville subventionne le festival à hauteur de 40.000 euros et apporte un soutien logistique.

S'agit-il de récupérer une contre-culture foisonnante, utilisant les murs comme support de contestations multiples à travers le monde, de l'Irlande du Nord à l'Amérique latine, des peintures murales monumentales aux graffitis allant du sublime au douteux ? Car le message politique n'est jamais loin. Que l'on songe au Mur des résistants d'Oyonnax peint il y a 5 ans et rappelant le défilé de maquisards en armes le 11 novembre 1943 à la barbe de l'occupant ! Que l'on examine les incontournables moutons peints l'an dernier par le collectif italien Ericailcane aux Chaprais, dont l'un cache une tenaille qui pourra(it) couper le barbelé entravant l'autre et délivre un message radical : « le droit de vivre ne se mendie pas, il se prend »... Et que dire de la censure exercée par Néolia sur cette fresque de Nano4814 dans laquelle certains ont voulu voir une apologie du terrorisme !

La contre-culture, l'éphémère et le précaire...

De fait, si récupération il y a, elle est éphémère. Bien Urbain, qui avait les années passées établi son quartier général à Battant, dans l'ancien bar du 19e Parallèle, est cette année à l'Arsenal, hébergé par l'association Hôp hop hop qui occupe à titre précaire 1000 m² des anciens laboratoires de ce qui fut l'hôpital Saint-Jacques, en attendant la restructuration du lieu. Son bar accueille des rencontres artistes-public et une exposition dont quelques dessins au pochoir réalisés à Odessa lors du voyage support du film C'est Assez bien d'être fou du bisontin Antoine Page. C'est aussi un hommage à l'artiste Bilal Berreni, alias Zoo Project, disparu il y a cinq ans, qui avait accompagné le cinéaste pour cet étonnant road movie que le festival a projeté (voir ici l'article de Lucille Topin sur Factuel).

Éphémère, récupération, provisoire, contre-culture... Tout pourrait faire penser à la précarité de l'époque, renvoyer au no-future des années punk. Mais on s'est aussi installé dans une forme de frugalité, de capacité à faire soi-même avec peu. C'est ce qu'on découvre lors du lancement, le 8 juin, avec cette étonnante et prenante performance du collectif La Méandre où le public se met à participer à la construction d'une sculpture de pièces et de morceaux en bois, immédiatement démontée ensuite.

La frugalité, c'est aussi la cuisine mobile à roulettes qui tient dans un grand break. Elle sera plus tard utilisée, par exemple, lors d'une fête de quartier à Planoise, dans le petit jardin partagé derrière les locaux de PARI, support d'actions pédagogiques et de moments de partage entre voisins. La simplicité, c'est le mobilo, étrange carriole tractée par une voiture, se transformant en mini bibliothèque à auvent dès lors qu'on ouvre ses battants latéraux.

Le retour de la sérigraphie

C'est aussi l'atelier de sérigraphie, technique mettant au rencart le moderne photocopieur pour imprimer des tee-shirt ou des affiches façon Mai 68... C'est enfin la construction collective, dont la préparation a déjà commencé, d'une réplique en carton de l'arc de triomphe de l'ancien pont Battant des 17 et 18e siècles, samedi 7 juillet place de la Révolution. Et sa déconstruction tout aussi festive le lendemain.

Pour Marine Deru, en service civique à Juste Ici, l'association support de Bien Urbain, ce qui est en jeu c'est tout simplement « comment demain on fabrique la ville autrement  ». Il s'agit notamment de « créer des parenthèses poétiques » via des « pratiques souvent hors marché », par exemple avec un projet de « carte sensible du territoire ».

Sensible est ainsi l'approche de Julien Fargetton, l'un des quinze artistes invités de Brad Downey qui lui a demandé de « mettre l'accent sur le dessin ». Il s'est donc retrouvé avec le pignon de l'immeuble de l'association PARI, à Planoise. Un mur jaune, « pas trop grand pour travailler sur échafaudage ou nacelle, seulement avec une échelle ».

« Les gens, ici, ne sont pas timides »

Sa première démarche a été d'installer une table afin de discuter avec les jeunes du coin. Bingo ! Les échanges n'ont pas trainé : « en peignant dans la rue, on est à découvert. Les gens, ici, ne sont pas timides. On a engagé facilement la conversation. Ils m'ont demandé pourquoi je peignais puisque c'est interdit. J'ai répondu qu'avec une autorisation, c'est plus facile. Et j'ai noté quelques idées : écrire une recette, marquer les numéros du loto... »

Ce lundi 18 juin, il est aidé par Rosalie et Laure, étudiantes aux beaux arts de Dijon et Bordeaux qui font leur stage à Bin Urbain. L'objectif est de faire un fond blanc. « Vous cherchez un peintre ? J'ai travaillé chez Pateu et Robert ! ». Joignant le geste à la parole, Boubaker, qui s'est arrêté devant le mur, empoigne le pinceau et donne une leçon de professionnel aux deux jeunes femmes, médusées et ravies : « on ne s'enferme pas comme dans les écoles d'archi. La mode avec les beaux arts, c'est de favoriser la vie de quartier. C'est d'ailleurs ce que font de nombreux collectifs », explique Rosalie en évoquant le Bruit du frigo qui réunit maçons, architectes, designers... à Bordeaux où il anime un atelier d'urbanisme utopique.

Ces premiers instants sur le lieu de la création permettent d'abord une forme d'imprégnation : « je me vide l'esprit, peindre, c'est une forme de poésie visuelle », dit Julien Fargetton. Son idée de poser des petits objets plus ou moins quotidiens : « je n'aime pas spécialement les grandes fresques murales, imposantes, surtout s'il faut vivre dix ans avec. De loin, ce sont des tâches qu'on oublie, auxquelles on ne fait pas attention... Ça correspond davantage à mon idée de l'intervention urbaine... »

« Parce que je me fais plaisir »

Deux petites filles sortent de l'école et se posent devant le chantier : « pourquoi vous faites ça ? » « Parce que je me fais plaisir », répond Julien Fargetton. D'autorité, elles empoignent elles aussi un pinceau et commencent à badigeonner le mur en s'exclamant joyeusement... jusqu'à ce que leur père passe en leur faisant remarquer qu'elles risquent de louper le déjeuner...

Un temps jardinier en Provence, dans des « villas de milliardaires », Julien Fargetton est passé par les beaux arts de Poitiers. Il est lui aussi passé par un collectif d'architectes, au Portugal, pour refaire la prison désaffectée de Trafaria, le faubourg populaire de Lisbonne situé de l'autre côté du Tage. Là aussi, il s'agit de travailler à des projets temporaires, mais il arrive que le succès vienne, et avec lui la marchandisation... 

Pour l'heure, et au-delà du festival qui s'achève dimanche 8 juillet, il va accompagner des habitants du quartier dans un projet de moyen terme visant à installer des sculptures en des lieux à déterminer. A suivre donc.

 

Signé Julien Fargetton...
La cuisine mobile.
La sérigraphie, indémodable...

 

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