Aux fossoyeurs de la création et de l’imagination

Le comédien Laurent Decol en a assez des mauvais arguments de ceux qui s'en prennent au statut des artistes et des techniciens du spectacle.

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Régulièrement, aux prémices du printemps ou quand l'automne s'installe et même parfois juste avant l'été, le serpent de mer des intermittents du spectacle refait surface avec sa cohorte habituelle de commentaires affligeants, d'affirmations péremptoires, de jugements définitifs, de mensonges, d'inepties et de calomnies.

Loin de moi l'idée de prétendre mieux défendre ces artistes que d'autres pourraient le faire avec pertinence et talent.

Elève du mime Marceau, le comédien Laurent Decol a notamment créé le personnage de Timoléon Mangus, arpenté le monde en jouant dans le réseau de l'Alliance française, dirigé le service culture du Conseil régional de Franche-Comté (1998-2004), fait l'homme en cage au zoo de la Citadelle...

A chaque fois, il y a le camp de ceux qui insistent sur le fait que, quand même, ils (les intermittents !) sont bien gentils, mais leur système d'indemnisation est inique et coûteux et qu'il faut le réformer (c'est en partie vrai d'ailleurs mais comme il est exact que parmi les artistes, il y a des imposteurs, en général sympathiques). Il y a aussi le camp de ceux qui luttent contre les tentatives de transformer ce statut et qui s'insurgent, menacent et montent au créneau (c'est une avancée sociale d'importance et même si ce n'est perçu que comme une spécificité française, soyons en fiers !).

Contre un permis d'être artiste !

Pour qu'on soit bien clair, je suis plutôt du côté des artistes et des techniciens et personne ne peut en douter. Ce qui me hérisse particulièrement ce sont tous ceux qui sont convaincus, dans ce cas comme dans d'autres, que leurs avis sont intéressants et constructifs et que la société attend avec impatience qu'ils s'expriment comme si nous étions tous dans l'attente de leurs solutions à tous les problèmes. Je ne suis pas certain que toutes ces grands idées, prétendues nouvelles et originales, comme attribuer une qualification artistique (une sorte de permis d'être artiste), obliger les intermittents à travailler pour la cause commune dans les maisons de retraite ou les écoles, contraindre les créateurs à faire partie d'un groupe, d'un syndicat ou d'une communauté, soient véritablement la panacée universelle et le remède miracle pour enrayer tous nos maux ; ce ne sont au mieux que des contributions de café du commerce qui sont proposées à l'apéritif entre pastis et tranches de saucisson. Et tous ces délires sont le plus souvent incongrus, insensés, ridicules et dangereux.

« Je m'adresse à vous que l'Art dérange... »

Vous, je m'adresse à tous les aigris, les fossoyeurs de la création et de l'imagination et à tous ceux que l'Art dérange et perturbera sans cesse, ne pouvez pas traiter tous les artistes de privilégiés et de tricheurs parce que quelques uns ont abusé du système ; tous les malades d'imaginaires parce que deux ou trois ont perçu indûment des allocations ; tous les immigrés de voyous parce que de très rares se sont livrés au trafic ; tous les politiques de corrompus parce que certains ont triché ; tous les médecins de charlatans parce qu'un très petit nombre a eu des comportements inadaptés ; tous les policiers de ripoux parce qu'on en a pris trois la main dans le sac, tous les commerçants de voleurs parce que vous en connaissez qui exagèrent leur marge etc...

Ce qui est grave, malsain et irresponsable c'est de jeter l'opprobre sur toute une population et de stigmatiser toute une partie de la société sous prétexte que des abus ont été détectés et des erreurs commises. Vous ne pouvez pas, sans risques, décider de mettre des locataires à la porte ou, pire encore, de détruire des immeubles entiers, parce que vous pensez que le droit n'est plus respecté dans certains quartiers, de la même manière vous ne pouvez pas montrer du doigt les artistes et les créateurs en leur reprochant leur métier et le statut qui l'accompagne, simplement parce que vous avez vaguement entendu que des excès ont été mis à jour. Une société qui n'aime plus ses artistes est une société qui va très mal et qui va au devant de graves désillusions. Vous n'avez pas idée de ce que vous allez déclencher en distillant votre fiel et votre médiocrité. Un jour, vous serez parvenus à un résultat terrifiant en agissant comme vous le faites et tout sera finalement détruit.

Il n'y aura plus rien et, pour citer le grand Léo Ferré, ce « rien » on vous le laisse, foutez vous en jusque là , si vous pouvez ! Nous, on ne peut pas.

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