Artistes en résidence permanente à Marnay

« Quand on travaille sur la pierre, on est sur du velours... » Alain Menegon préfère le procédé à plat de la lithographie sur pierre à la calcographie sur métal ou sur bois. « Il y a plus de sensibilité, le métal est plus agressif... » Et le bois ? « Il y en a deux sortes... »

Alain Menegon, Rémy Pidancet, Patrick Pasteur

« Quand on travaille sur la pierre, on est sur du velours... » Alain Menegon préfère le procédé à plat de la lithographie sur pierre à la calcographie sur métal ou sur bois. « Il y a plus de sensibilité, le métal est plus agressif... » Et le bois ? « Il y en a deux sortes, le bois de fil et le bois debout, selon le sens des fibres... Comme on ne peut pas tout faire, j'ai décidé de faire une chose à fond... La litho, c'est de l'estampe, pas de la gravure... » Il dit ça comme si le dessin, à l'encre ou ou crayon, était une caresse sur la pierre. Cette pierre qui attire l'encre ou attire l'eau, c'est selon... « Après le dessin, on passe dessus la préparation, un truc chimique à base de gomme arabique qui va rendre les blancs hydrophiles et les noirs amoureux des grains... » C'est n'est qu'après le passage sous presse que vient la révélation : « on enlève l'encre du dessin et on met l'encre d'impression... »
Il faut le vivre ou le voir faire, et pourquoi pas en apprendre les rudiments ? C'est en tout cas le projet d'Alain Menegon depuis qu'un sinistre lui a fait quitter son atelier de Pesmes pour une résidence d'artiste à Marnay. De la salle de réception du château, avec son haut plafond et sa vaste cheminée, il a fait son atelier où trône une licorne, enfin, une presse à bras dont la roue fait penser à la barre d'un vieux bateau... Quand on en est là, à sortir de dix à quinze feuilles à l'heure, c'est qu'on a franchi les étapes précédentes. Qu'on a préparé la pierre, qu'on l'a « grainée ». Le novice écarquille les yeux. « Grainer la pierre, c'est la rendre vierge pour retravailler dessus », explique Alain en joignant le geste à la parole. Sa pierre posée à plat sur un socle est aspergée d'eau qu'il saupoudre d'un abrasif, en l'occurrence du carbure de silicium. Mais ça pourrait être aussi du sable de Fontainebleau « connu pour être particulièrement pur ». Et on fait tourner une autre pierre sur la première, le mélange eau-abrasif permettant à la fois la glisse et le surfaçage. On enlève ainsi les traces du dessin précédent, on prépare le plan qui accueillera le suivant...

Recréer la trame naturelle en grainant la pierre...

Mais les artistes, comme les mécaniciens et les physiciens, le savent : le plan parfait n'existe pas et c'est grâce à ses aspérités les plus fines, les plus intimes, que naît l'oeuvre... Grainer la pierre, c'est en fait, surtout, recréer la « trame naturelle qui sert de base au dessin : plus il y a d'encre, plus elle va dans les creux et plus c'est noir... » Comme on est à l'échelle du vingtième, voire du centième de millimètre, on mesure soudain la finesse et la douceur qui peuvent en découler sous les doigts de qui a su patienter les dizaines d'années nécessaires à la maîtrise conjointe du geste et de la technique. Et l'on regarde un peu étonné les détails de locomotive ou de l'épiderme d'éléphant qui sortent plus vrais qu'une photo, du fait même des infimes irrégularités de la matière. Comme si la vie se nichait dans le minuscule écart entre les courbes et les parallèles...
La lithographie a pourtant débouché sur les premières grandes séries : après sa création en Bavière, dans les années 1780, par Alois Senefelder qui cherchait un moyen de reproduire des partitions, ce fut « une révolution énorme car on peut copier sur d'autres pierres », explique encore Alain Menegon en évoquant ces « Daumier qui sortaient de cinquante presses en même temps... » La litho a même parfois défrayé la chronique des cinquante dernières années avec des tirages réels bien supérieurs à ceux annoncés. Des acheteurs croyant acquérir au prix fort une oeuvre numérotée parmi 350 tirages, se retrouvaient avec une quasi reproduction parmi beaucoup plus. Il y eut des scandales, « la lithographie s'est vautrée... », constate amèrement Alain Menegon. Comment savoir alors ? Réponse : « la confiance... Pour ma part, je n'en fais jamais plus de 75 exemplaires, souvent entre 15 et 30... »

Stages et expositions

Pour l'heure, en ce lundi après midi, les hôtes de l'atelier sont deux « stagiaires » loin de ces égarements. « Je viens apprendre la litho, continuer mon travail de dessin et d'aquarelle », dit l'artiste Rémy Pidancet qui hésitait entre gravure et lithographie. Ancien directeur d'une « boîte » de formation, Patrick Pasteur ne revendique « aucune compétence artistique : j'ai voulu comprendre les procédés et les techniques en pratiquant, c'est comme ça qu'on apprend, qu'on se rend compte de la difficulté... » Il sourit : « Et puis, j'ai trente ans d'expérience du vin, c'est du partage... » Du coup, on saisit mieux le projet du lieu qu'Alain a investi en juillet 2011 en même temps qu'un autre artiste en résidence, le peintre Jean-Marie Pierret, qui occupe l'espace voisin. Ils entendent proposer trois types de formations : découverte sur un week-end, formation pour imprimeur à la carte, assistance technique pour artistes... « J'aimerais bien trouver un jeune à former sur trois ou cinq ans », dit Alain Menegon. « Pour ça, il faut être organisme de formation et avoir un numéro d'enregistrement à la préfecture qu'on obtient si on a déjà fait une formation : celle de cette semaine », dit Patrick Pasteur.
Ces ateliers de 200 m2 doivent aussi accueillir deux expositions simultanées trois fois par an dont une avec les deux artistes résidents, et d'autres avec des invités. Après une exposition de Jean-Marie Pierret en janvier, Dominique Sosolic donnera une conférence sur l'art en avril.
La commune de Marnay, propriétaire, a mis les locaux à disposition gratuitement pendant 6 ans via l'association La Lithographie que préside René de Angelis, les artistes devant quand même payer les charges.
Ça, c'est de l'action culturelle !

    

 

 

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