Antonio Gonzales : « la fusion est une connerie monumentale »

Co-auteur d'une Nouvelle histoire de la Franche-Comté intégrant les plus récentes découvertes faite sur les chantiers de la LGV ou des Passages Pasteur, l'ancien doyen de la fac de lettres de Besançon affirme que « peu de régions françaises ont aussi peu bougé depuis l'Antiquité » que la Franche-Comté.

Antonio Gonzales, Nouvelle histoire de la Franche-Comté

Spécialiste d'histoire ancienne, ancien doyen de la fac de lettres et sciences humaines de Besançon, Antonio Gonzales a écrit la partie consacrée à la Préhistoire et à l'Antiquité du premier tome d'une Nouvelle histoire de la Franche-Comté parue cet été aux Éditions du Belvédère. Elle enrichit, précise, parfois nuance, l'histoire de cette période grâce aux apports des découvertes les plus récentes, issues notamment des fouilles archéologiques menées sur les chantiers de la ligne ferroviaire à grande vitesse Rhin-Rhône ou des Passages Pasteur à Besançon.

Nouvelle histoire de la Franche-Comté, par Antonio Gonzales et Pierre Gresser, Editions du Belvédère, 390 pages, 24 euros.

Ce faisant, on découvre sous la plume de l'historien la science historique en train de se construire, ce qui n'est pas le moins passionnant. On en sort moins ignare, mais on réalise à quel point il peut être parfois hasardeux d'arriver à des conclusions définitives sur la façon dont ont vécu nos ancêtres les Gallo-Romains et ceux qui les ont précédés...  

Comment avez-vous procédé ?

J'ai relu tout ce qui a été écrit depuis le 16è siècle. C'est intéressant pour un historien de traiter de la préhistoire : on met des problème dans des hypothèses... De plus en plus de préhistoriens ont des approches scientifiques, et il manque parfois la dimension humaine. Le problème posé par le comparatisme, c'est qu'il faut mettre d'énormes guillemets quand on fait une comparaison avec les sociétés décrites par les historiens du 19è siècle, avec un certain mépris pour le « sauvage ».

Et aujourd'hui ?

Il y a une suprématie technique. La palinologie permet la datation. On a fait des grands pas en avant avec la dendochronologie... 

On est aussi sur l'hypothèse de l'anthropocène, époque géologique où le principal facteur de modification est l'activité humaine...

C'est plus qu'intéressant. C'est évident que l'homme modifie le climat. Les carottages réalisés en Antarctique ont permis de découvrir des poussières de l'époque romaine parallèles aux données historiques nous indiquant un développement important des céramique à cuire et une déforestation.

Vous affirmez aussi qu'il y a une permanence de la région, la Séquanie puis la Franche-Comté, depuis plus de vingt siècles sur un territoire qui a peu changé...

C'est exprès ! Ce n'est pas une conviction, mais une réalité historique. L'argumentaire bourguignon du passé commun des deux régions remontant aux ducs de Bourgogne est totalement faux. Quand on déconstruit ça, on voit que les frontières de la Franche-Comté ont très peu évolué. César avait fait une cartographie des peuples gaulois : sur l'actuelle Bourgogne, les Eduens étaient alliés de Rome depuis 25 avant JC, et les Séquanes adossé aux Monts-Jura.

La Séquanie vient-elle étymologiquement de la Seine ?

C'est une hypothèse, mais on ne sait pas d'où ça vient. César parle du peuple des Séquanes, pas de Séquanie, qui vivaient jusque vers Mulhouse...

Ce que vous appelez le « limes germanique » ?

C'est, en gros, la frontière du Rhin. Les Romains auraient bien poussé jusqu'à l'Elbe, mais ils ont été défaits par le général germain Arminius, qui a donné le héros allemand Herman, figure de la nation allemande, comme Vercingétorix. Les Allemands ont un vainqueur, nous une pâtée colossale... Le territoires des Séquanes était un peu plus grand que la Franche-Comté actuelle. Les Séquanes étaient réputés pour leur économie spécifique qui utilisait la Saône et le Doubs, pour leurs salaisons !

Ils importaient aussi du vin italien...

C'est comme l'impérialisme américain : on conquiert et on déverse les produits. Il y avait une mise en concurrence des provinces pour la production d'huile d'olive !

Avec qui les Séquanes étaient-ils en concurrence ?

Quand César arrive, il n'y a pas d'unité des Séquanes. Vercingétorix essaie de fédérer les Gaulois mais César sent bien que c'est fragile. Les Gaulois ont un problème de leadership, jouent des cartes différentes. Les Séquanes étaient réticents à une action concertée de l'ensemble des Gaulois contre les Romains, ils ont joué la carte individuelle.

Qu'est-ce qui les unissait ?

La langue, la religion... Leur territoire est traversé par les grands axes celtiques... Les pratiques romaines se développent en quelques dizaines d'années, notamment chez les élites séquanes, ce qui permet un meilleur contrôle des populations et leur confère la citoyenneté romaine...

Que devient la Franche-Comté après la période romaine ?

Le Comté de Bourgogne est parallèle à la Franche-Comté après les invasions barbares, mais des parties entières sont enlevées au nord, rattachée à la Rhénanie-Westphalie... Peu de régions françaises ont aussi peu bougé, à part l'Alsace ou la Corse...

Aujourd'hui, certains militent pour un rapprochement avec l'Alsace, comme Jean-Pierre Chevènement...

Il pourrait trouver un argument historique, le Territoire de Belfort correspondant à l'avancée prussienne de 1870.

C'est aussi la position du sénateur jurassien Gilbert Barbier...

Ça n'a pas de sens pour le Jura...

Le président du Conseil général du Jura, Christophe Peny, a un temps parlé de rapprochement avec Rhône-Alpes...

L'attractivité de Lons est forte vers Lyon. Quand on voit les données économiques du Haut-Jura, il y a une attractivité pour la Suisse... Dijon est déportée vers l'est en Bourgogne qui est bien plus tiraillée que la Franche-Comté, le sud bourguignon est attiré par Lyon et Clermont-Ferrand, le nord par Paris, Nancy et Reims... Dijon n'a pas de position centrale : la réunion va la recentraliser.

Que pensez-vous du projet de fusion ?

Cest une connerie monumentale ! Cela part d'une vision purement idéologique consistant à calquer les territoires français sur les lander allemands. Un autre élément est que le rapport de forces entre les deux pouvoirs politiques régionaux penche pour la Bourgogne avec Montebourg, Rebsamen, Sauvadet. Il y a de plus en plus de transferts vers Dijon de grandes directions... C'est un pilotage parisien des régions françaises. Les arguments techniques servent une vision idéologique. Il y aura des angles morts : la Nièvre ou une partie du Jura seront très éloignées des centres de décision. Pour les Dijonnais, la messe est dite : tout sera piloté depuis Dijon. C'est basique, il ne peut y avoir deux capitales dans une métropole...

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