Alareny Bah : « Tout ce que l’oeil voit, il faut le dire »

Menacé dans son pays, la Guinée Konakry, pour avoir exercé son métier de reporter, il l'a fui en juin dernier avant d'être hébergé à Paris par La Maison des Journalistes. Alareny Bah a témoigné pour la liberté de la presse à Pontarlier, lors d'une table ronde et devant des lycéens.

Alareny Bah

Une vingtaine de personnes se pressaient jeudi soir dans un café de Pontarlier pour entendre le témoignage de d'Alareny Bah, journaliste guinéen menacé dans son pays, la Guinée Konakry. Réfugié en France, il est depuis octobre pris en charge par la Maison des Journalistes. Invité par le Centre le liaison de l'enseignement et des médias d'information, Alareny a témoigné de l'empêchement qui lui a été fait d'exercer son métier de reporter à la télévision nationale d'Etat, la RTG. Enquêtant notamment sur les questions énergétiques et minières, dénonçant la corruption et l'opacité de certains marchés, il a été intimidé, tabassé, et même laissé pour mort après un accident de voiture provoqué où son confrère cameraman a perdu la vie. 

« Je n'ai pas été soutenu par ma rédaction, seulement par des confrères des médias privés », explique-t-il. « J'ai essayé de porter plainte, mon salaire m'a été coupé, j'ai été mis à pied... » Membre de l'ethnie peul, largement dans l'opposition et très peu représentée dans les médias publics, il a été envoyé par sa hiérarchie couvrir une manifestation de l'opposition : « Celle-ci me considère comme traître. Si j'y allais avec une caméra et le logo de la télé, je serais massacré... Je suis aussi considéré par le pouvoir comme un saboteur... J'ai dit tout cela au rédacteur en chef, il n'a pas voulu m'entendre et m'a répondu : tu es désigné... »

« Mon rédacteur en chef n'a pas bougé le petit doigt... »

Couvrant le rassemblement du côté des forces de l'ordre, il raconte avoir été frappé par des militaires sans que les gendarmes, à quelques mètres, n'interviennent. Interpellant ces derniers, il s'entend répondre : « mais tu es Peul ! » quand il explique être journaliste... Ce sont d'autres militaires qui l'extirpent du guêpier, avec le cameraman, et les déposent tous eux à 30 km de là : « j'ai contacté mon rédacteur en chef qui n'a pas bougé le petit doigt... »

Rejoignant ses parents, il s'entend implorer par sa mère d'arrêter le journalisme. Bien sûr, il n'en fait rien. Il est envoyé sur une frontière pour un reportage sur la sensibilisation des douaniers, des gendarmes et des militaires à la lutte contre le VIH... C'est à cette occasion qu'il est victime de l'accident où périra le cameraman... « La RTG n'a pas dit que nous avions été agressés. Des média privés ont eu le courage de le faire, mais ont dit que j'étais mort, ma famille a pleuré... J'ai été interviewé et je me suis dit que j'étais allé jusqu'au mur... »

Son père frappé à mort

Les auditeurs sont saisis, attentifs. Alareny pense alors à fuir le pays, à contre coeur : « ce n'était pas mon programme d'être exilé ! » Il se cache, change de lieu où dormir. La police vient chez ses parents. Son père refuse de le dénoncer, il est frappé : « il en est mort... J'ai contacté des confrères en leur disant : il faut que je quitte le pays ». Il est aidé par la militante d'une ONG, bien placée dans l'administration, qui lui obtient un « passeport de service ». Il quitte la Guinée le 8 juin dernier, sa femme et leurs deux enfants se cachent...

Une errance de plusieurs semaines le conduit de Paris à Tours où il connaît, via le 115, un hébergement d'urgence. Parvenant finalement à entrer en contact avec la Maison des Journalistes, qui abrite des journalistes persécutés dans leur pays, il en est résident pour six mois depuis octobre et a demandé l'asile politique. Ce vendredi, il est au lycée Xavier-Marmier de Pontarlier pour parler à des élèves de première de son vécu et de la... liberté de la presse, dans le cadre d'une action au long cours sur les médias.

Marie Adam-Normand, du CLEMI : « on dit depuis des années qu'il faut éduquer aux médias et à l'internet... »

Musulman, il a été interrogé jeudi soir sur les attentats de janvier : « Personne ne peut se cacher derrière la religion pour cette sale besogne d'assassiner », réagit-il, confirmant sa contribution intégrée à celles de plusieurs journalistes accueillis à la Maison des Journalistes.

Un intéressant débat a suivi sur la liberté de la presse. Gérard Voinnet, conseiller municipal à Pontarlier, a souhaité mettre l'accent sur les « conditions de travail dans la presse ». Marie Adam-Normand, professeur de lettres à Besançon, a souligné que le CLEMI dont elle est coordinatrice régionale a repris de l'intérêt aux yeux de l'Éducation nationale : « Depuis janvier, on est revenu au centre des préoccupations. Certains veulent fermer les vannes, couper les WIFI... Nous, on dit depuis des années qu'il faut éduquer aux médias et à l'internet... »

Un enseignant de Levier témoigne de la méconnaissance des élèves des lois régissant la liberté d'expression. La main-mise de grands groupes industriels et financiers sur de grands médias est mentionnée. Quelqu'un dit que le nombre de journaux fait que tout peut se dire et se savoir... Alareny dit une vérité du métier : « Quand tu dénonces l'état des routes alors que des partenaires ont envoyé de l'argent pour les financer, quand tu essaies d'être critique, tu es dans l'oeil du pouvoir. Tout ce que l'oeil voit, il faut le dire ». Avant la liberté de la presse, sanctionnée légalement en France par la loi du 9 juillet 1881, il a fallu en passer par des batailles, continuer à en mener face à la censure, notamment lors des guerres, mais aussi économiques...

Plus récemment, en 2010 et 2011, le petit monde des journalistes, notamment par le biais de leurs organisations syndicales et professionnelles, s'est mobilisé pour que continue à vivre la... Maison des Journalistes. 

 

 

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