Alamut, des Haschischins aux Jihadistes

Dans la caravane, Halima, une jeune fille très belle. Elle a été vendue, on la conduit chez son nouveau propriétaire... Le roman de Vladimir Bartol, publié pour la première fois en 1938, réédité par Phébus, commence comme un conte des Milles et une Nuits.

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Au printemps de l’an mil quatre-vingt-douze des chrétiens, l’ancienne route des armées, qui depuis Samarkand et Bukhara gagne le pied du massif de l’Elbourz par le nord du Khurasan, livrait passage à une caravane d’une certaine importance.

Le roman de Vladimir Bartol, publié pour la première fois en 1938, réédité par les éditions Phébus en 1988, et en 2012 dans la collection Libretto, commence comme un conte des Milles et une Nuits. Dans la caravane, Halima, une jeune fille très belle. Elle a été vendue, on la conduit chez son nouveau propriétaire. Elle ignore qui il est, elle ignore où elle va. Elle se retrouve dans un lieu enchanteur gouverné par deux femmes : la belle et intelligente Myriam et la vieille et méchante Apama. Il semble à Halima qu’elle vient d’entrer au Paradis.

Aujourd’hui, dans la réalité, des femmes sont enlevées en nombre, violées, vendues, « mariées ». Elles n’ont certainement pas l’impression d’être arrivée au paradis.

Le sentier les conduisit ensuite entre les grenadiers touffus piqués de fleurs pourpres. Puis venaient des rangées de citronniers et de pêchers. Elles débouchèrent enfin dans un verger où fleurissaient amandiers, cognassiers, pommiers, poiriers…

- Nous appartenons toutes à Seïduna, ce qui signifie Notre Maître.

- Et qui est « Notre maître » ?
- Patience, je te dirai tout. Sais-tu qui, parmi les vivants, est le premier après Allah ?
- Le calife.
- C’est faux ! Pas même le sultan. Le premier après Allah, c’est Seïduna.

De l’art des gestes de l’amour... aux viols du Jihad

Dans ce harem, Halima et les autres jeunes filles sont initiées à la danse, à la poésie, à la musique, à l’art des gestes de l’amour. Des eunuques noirs veillent sur elles, ainsi que des animaux étranges.

Le Paradis. Une des armes du maître des lieux.

Dans le même temps où Halima accédait, par de si étranges circonstances, aux jardins de son maître inconnu, un jeune homme monté sur un petit âne couleur de nuit empruntait à son tour la large route des armées.

Aujourd’hui, dans la réalité, des jeunes gens partent de Lunel, Douce France, cher pays de mon enfance, mener une guerre dite sainte. Les filles qui partent soi-disant volontairement ne savent pas qu’elles seront violées, vendues, échangées.

Il faut écouter la très belle plaidoirie de maitre Yasmine Attia, lors du concours de la plaidoirie à Caen en 2014, où l’on notera la présence de madame Christiane Taubira.

Le Vieux de la Montagne

Ibn Tahir, un des personnages centraux du roman, l’ignore encore. Lui et d’autres jeunes hommes gorgés d’illusions et de haschich seront transformés en une arme redoutable par Hassan Ibn Saba, dit le « Vieux de la Montagne ». Le redoutable marionnettiste d’un projet diabolique, sur fond de querelles théologiques et fondé sur une certaine représentation des rapports entre les hommes, fabrique patiemment sa machine de guerre.

L’entrainement des jeunes hommes est rude. Une formation spirituelle : des maîtres à penser leur enseignent les autres cultures, les autres religions, leurs forces et leurs faiblesses et, bien entendu, le Coran. Une formation physique d’exception. Rien ne leur est épargné. Ils sont même soumis à l’épreuve du feu, qui veut qu’à force de volonté et de concentration ils puissent marcher sur des braises ou sur des plaques chauffées à blanc. Le but de cet entrainement ? En faire des Fedayins acquis à la cause défendue par Hassan Ibn Saba.

- Et qu’est-ce au juste un fedayin ?
- Le fedayin est un ismaïlien prêt à se sacrifier aveuglément sur l’ordre de son chef suprême. S’il meurt dans l’accomplissement de son devoir, il devient un martyr. S’il réussit et reste en vie, il est promu dey, et plus encore.

La forteresse prise par la ruse

Les Fedayins. Une autre arme du « Vieux de la Montagne ».

Pour abriter le Paradis et l’école de formation des Fedayins, une montagne, une forteresse, Alamut.

Du conte des Mille et une Nuit, on passe au Livre des Ruses, ici et .

Pendant plus de vingt ans, Hassan Ibn Saba, un homme revenu de tout – selon lui, rien n’est vrai, tout est permis – a patiemment ourdi un projet. Celui d’établir la primauté des Ismaéliens et de faire tomber l’empire des Turcs Seldjoukides. Il lui fallait un lieu, une forteresse. Il a jeté son dévolu sur Alamut. Sans argent, une ruse lui a permis de s’en approprier.

Notre chef…, imagine une ruse. Il décide d’aller rendre lui-même une visite à Mehdi, au château d’Alamut. « Je suis dey, lui dit-il, et j’ai roulé ma bosse de par le vaste monde. Maintenant, me voici las de voyager ; je suis venu chercher ici un petit coin tranquille. Vends-moi autant de terre que ce que peut délimiter la peau d’un bœuf : pour un domaine de cette modeste étendue, je suis prêt à te compter cinq mille pièces d’or. » Mehdi faillit s’étrangler de rire : « Si vraiment tu y mets ce prix, je te cède dans l’instant la terre de ton choix !» Il lui semblait impossible qu’un misérable dey pût disposer d’une telle fortune. Ibn Saba met la main à sa tunique, en retire un lourd sac de pièces d’or et se met à les compter. Mehdi n’en croyait pas ses yeux. Il ne fut pas long à réfléchir dans le sens que l’on pouvait prévoir : » La forteresse ne subira pas grand dommage si je vends à ce vieux dey un petit morceau de terre au pied de ses remparts… quant à moi, me voilà riche ! » Sur quoi l’affaire est conclue : on prend la peau de bœuf, on fait abaisser le pont-levis au dessus du Chah Rud, et nos deux compères descendent au milieu des rochers jusqu’au pied des murs du fort. Ibn Saba sort alors de sa ceinture une lame tranchante et se met à découper le cuir de la bête en fins lacets. Les officiers et les soldats qui assistent à la scène s’étonnent de voir ce bizarre étranger procéder de la sorte, mais personne ne soupçonne encore les intentions du dey. La peau une fois découpée, Ibn Saba noue les longs fils de cuirs les uns au bout des autres, plante un piquet en terre et y attache l’une des extrémités de cette corde improvisée. Tenant l’autre bout en main, il entreprend alors de faire le tour de la forteresse. Mehdi comprend enfin : « Voleur ! filou ! » vocifère-t-il en empoignant son sabre. … Ibn Saba sourit : Trop tard, le château est à moi ; sachez aussi que si vous touchez à un seul cheveu de ma tête, aucun d’entre vous n’en réchappera. Mais je respecte les contrats, Mehdi ! Prends les cinq mille pièces d’or et va-t’en avec tes gens où bon te semblera ».

Un prototype de dictateur... d'hier et d'aujourd'hui

En réalité, il s’agit d’une double ruse destinée à dédouaner Mehdi et à jouer un bon tour au Sultan, l’ennemi à abattre.

Le maître d’Alamut, Hassan Ibn Saba, est tout entier résumé dans cette ruse, à laquelle il convient d’ajouter une intelligence aigüe mise au service de sa soif de pouvoir, de sa cruauté, de son goût pour la manipulation, de son mépris des hommes et des femmes plus encore.

Qui est Hassan Ibn Saba ?

Le prototype du dictateur d’hier et d’aujourd’hui. Et à relire ce roman, on comprend mieux les mécanismes qui conduisent à l’endoctrinement, qui conduisent à commettre le pire.

Il était le chef de milliers de croyants. Une seule chose manquait encore à son pouvoir : devenir la terreur des puissants et des tyrans étrangers, quels qu’ils fussent. Le plan qu’il était maintenant sur le point de mettre en œuvre en était le moyen. Plan fondé sur la connaissance minutieuse de la nature et des faiblesses humaines. Un plan sauvage et fou, un plan calculé, chiffré, mesuré.

Des Mille et une Nuits au cauchemar

Par petites touches, le roman des Mille et une Nuits vire au cauchemar.

Ici et aujourd’hui il se déroule à nos porte. Après Al Qaïda, Daesh.

Et les loups sont bien entrés dans Paris (écouter ). Le 7 janvier, puis le 9 janvier 2015. Ils étaient déjà entrés à Toulouse, et ailleurs dans la Douce France, cher pays de mon enfance. Ils restent tapis dans l’ombre, ici et là.

Le Vieux de la Montagne. Un démon.

Il est le maître de la Citadelle Alamut. Il est le maître du harem, un paradis factice, destiné aux fedayins. Il est le maître d’une troupe d’élite formée suivant ses directives : les haschischins.
- J’ai à peine achevé la moitié de mon œuvre, répondit Hassan. Jusqu’à présent je me fiais en effet à mes aptitudes d’hommes d’État. Maintenant je vais expérimenter ce que peut « la foi ».

Avant d’expérimenter ce que peut la foi, il va la consolider grâce à une autre ruse, un autre artifice. Trois fedayins endormis et drogués sont transportés au Paradis, dont Ibn Saba n’a cessé de dire qu’il en possède la clef.

Dans les champs de mines avec la clé du Paradis au cou

Il faut se souvenir que lors de la guerre Iran-Irak,(1980-1988) plus de 100.000 enfants de moins de 15 ans, une clef d’accès au Paradis autour du cou, ont été envoyés se faire sauter sur les champs de mines, ouvrant ainsi le passage à de plus… nobles guerriers ?

Je puis même affirmer que toute la machine humaine, tant spirituelle que corporelle, est devant moi comme un livre ouvert. Lorsque les fedayins se réveilleront à Alamut, ils commenceront par regretter de ne plus être au paradis. Ils apaiseront ces regrets en racontant à leurs camarades ce qu’ils ont vu. Entre-temps le poison du haschasch aura fait son œuvre dans leurs corps et éveillé en eux le désir invincible d’en reprendre à nouveau.

Nous les en consolerons, quand le temps sera venu : nous leur confierons une tâche et leur promettrons que le paradis leur sera tout de suite ouvert s’ils l’accomplissent et y laissent leur vie. Ainsi ils chercheront la mort et périront en souriant de béatitude…

Un roman édité en 1938. Il n’a pas pris une ride.

 

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