Vaîtes : la ville de Besançon demande une dérogation au code de l’environnement

Les 3700 mètres carrés de zones humides, les petits bois et les haies, les murets et bosquets abritent plusieurs espèces protégées par la loi. Ecureuils, hérissons, crapauds, grenouilles, tritons, oiseaux… risquent de dangereusement pâtir des travaux qui semblent imminents. La préservation du bois des Bicquey est curieusement présentée comme une compensation, obligatoire, aux destructions d'habitats programmées... 

roseliere

Besançon capitale de la biodiversité, c'était en 2018. Cette année, l’écureuil roux et le hérisson d’Europe, la pipistrelle commune et la pipistrelle de Kuhl/Nathusius (des chauves-souris), le lézard des murailles et l'alyte accoucheur (un petit crapaud) vont devoir plier bagage pour laisser place à l'urbanisation des Vaîtes où 1150 logements doivent être construits sur une dizaine d'années.

La ville a en effet discrètement demandé le 15 janvier à la Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement, une dérogation au code de l'environnement pour « détruire, altérer ou dégrader » l'habitat de ces six espèces protégées et de quelques autres. Certes, elles n'ont pas la chance de vivre sur des zones protégées (Besançon en compte plusieurs), on n'en a pas pour autant le droit de leur faire du mal. Sauf pour un « motif d'intérêt public majeur » que la collectivité invoque, le fameux éco-quartier des Vaîtes, devenu aujourd'hui « quartier durable ».

En fait, il lui a fallu monter de toute urgence un dossier pour s'en prendre aux sites de reproduction des lézards, hérissons, écureuil, chauve-souris, crapaud et 23 espèces d'oiseaux, sans oublier les lieux de vie de la trentaine de tritons alpestres ou palmés et de la dizaine de grenouilles vertes recensées par les écologues du cabinet Species qui ont réalisé un inventaire un peu plus précis que les précédents.

En 2010, une étude affirmait noir sur blanc qu' « aucune espèce végétale ou animale n'avait été observée lors des visites de terrain en 2009 ». L'année suivante, on repérait 39 espèces d'oiseaux sont deux rares, le torcol fourmiller et la huppe fasciée, et on évoquait la présence « potentielle » de cinq amphibiens, un reptile (le lézard) et des chauves-souris... Puis de potentielle, cette présence est devenue certaine en 2013 et 2018… Et les trois zones humides qui font 3700 m² sont bel et bien au coeur du sujet.

Des enjeux n'ont pas été pris en compte

Il a aussi fallu qu'un habitant du quartier, naturaliste, signale la présence de ces animaux fin octobre à la ville qui s'apprêtait à commencer des travaux. « J'attire votre attention sur la vulnérabilité de ces espèces à cette période, dont l'habitat de reproduction et de repos est protégé par la loi au niveau national. A ma connaissance ces enjeux n'ont pas été pris en compte dans votre projet », expliquait-il dans un mail aux services, à l'aménageur Territoire 25 et aux élus en charge de l'urbanisme et de l'environnement, Nicolas Bodin et Anne Vignot.

Convié, comme des associations de défense de l'environnement, à une réunion avec les aménageurs, il est de ceux qui donnent quelques conseils pour préserver les petites bêtes en danger. Content de l'écoute, il demande à être informé de la suite. On le lui promet. Patatras : il découvre par hasard sur le site de la Dreal la demande de dérogation. Il a tout juste le temps de laisser ses remarques, exclusivement en ligne, dans le cadre d'une consultation qui s'est terminée le 29 janvier ! « Pas très fair-play », commente le citoyen.

En lisant l'étude du cabinet Species, on comprend que la ville n'ait pas fait de conférence de presse pour la populariser. Elle mentionne en toutes lettres le fait que le projet va détruire une quinzaine d'hectares sur les 26 du projet. Et signale que l'impact des travaux est jugé « moyen » pour une douzaine d'espèces qui, comme le serin cini, le chardonneret élégant et le verdier d'Europe sont susceptibles de souffrir des « destructions/altérations d'habitats de reproduction, d'estime et d'hivernage », de la « fragmentation de l'habitat et du risque de collision/écrasement » de façon directe et permanente, mais aussi de « dérangement en phase de travaux ».

Destruction des habitats de reproduction

Les coupes d'arbres risquent d'impacter les faucon crécerelle, grimpereau des jardins et autre mésange nonette, tandis que d'autres passereaux (mésange, rougegorge…) qui se « reproduisent sur le site et à proximité » risquent de subir des « collisions ». Les amphibiens ne sont quant pas mieux lotis avec la « destruction des habitats de reproduction (quatre bassins de 3 à 5 m²), la destruction progressive des habitats d'estive et d'hivernage (haies, bosquets), le risque d'écrasement lors des migrations et de modification du régime hydrique ».

Grenouilles, tritons et crapaud alyte accoucheur sont menacés de destruction, avec un « enjeu fort localement » pour le crapaud. Seul le lézard des murailles semble de nature à survivre à la destruction partielle de ses habitats (murs, tas de cailloux, talus routier). S'il risque d'être davantage écrasé, il pourrait trouver refuge à proximité immédiate. Les mammifères sont aussi concernés, les chauves-souris par la « destruction progressive et partielle des territoires de chasse (lisière, haies, bosquets) et d'arbres à cavité favorables à leur accueil ». Les hérissons et écureuils pourraient souffrir de la destruction des boisements, davantage risquer de se faire écraser, et les survivants être dérangés en « période d'activité sensible : reproduction, recherche de nourriture… »

Tout n'est pas perdu pour les écologues qui formulent des préconisations qui, si elles sont mises en oeuvre, seraient de nature à « éviter, réduire, compenser » toutes ces atteintes. Conservation de boisement, fauche tardive des prairies, pose de nichoirs, reconstitution préalable des habitats avec capture puis transplantation des animaux… pourraient limiter largement la casse. C'est comme si c'était fait !

« Ça ne compense rien
puisque ça existe déjà ! »

Reste que l'arrivée de pelleteuses avant la fin de la consultation a fait monter le sang de quelques habitants du quartier. Un démarrage des travaux sur le territoire des animaux serait en effet une mauvaise manière. On n'en est pas là, mais le naturaliste du quartier craint l'hiver car le métabolisme des animaux est au ralenti : « mieux vaut l'automne ou le début du printemps ». Quant à la transplantation des amphibiens, par exemple dans une nouvelle mare, elle suppose la création d'autres mares avec la végétation qui va avec, ce qui prend forcément un peu de temps.

Ces mesures ne sont pas non plus pour notre habitant à la hauteur des enjeux : « La ville dit que ce sont des mesures de compensation, mais ça ne compense rien puisque ça existe déjà ! On ne peut pas imaginer que les deux tiers de la faune impactée s'y réfugie. »

Qu'on songe par exemple que le fait de ne pas détruire le bois des Biquey, inconstructible car le terrain en pente est instable, est rangé dans la catégories des compensations ! Cette curieuse façon d'argumenter consiste à dire qu'on aurait pu faire pire en détruisant bien plus qu'on ne va finalement le faire. Et que renoncer à certaines destructions compense celles qu'on va quand même entreprendre…  

 

 

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