« Une fois sur deux, ça ne marche pas »

Chercheur en information et communication à l'IUT de Compiègne, Clément Mabi vient de passer une thèse sur l'usage du numérique par la Commission nationale du débat public qui va organiser la consultation sur les projets de Center Parcs de Poligny et du Rousset. Il pointe l'importance du choix du président de la commission ad hoc et de ses premiers pas sur le terrain.

Clément Mabi

Clément Mabi vient de passer une thèse de doctorat en sciences de l'information et de la communication sur les débats publics relatifs aux grands projets d'aménagement et le fonctionnement de la CNDP, la Commission nationale du débat public (résumé ici). Il a notamment regardé d'assez prêt le rôle qu'y jouent les technologies numériques. Il enseigne à l'IUT de Compiègne.

C'est l'occasion de lui demander quels sont les atouts et les limites de l'exercice alors que les projets de Center Parcs de Poligny et du Rousset vont être examinés par une commission particulière du débat public dont le président doit bientôt être désigné par la CNDP.

Le numérique sert-il à phagocyter les débats ?

Ce n'est pas tant le numérique en soi qui pose problème, mais ce qu'on en fait. C'est un levier d'inclusion dans certains cas, de contournement des critiques les plus radicales dans d'autres. Prenez l'exemple des éoliennes du Tréport. Le débat public en ligne a permis à un public n'habitant pas sur place d'y participer, comme des propriétaires de résidences secondaires ou des militants voulant discuter dans le cadre plus vaste du nucléaire et des énergies renouvelables. A Bure, pour le projet CIGEO, l'internet a été utilisé différemment. Les réunions publiques avaient été empêchées par les opposants qui considéraient que les conditions du débat n'étaient pas réunies. Du coup, vu que le projet était très cadré par la loi - elle dit que le débat doit se tenir sans en spécifier les formes -, la CNDP a jugé opportun de passer par un débat en ligne et de laisser tomber les réunions. Là, on assiste à un contournement de l'expression critique et c'est problématique. D'un autre côté, c'est dommage de rejeter d'un bloc le numérique. Il faut considérer le projet politique où il s'insère. Le numérique peut aussi bien être un outil d'émancipation qu'être au service d'un régime autoritaire...

La fracture numérique avec ses zones blanches sans haut débit est un sacré obstacle !

Oui, mais posé comme ça, on coupe vite court... Le choix de l'outil ne doit pas être la première question posée. Il faut d'abord regarder qui on veut toucher, et ensuite voir comment. Par exemple, Ivry-sur-Seine projetait de rénover un incinérateur de déchets et le débat n'intéressait pas grand monde. La CNDP a mis en place un site web et des outils participatifs en ligne, mais ils ont été sous-utilisés.

Ça a donc été un échec...

Il faut se poser des questions avant : qui veut-on toucher ; et établir le périmètre du débat : de quoi veut-on discuter. Sur un projet de Center Parcs, va-t-on parler du nombre de chalets ou poser la question de l'opportunité du projet que la loi impose de mettre en discussion ?

Le débat public peut-il se concevoir projet contre projet ?

Absolument. Mais tout dépend de la façon dont le président de la commission particulière, qui doit être nommé par le président de la CNDP, va cadrer le débat, par exemple faire venir un expert en bio-diversité... Le choix de ce président détermine la suite. Ça fait cinq six ans que je suis de très près ces débats publics qui doivent être dans la proximité critique. C'est une avancée dans un processus administratif complexe : on créé un moment d'ouverture où l'on donne prise aux gens. Cela permet aux opposants de se fédérer, de monter un projet alternatif, aux gens favorables d'entrer dans le débat.

Ce n'était pas très dur de faire mieux que les enquêtes publiques !

C'est un mieux, mais il y a un problème de nom. Quand les gens entrent dans un débat public, ils se disent qu'ils vont décider alors que ce n'est qu'un outil consultatif. La seule avancée, c'est que le porteur de projet est obligé de dire et justifier ce qu'il garde du débat.

Un porteur de projet peut-il, en saisissant la CNDP, avoir la stratégie de gagner du temps, ou de se laisser une porte de sortie ?

Oui... Il y a des cas où on est dans la démocratie du cause toujours pour que les opposants s'épuisent. Il y a des bons clients du débat public : EDF, la SNCF, RFF... Ils y sont confrontés plusieurs fois par an, sont devenus des pros du débat public, et ne sont pas seulement dans la manipulation. On a aussi des porteurs de projets qui jouent le rapport de forces, sont dans la logique d'épuisement des oppositions : c'est un risque important. La personnalité du président de la commission particulière est cruciale, s'il arrive à jouer son rôle de médiation.

Le voit-on rapidement ?

Oui.

Quelle erreur ne doit-il pas faire ?

La première erreur est d'aller sur le territoire et de rencontrer le préfet et les institutions. La première chose à faire est de voir les gens sur place, d'aller où ça chauffe. Sa première mission est de créer un climat de confiance, d'expliquer les règles du jeu, de créer les conditions pour qu'il y ait un débat. Une fois sur deux, voire deux fois sur trois, ça ne marche pas... Quand ça se passe mal, il y a deux scénarios : soit le débat n'est pas fréquenté, soit il explose quand il y a une grosse attente...

A Poligny, les opposants veulent un débat entre un projet de territoire et un projet de promoteur...

Ça arrive régulièrement. Ce qui joue beaucoup, c'est à quel moment les opposants prennent la mesure du projet. Pour certains débats, le temps que les gens en entendent parler, montent en compétence et en expertise, c'est déjà la fin... Mais il est possible de penser les choses dans un autre cadre. Le problème est celui de la capacité d'expertise, des moyens, des ressources pour les études supplémentaires qu'on peut demander à la CNDP de financer...

A quelle hauteur ?

Ça dépend de la bonne volonté du maître d'ouvrage qui les paie. Mais le président de la commission particulière doit s'imposer comme le patron du débat.

Quels sont les délais ?

Il y a d'abord la nomination du président de la commission particulière qui choisit une équipe jusqu'à sept personnes, c'est souvent cinq. Ensuite, le maître d'ouvrage a six mois pour présenter un dossier complet. Puis il y a quatre mois de débat, plus deux mois supplémentaires en cas d'étude complémentaire réalisée par des experts indépendants. Si le maître d'ouvrage est de bonne foi, il n'a pas de raison d'avoir peur.

Les deux sites de Poligny et du Rousset sont dans la même commission particulière. Qu'en pensez-vous ?

C'est intelligent. Il y aura forcément des réunions où se diront les mêmes choses...

 

 

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