Par une douce matinée d’août, 40 activistes d’Altenatiba et d’Action Non Violente Cop 21 (ANV Cop 21) sont venus faire une « simulaction » à Port-Lesney dans le Jura. Pendant plus de deux heures, le pont enjambant la Loue a connu une circulation alternée. Le but ici était d’alerter sur la pollution actuelle de la Loue, entre autres à cause du Comté. Cette action vient clôturer le « Camp Climat Doubs Jura » organisé par Alternatiba et ANV Cop 21 dans ce petit village. Du Jeudi 20 août au samedi 22 août, des militants et néo militants ont eu différentes formations à la désobéissance civile et des ateliers de réflexion. L’action du dimanche 23 août venait donc mettre en pratique les nouvelles capacités. Les participants de ce camp venaient d’horizons différents et pouvaient être des militants de longue date, des Gilets Jaunes, des zadistes des Vaites ou alors des novices des mouvements sociaux.
Une mécanique bien rodée
La plupart des personnes participant au camp se sont coordonnées pour réaliser cette action. Chaque poste était rempli par des gens formés pendant les trois jours. Les « coordos » se sont occupés de piloter les activistes, les « médiactivistes » ont filmé l’action, etc. Entre deux chants, les bloqueurs ont été mis à rude épreuve avec les interventions des forces de l’ordre de l’action, la « Polys ». Armés de tonfa-frites de piscine, gazeuses au vinaigre et d’un uniforme préparé pour l’occasion, ils ont voulu tester la solidité des formations « tortues » des militants. Certains de ces derniers n’ont pas résisté et ont été conduits pour interrogatoire au commissariat, installé sous le pont. Tout était réalisé pour reproduire au mieux le contact avec la police lors de « vraies » actions de désobéissance civile.
Un autre poste clé était enseigné durant le camp, celui de « Peace Keeper ». Leur tâche est d’expliquer l’action aux passants et faire en sorte que la tension redescende. Léa, participante au « Camp Climat », endossait pour la première fois ce rôle le dimanche 23 août. « C’était vraiment intéressant, on est au contact direct des gens et donc on voit différemment l’impact de l’action », commente-t-elle. Les « Peace Keeper » ont été confrontés à deux types d’individus. Tout d’abord, des personnes plutôt compréhensives et en faveur de l’action « qui sont généralement des gens du coin, déjà sensibilisés aux questions écologiques locales ». Ensuite, il y avait des gens pour qui l’action posait des problèmes : soit par manque de temps et ne voulant pas se retrouver bloqués ; soit ayant une opinion différente de celle de l’action. Enfin, ils ont dû faire face à des villageois « vexés » de ne pas avoir été informés, voire conviés. Ces « Peace Keeper » étaient ceux qui régulaient le trafic sur le pont. Il n’était pas bloqué en permanence, mais par petit temps pour monter et descendre les banderoles et permettre des interventions de la « Polys ». Hors de ces temps, la circulation était alternée.
« Le temps nous est Comté », « Des poissons, pas du poison », etc, les banderoles étaient de sortie pour cette simulaction. Deux de grande taille ont été montées entre les arches pour donner plus de visibilité. Les slogans peints sont venus étayer le répertoire des actions de désobéissance civile.
Il n’y pas que les adultes qui ont participé, les enfants aussi ont eu leur place. Durant le camp, ils ont fréquenté le « Pôle enfant » où ils ont pu avoir un éveil aux questions écologiques. Aussi, ils ont pu réaliser leurs banderoles pour l’action de dimanche. D’abord près de l’eau pour chanter, ils ont vite rejoint « les grands » sur le tablier du pont. « Ils sont contents de pouvoir participer à leur mesure », rapporte Sébastien Ménestrier, porte-parole de l’action.
Action factice, mais vrai combat
Même si le nom utilisé pour qualifier la matinée du dimanche 23 août est « simulaction », il y a une réelle contestation derrière.
En février 2020, une étude réalisée sur 8 ans est sortie. Portée par l’Université de Franche-Comté, le Laboratoire Chrono Environnement, le CNRS et d’autres acteurs, elle montre que la production de Comté aurait un lien avec la pollution des rivières comtoises, comme la Loue. Suite à cette étude, le Collectif SOS Loue et Rivières Comtoises, avec une vingtaine d’autres associations, a publié une lettre ouverte. Cette dernière vise directement la filière Comté dans la pollution des rivières. La production augmentant pour atteindre plus de 66 500 tonnes en 2018, les éleveurs doivent produire plus de lait et donc, doivent éprendre plus d’engrais pour faire pousser les plantes. Ces produits, et les déjections plus abondantes des vaches, se retrouvent dans les rivières en s’infiltrant rapidement dans les sols karstiques du massif du Jura. L’azote qu’ils contiennent favorise l’apparition d’algues qui « étouffent » la rivière. C’est tout cet enchaînement et la volonté de produire toujours plus de Comté qui sont dénoncés dans la lettre ouverte.
Bien que l’action du dimanche 23 août visait notamment la filière Comté, d’autres acteurs sont cités par l’enquête de février 2020. Par exemple, il est mentionné l’usage domestique d’insecticides ; le traitement du bois, que ce soit des grumes ou en scierie ; le trafic routier avec les hydrocarbures ou les enrobés en goudron ; l’industrie ou encore le traitement des eaux usées.
Plus largement, les bloqueurs de la « simulaction » voulaient dénoncer le modèle économique actuel et ses effets, parfois locaux, sur la nature. D’après les climatologues, d’ici 2050, il ne serait plus possible de produire du Comté dans la zone de l’AOP à cause du réchauffement climatique de la planète. « Les principaux responsables, les agriculteurs, seront donc les premières victimes », conclut Sébastien Ménestrier.