Un mauvais songe

Certains délégués du pouvoir central, à la préfecture, dans la police ou au parquet, tentent d'user de méthodes dévoyées pour nous réduire au silence…

C'est bien connu, la meilleure défense c'est l'attaque.

Mis en cause pour ses méthodes contestables de maintien de l'ordre durant les manifestations, notamment celles des gilets jaunes, le pouvoir s'est raidi. Même Emmanuel Macron s'en est aperçu, allant jusqu'à confesser, fin août, qu' « il faut regarder comment changer la manière d'assurer la sécurité pour réduire très fortement le nombre de blessés » ; « repenser certaines méthodes d'intervention »... Le syndicat UNSA-Police l'a aussi dit à sa manière : « il faut arrêter de donner ce genre d'action [le maintien de l'ordre] à des gens qui ne sont pas spécialisés ». En deux mots, le maintien de l'ordre doit être confié « aux CRS et aux gendarmes mobiles ». Autrement dit, pas aux BAC, les brigades anti-criminalité, dont la place n'est pas sur les manifestations.

En s'en prenant localement aux correspondants de deux rédactions indépendantes qui ont documenté des cas de violences policières, rappelé ces évidences, fourni un travail d'observation critique qui semble déranger les tenants d'une vérité officielle unique, certains délégués du pouvoir central, à la préfecture, dans la police ou au parquet, tentent d'user de méthodes dévoyées pour nous réduire au silence. Pour ce faire, on exerce d'insidieuses pressions qui consistent à nous faire comprendre que nous devrions nous passer des services de Toufik de Planoise.

Toutes les rédactions reçoivent des pressions de tous ordres et de toutes origines. Les entendre relève de la compréhension, du décryptage, des intérêts de ceux qui les émettent. Cela fait partie du métier d'informer. On se fait engueuler, amadouer, flatter, menacer... Notre devoir est de les entendre, de les comprendre. Notre honneur consiste à y résister, s'y opposer sans s'en offusquer. Y céder serait trahir notre raison d'être.

Comme nous n'avons pas obtempéré, nous devrions payer. Un banal incident de fin de manif en serait le déclencheur. D'agressé par un quidam plus qu'éméché, Alex, le correspondant de Radio BIP, se retrouve poursuivi pour « violences réciproques » parce qu'il n'a pas tendu l'autre joue après avoir reçu un coup de poing à la face, parce qu'il a demandé des excuses. Et Toufik, parce qu'il s'est interposé comme quinze à vingt autres personnes qui tentaient de contenir un agresseur véhément et menaçant, se retrouve avec Alex dans la position du protagoniste d'une vulgaire rixe entre abrutis. C'est d'ailleurs ainsi que tous ont été présentés dans une brève de L'Est républicain, alimenté par une source unique, sans vérification.

Cette fable ne devait pas avoir de publicité. Le procureur de la République de Besançon avait initialement choisi une date d'audience ne figurant pas au calendrier judiciaire ordinaire, avant que l'affaire soit renvoyée au 9 mars 2020, dans la dernière ligne droite de la campagne des élections municipales.

La meilleure défense, c'est l'attaque. Comme par hasard, le policier chargé d'interroger Toufik lors de sa garde à vue est un ancien de la BAC. Une formation au sein de laquelle des fonctionnaires ont fricoté avec un syndicat d'extrême-droite, ce que Toufik avait révélé il y a plusieurs années dans une enquête publiée sur son blog de Factuel. Depuis, il ne cesse d'être dans le collimateur de certains policiers. C'est lassant, usant, illégitime, inquiétant. Politiquement inquiétant.

C'est assurément ce qu'ont voulu exprimer les personnalités et les organisations que nous avons sollicitées pour s'associer à notre  demande d'abandon des poursuites que le procureur de la République a estimé opportunes et qu'il est en capacité d'éteindre. Qu'il n'ait pas considéré opportun de donner suite à la plainte de Toufik de Planoise pour menaces de mort et tirs de flash-ball émanant de policiers de la BAC sur sa personne, laisse songeur.

Aujourd'hui, 108 personnes et 14 organisations estiment qu'il faut sortir du songe avant qu'il ne vire cauchemar. Certains exercent d'importants mandats électifs, la plupart sont militants progressistes ou humanistes, des libertaires aux socio-démocrates en passant par les écologistes, les insoumis et les communistes, par les syndicalistes et les associatifs. Il y a des journalistes et des écrivains. Ce qu'ils ont en commun ? Les droits de l'homme et la liberté de la presse ! La fameuse loi de 1881, celle qui prévoit les délits de presse, en laquelle nos contempteurs n'ont à l'évidence pas trouvé matière à poursuites judiciaires…

Demain, soyez encore plus nombreux à soutenir une presse libre et indépendante du pouvoir ! 

 

Newsletter

Lisez la Lettre de Factuel

ABONNEZ-VOUS À LA NEWSLETTER !