Trois femmes et un confinement /Jour 9

Si nous n'oublions pas la misère des autres et du monde, ce jour 9 aura quand même le parfum des cookies de Nina.

biche

JOUR 9 – MIMI

 Je pense à eux tous les jours et plusieurs fois par jour. À ces personnes, ces citoyens, ces citoyennes, que l’on appelle des SDF. Il y aurait près de 140 000 personnes sans abri en France, en 2019. Le site du Collectif des morts de la rue, que je vous conseille de consulter, fait, chaque année, le compte des morts de la rue. Des chiffres toujours au-dessus de 500 personnes. Certains avancent le chiffre de plus de 2000. Dans la rue, on meurt avant 49 ans, alors que l’espérance de vie au niveau national est de 80 ans. On meurt de froid, de chaud, de maladie, de désespoir… Chaque année, ce collectif qui leur a redonné une identité, retrouvé les familles quand il y en a encore, organisé les funérailles s’il le faut, leur rend hommage.

Alors, quand en aout 2018, la municipalité a décidé d’interdire la mendicité dans les rues bisontines, pendant la saison estivale, j’ai ajouté ma parole à celles des autres indignés par cette mesure, en écrivant un billet de blog, dans Factuel. Allez mendier ailleurs, vous gênez, a dit le Maire !

Combien y aura-t-il de morts en 2020 ? Le bilan risque d’être lourd.

Pendant presque 40 ans, j’ai travaillé en tant qu’éducatrice. D’abord avec des adolescents. 17 années… tumultueuses. Ensuite, j’ai travaillé avec des adultes au Centre d’Hébergement et de Réinsertion Sociale (CHRS) Julienne Javel, à Chalezeule, à côté de Besançon. J’y ai professionnellement été heureuse, grâce à des gens admirables. Vraiment. Alors je leur ai téléphoné pour savoir comment ça se passe, tellement j’imagine ce qu’est le quotidien de mes anciens collègues et de ceux que je ne connais pas, et ce qu’est le quotidien de ces hommes déjà confinés dans des vies de galère. Ils gèrent ! Plutôt bien. Il faut dire que grâce à Yves Garret, à Jean-Guy Henckel, à Jérôme Boillot, à Dominique Tournier, pour ne citer qu’eux, le CHRS s’est transformé de façon radicale dans les années 90. Je l’ai connu dans les années 75. Des chambres dortoirs, des sanitaires sur les paliers des couloirs… J’ai eu la chance d’arriver à Javel au moment de sa rénovation. Un bâtiment supplémentaire, et des chambres individuelles munies d’une douche et de toilettes privatives. Ça a beaucoup changé les comportements des hommes hébergés là. Quand on traite bien les gens, en général ils se comportent mieux. Alors cela m’indigne de savoir que les aides, subventions, et autres moyens de soutenir les plus faibles de nos concitoyens se réduisent comme peau de chagrin. Une honte !

Cela dit, dans la chaleur notre phalanstère/gynécée, si nous n’oublions pas les misères du monde, nous nous préparons à la suite du confinement, qui va durer encore un bon mois. Anouk va mieux, beaucoup mieux et nous ne nous disputons pas plus que d’habitude, plutôt moins, même. Je dois avouer que j’ai encore du mal à visualiser vraiment cette pandémie et me dire qu’elle est mondiale. Cela me déstabilise un peu… plus qu’un peu… Ce qui réconforte, c’est le nombre d’appels que nous recevons et que nous donnons pour prendre des nouvelles, des unes, des uns, et des autres.

JOUR 9 – ANOUK

CE QUI SE PASSE PENDANT LE CONFINEMENT …

L’anecdote du jour, je la dois à mon amie Marie-Louise Aurélie Leduc*, qui m’a téléphoné ce matin pour prendre de mes nouvelles. Grâce à elle, j’ai pu vérifier que tout allait bien, puisque je ne me suis pas étouffée malgré un fou rire mémorable. Avec sa permission, je vous confie ce qu’elle m’a raconté, étant bien entendu que ce partage est autorisé par les mesures tout à fait exceptionnelles dues à la situation dans laquelle est plongé notre pays, ainsi que le reste du monde. Bref, ce qui se passe pendant le confinement, restera dans le confinement…

Vous devez savoir que Marie-Louise Aurélie* vit dans un petit village de France, avec son mec, Pierre*, et ses deux cannetons, Dolce* et Gabbana*. Vous devez également savoir que Marie-Louise Aurélie* est myope, cela aura son importance pour la suite. Comme New-York, New Delhi, Los Angeles, Paris et même Besançon, le petit bourg où réside Marie-Louise Aurélie* est déserté de ses habitants. C’est un village très touristique qui connaît des périodes de grande affluence. Mais en ce moment, à part une biche dans le jardin l’autre jour, on ne croise plus grand monde devant chez Marie-Louise Aurélie.

Hier, Pierre*, le mec de Marie-Louise Aurélie*, part faire un tour pour se dégourdir les jambes et aller à la pharmacie cherchez quelques médicaments dont le foyer a besoin (doliprane, vitamine C, xanax, lexomyl, lysanxia, la base quoi…). La pharmacie n’étant pas très loin, Marie-Louise Aurélie, au bout d’un quart d’heure, guette à la fenêtre de la cuisine le retour de l’être aimé, dont elle espère apercevoir la silhouette sur le chemin désert. Au détour du virage, elle voit enfin apparaître sa démarche familière et, consciente qu’en ces temps de confinement, il est important de mettre dans son couple un peu d’humour, de gaieté, de franche rigolade et de piment… bref, elle se dit qu’elle va le faire marrer tout en l’émoustillant, elle ôte son T-shirt, et se met à brailler à la fenêtre en levant les bras et en exhibant sa jolie poitrine libre de toute entrave (Marie-Louise Aurélie* est féministe et de toutes les façons, en ce moment, personne ne porte plus de soutien-gorge). Elle se rend compte alors de son erreur puisqu’au moment où la silhouette sombre qu’elle a prise pour Pierre* détourne le regard (dans un réflexe de pudeur qui force l’admiration) elle entend dans son dos la voix de son mec qui lui demande : « mais qu’est-ce que tu fais ? ». Elle doit se rendre à l’évidence, il y avait bien un autre habitant sur le chemin à ce moment-là. « Il doit m’avoir prise pour une folle » me dit Marie-Louise Aurélie* alors que je m’étrangle de rire dans la cuisine (postillonnant par là-même de dangereuses gouttelettes). Sans blague !

« Nan mais c’est vrai quoi ! se défend Marie-Louise Aurélie*, les gens ne se rendent pas compte ! Quand on est myope, et qu’en plus on est presbyte, pour rester à la maison, on ne porte pas forcément ses lunettes, et du coup, on distingue des formes, on ne voit pas les détails. »

Je te le confirme, Marie-Louise Aurélie*, quand un quidam, rentrant d’une course, traversant les rues désertes de son village, dans une ambiance digne d’un épisode de Walking Dead, se pressant pour retrouver la chaleur rassurante de son foyer, quand cet homme donc, aperçoit par la fenêtre d’une maison une femme braillant et seins nus… On ne peut pas vraiment savoir ce qui lui passe par la tête. Mais on peut être sûre d’une chose, c’est que sa première pensée ne sera pas : « tiens, encore une qui a oublié ses lunettes ».

*Tous les noms ont été changés.

JOUR 9 – NINA

C'est, depuis le début du confinement, une des seules journées où je n'ai presque pas vu le temps passer. Ça fait du bien. Je suis allée faire les courses (toute seule, c'est encore mieux), j'ai fait des cookies et j'ai fait un peu de sport. Le plus difficile avec le confinement, c'est, oui, le fait de ne pas aller au café, de ne pas manger dehors avec des amis ou juste de se balader dans Paris, mais c'est surtout de se dire que on ne sait pas quand ça va exactement se finir. Si j'avais une date, je pense que ce serait un peu plus simple.

 

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