Trois femmes et un confinement / Jour 4

Comment revenir à nos récits en cours ? Et comment transformer ce que nous vivons, et qui prend beaucoup de place, en histoire ? Car le récit est une affaire de distance, une affaire de temps. Ce que nous vivons en ce moment, nous ne pouvons que le chroniquer, et c’est tout à fait différent.

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JOUR 4 – MIMI

Je suis laïque, profondément, viscéralement laïque. Pas laïcarde, laïque. Non, ce n’est pas une de mes névroses, c’est un principe de vie, un principe philosophique… Je respecte les gens sans religion, et je respecte les religions. À condition qu’elles ne viennent pas, comme le fait le coronavirus, tuer et fiche en l’air les équilibres sociaux.

Dans les livres qui pourraient nous occuper dix ans, nous les trois femmes recluses… non confinées… il y a, entre autres, l’inévitable Recherche du temps perdu, de Proust, ainsi que sa correspondance. L’Illiade et l’Odyssée. Ulysse de Joyce. Don Quichotte, de Cervantes. Les misérable, Notre-Dame de Paris, de Victor Hugo. Des piles de polars. 2105, Mémoire interdite, le dernier roman d’Anouk en direction des jeunes adultes, mais que moi, qui suis une adulte plus que confirmée, j’ai lu avec jubilation. Et La Bible. 3176 pages. Évidemment, La Bible réécrite par des écrivains avec l’aval… non, avec la bénédiction de la commission doctrinale des Évêques de France. La Nouvelle Bible, chez Bayard éditions. Du sérieux, donc.

La sortie de la crise due à cette sale bête de coronavirus verra-t-elle la naissance d’un nouveau monde reconstruit par des humanistes ? Par des scientifiques que l’on écouterait enfin ? Par toutes les bonnes volontés attachées au bonheur de l’humanité toute entière, attachées à réduire les inégalités, voire à les supprimer, attachées au respect de la terre et de la Terre ?

Nous sommes au jour 4 du confinement. Je retourne à ma Bible. Celle réécrite par des écrivains.

Premier / Dieu crée ciel et terre / terre vide solitude / noir au-dessus des fonds / souffle de Dieu / mouvements au-dessus des eaux.

Dieu dit Lumière / et lumière il y a / Dieu voit la lumière / comme c’est bon / Dieu sépare la lumière et le noir / Dieu appelle la lumière jour et nuit le soir

Soir et matin / un jour

Dieu dit / voûte au milieu des eaux / pour séparer les eaux des eaux / Dieu fait la voûte / et sépare les eaux sous la voûte / des eaux sur la voute.

C’est fait / Dieu appelle la voûte ciel

Soir et matin / deuxième jour

Dieu dit / Rassemblement des eaux sous le ciel / sur un même lieu réunies / ce qui est sec à découvert

C’est fait / Dieu appelle ce qui est sec terre / et mers l’union des eaux / dieu voit / comme c’est bon

Dieu dit Terre / naissance à tout ce qui pousse / L’herbe à semence donne semence / l’arbre à fruit donne chaque espèce de fruit / qui porte en lui sa semence dans la terre

C’est fait / la terre fait naître des pousses / l’herbe à semence donne semence / selon chaque espèce / L’arbre donne un fruit qui porte en lui sa semence selon chaque espèce

Dieu voit comme c’est bon

Soir et matin/ troisième jour

Aujourd’hui, nous sommes au jour 4 de peut-être une nouvelle création du monde. On remplace Dieu par Enfant, Femme, Homme… et on écrit la suite de l’histoire post apocalypse ! Chiche ?

JOUR 4 – ANOUK

Les mots. Les mots, ces jours-ci, ont pris leur place tout à fait particulière dans cette nouvelle situation de confinement. Et cela m’est apparu en lisant le livre de Maryam Madjidi, Marx et la poupée, dans lequel elle raconte son enfance en Iran puis sa condition d’exilée en France. Il y a une scène très belle où la petite Maryam découpe toutes les lettres de l’alphabet persan et les enterre sous le tapis de sa chambre, dans la terre qu’elle a creusée avec ses petites mains d’enfant, pour se recueillir sur la tombe, dit-elle, de son persan. En enterrant les mots, elle enterre une partie de ce qu’elle est. Car ce sont les mots qui la définissent, qui la racontent, qui la déterminent. Et ne savons-nous pas déjà que les choses n’existent que quand nous les nommons ? Au commencement était le verbe.

Alors oui, en ce moment, le soir, quand je me couche, j’ai la tête pleine de mots : les miens, ceux des infos, ceux des réseaux, ceux des histoires que j’essaie de continuer à raconter, ceux qui appellent à l’aide et ceux qui veulent rire, réconforter. Ce n’est pas facile de les rassembler, de les trier, de choisir ceux qui seront justes, ou qui relèveront de la plus élémentaire pudeur. Encore moins facile de les organiser en récit. Je lis sur les pages (internet j’entends) de mes collègues, qu’elles et eux aussi ont du mal à trouver l’inspiration en ce moment, alors que le confinement devrait représenter une aubaine pour toutes celles et tous ceux dont le métier est d’écrire. Mais comment revenir à nos récits en cours ? Et comment transformer ce que nous vivons, et qui prend beaucoup de place, en histoire ? Car le récit est une affaire de distance, une affaire de temps. Ce que nous vivons en ce moment, nous ne pouvons que le chroniquer, et c’est tout à fait différent.

Quand Mimi a proposé ce « challenge », c’est d’ailleurs la seconde chose qui s’est imposée. J’ai d’abord pensé : c’est une super idée ça ! Ça nous donnera une petite discipline et cela nous fera un projet commun. Puis, tout de suite après, je me suis dit que si nous en sortions indemnes (physiquement et psychologiquement), cet exercice nous permettrait, quand tout serait terminé, de revenir sur cette expérience, de retrouver comment nous l’avions traversée, et peut-être d’en tirer un enseignement, une morale, comme la morale des contes pour enfants. Je me suis immédiatement projetée dans la distance, dans le futur de cette histoire, que nous ne racontons pas encore puisque nous la vivons.

 Voilà donc à quoi sert cette chronique : non pas à romancer cette période mais juste à témoigner, au jour le jour, de la façons dont nous la vivons. Tout en espérant, comme dans le jeu du cadavre exquis (et c’est ici que la forme à trois voix nous aide) que ces mots s’organiseront, nous surprendront, et, créant un sens dont nous n’avons sans doute aucune idée, deviendront un récit.

JOUR 4 – NINA

Aujourd'hui on est allées faire les courses avec maman, on a fait le plein de saucisson et de m&m's. C'est dingue comme le simple fait d'aller faire les courses fait du bien. On est sorties équipées avec nos gants et des écharpes en guise de masque. Les petites choses, que d'habitude on trouve chiantes, sont en fait très agréables quand c'est la seule chose qu'on a le droit de faire. Moins agréables quand même que de téléphoner à mes copines!!!!! Rituel de tous les jours! On parle, on se plaint, on se manque, et c'est pour ça que nous avons décidé de trouver un lieu à paris ou nous installer : qu'elles viennent me chercher en hélicoptère, que je prenne mes saucissons, mon attestation et qu’on se confine toutes ensembles. Surtout le dites pas à Maman et Mimi, sinon elles vont barricader toute la baraque ! Opération Prison Break lancée !

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