Trois femmes et un confinement/Jour 15

 Le choc, les ondes de choc… un chat...

S’il est collectif, le choc est aussi individuel. Il se ressent différemment suivant un nombre de facteurs liés à notre histoire personnelle. Le choc évoque quelque chose de violent. Et ce qui se passe depuis quelques mois est très violent. Le choc qui nous atteint de plein fouet génère de la violence, s’il génère aussi de la solidarité

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JOUR 15 – MIMI

Aujourd’hui, entretien téléphonique avec Aline Chassagne, sociologue et anthropologue. En fin de semaine et dans Factuel, vous trouverez le compte rendu de cet entretien, ainsi que la chronique sur son livre : Soins et prison. Enquête auprès de détenus gravement malades.

Dans ce travail de recherche, elle parle du « choc carcéral » ressenti par les personnes qui arrivent en prison, et des risques de suicide dans cette période. Je ne suis pas incarcérée, je suis confinée. Mais ce mot de choc reflète bien ce que je ressens. S’il est collectif, le choc est aussi individuel. Il se ressent différemment suivant un nombre de facteurs liés à notre histoire personnelle. Le choc évoque quelque chose de violent. Et ce qui se passe depuis quelques mois est très violent. Le choc qui nous atteint de plein fouet génère de la violence, s’il génère aussi de la solidarité. On parle également des ondes de choc qui continuent à se propager, longtemps après le choc. J’essaie d’avoir une représentation de ce que ça donnera, plus tard. Rien ne me vient, que des inquiétudes, et la certitude que nous devrons nous bagarrer. Un choc. Qu’il soit physique ou psychologique, le choc fait mal. Il sidère. Il peut détruire.

Dans notre phalanstère/gynécée, nous sommes plutôt bien armées pour résister au choc. Parce qu’une fois, pour faire face à un autre choc, nous avons dû nous confiner. Ce confinement d’aujourd’hui réveille un peu celui d’hier. Un confinement, même réussi, même dans de relativement bonnes conditions, laisse des traces. C’est une expérience de vie peu ordinaire. Les raisons de ce confinement d’aujourd’hui font se poser beaucoup de questions sur l’avant et sur l’après. De nouvelles inquiétudes naissent. De nouveaux sujets d’espoir aussi. Je continue d’apprendre sur moi. Sur ce dont je suis capable, sur ce dont je ne suis pas capable. À la sortie de cette crise, ma représentation du monde ne sera plus la même, pas plus que ne la sera la représentation de moi-même. Ce changement est déjà en marche, même si je ne sais pas encore vers quoi. Quelques grandes lignes directrices, mais les grandes lignes directrices, ça ne suffit pas. À chaque jour sa peine. Je verrai demain…

JOUR 15 – ANOUK

Ça ne vous aura pas échappé, quinze jours, c’est le temps qu’on avait prévu de rester confinés. Depuis, on a eu le temps de perdre toute notion du temps. Bref on a compris que la quille, c’est pas pour demain.

Moi, ces quinze jours, je ne les ai pas vus passer, ça doit être l’avantage d’être malade. Aujourd’hui, d’ailleurs, je vais beaucoup, mais alors beaucoup mieux. Du coup j’ai dormi toute la journée. Vous ne trouvez pas ça logique ? Moi non plus, mais rien ne l’est en ce moment. En conséquence, je n’ai pas vraiment eu le temps de penser à ce que j’allais écrire dans ce billet de confinement. Il me fallait un sujet « de derrière les fagots », un sujet de « j’ai pas de sujet ». Et là je me suis souvenue qu’on ne vous avait jamais raconté comment nous travaillons en trio.

Tout d’un coup, j’ai presque eu envie de vous faire une petite vidéo de l’appartement. C’est vrai, on est intime, maintenant ! On se retrouve tous les jours (Oui, je sais, certains d’entre vous aussi doivent avoir un petit coup de mou dans la lecture et on ne se retrouve pas tout à fait tous les jours). Mais qu’importe, ce merdier, ça crée des liens. Donc, l’appartement, ce sera pour une autre fois. En revanche, je vais vous expliquer comment nous procédons, et pourquoi cette aventure a un petit côté « exercice surréaliste » (je ne voulais pas dire cadavre exquis, vu les circonstances). Nous écrivons notre journal chacune de notre côté, et aucune n’a le droit de dire aux deux autres le sujet de son billet du jour. Souvent, Mimi est la première à avoir terminé. On le sait parce qu’elle nous l’annonce, au déjeuner. Par exemple : « moi, je sais de quoi je vais parler ». Ou : « Ça y est ! J’ai écrit mon billet ». Souvent, Nina est la dernière à écrire son billet. Quand on l’appelle à 18h50 pour la réunion de rédaction, elle est en général en train de terminer « j’arrive ! j’arrive ! je suis pas tout à fait prête ! ».

Moi, c’est entre les deux. Et j’écris du fond de mon lit. Aujourd’hui, c’est la première fois depuis dix jours que je m’installe à mon bureau. Mais revenons à nos moutons. À 18h50 donc, tout le monde descend dans le salon, qui est aussi la chambre de Mimi, il faudra peut-être qu’on vous fasse un petit résumé du souci qu’on a, dans cette famille et dans cette maison, avec le nom des pièces. C’est un problème récurrent qui illustre sans doute le problème de place de chacune. Une des névroses dont Mimi se délecte, comme un chat dans un pot de crème.

Bref, à 18h50, conférence de rédaction : chacune lit son texte, dans l’ordre. Mimi commence, je poursuis, Nina conclut. Nous découvrons ce que chacune a écrit et c’est vraiment un moment amusant et parfois surprenant. Ensuite nous apportons quelques légères modifs, jamais motivées par la cohérence entre les textes – que nous laissons telle quelle - mais plutôt par les critiques de forme (« là j’ai pas compris, là c’est un peu long ») apportées par les unes et les autres. Mais ce sont vraiment de toutes petites choses, en règle générale nous postons les textes tels qu’ils ont été écrits. Ensuite, nous trouvons une ou deux photos pour illustrer le billet du jour et nous nous lançons dans un ballet un peu fatiguant : Mimi et Nina m’envoient leurs textes, je copie colle pour former le document commun, que j’envoie à Mimi. Mimi se lance alors dans les périlleuses manipulations pour mettre tout ça en ligne (non sans quelques agacements répétitifs et quotidiens – mais enfin pourquoi ça ne marche pas, aujourd’hui ! – qui font désormais partie du rituel). Je colle les photos et le texte dans un document général qui nous est destiné et nous pouvons enfin aller diner (à ce stade, nous sommes affamées). Puis, après le dîner, le redac chef de Factuel nous annonce que c’est en ligne et je fais mon post facebook.

Voilà ! Vous savez tout de nos petits secrets de fabrications. C’est un peu risqué, mais je me suis dit que comme sur Netflix, vous aviez bien le droit de profiter d’un making off de votre série préférée.

Alors, à demain pour de nouvelles aventures confinées. Je file appeler ma mamie Jojo, puis je descends. Je vais être à la bourre pour la réunion de rédaction.

JOUR 15 – NINA

Comme vous le savez, je téléphone tous les jours à mes copines et quand je passe mes coups de téléphone, je descends dans la cour. Et bien hier, je me suis fait un nouveau copain. Il est trop cool. Il parle beaucoup moins que maman et Mimi. C'est un chat. Bon, au début il avait un peu peur mais aujourd'hui on s'est revu et il était plus confiant. J'hésite entre deux prénoms: Concon pour confinement ou Coco pour Corona. Comme vous l'avez remarqué, j'en suis au point de construire une relation amicale avec un chat que j'ai vu deux fois dans ma vie. Peut-être que lui aussi il écrit un blog de confinement pour chat ? Si ça se trouve, il parle même de moi !!

Non non, je ne deviens pas folle.

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