Trois femmes et un confinement/ Jour 14

Peur, colère, motivations... Je tombe le masque pour vous dire que oui, j’ai peur. Peur pour celles et ceux que j’aime, peur pour ceux que j’ai aimés... J’ai peur pour tous ceux que l’on envoie au front, sans masques, sans gants. Je pense aux soignants, aux caissières, aux éboueurs, aux livreurs… Je pense même aux policiers. Oui, ceux qui ont gazé, matraqué, éborgné… 

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 Jour 14 - Mimi

Peur et colère. J’arrête de me cacher derrière mon masque en tissu, confectionné par une costumière de théâtre. Soucieuse de solidarité, elle en a cousu des dizaines, et Amélien les a distribués. Je tombe le masque pour vous dire que oui, j’ai peur. Peur pour celles et ceux que j’aime, peur pour ceux que j’ai aimés. Peur pour Jojo et pour Geneviève. Heureusement, Jojo a des voisins qui veillent sur elle. Geneviève attend nos appels téléphoniques. Ils sont quotidiens. J’ai peur quand je pose la main sur une poignée de porte… Les gestes les plus anodins sont devenus sources de peur. J’ai peur quand je fais les courses, même si je suis masquée et gantée. J’ai peur quand je croise une ou un de mes semblables, et je m’écarte prudemment. Je me souviens qu’avant le confinement, je suis allée au meeting d’Anne Vignot, que je suis allée à la soirée organisée par Factuel et Radio Bip. Si déjà on ne se serrait plus la main, nous étions si nombreux… J’ai peur pour tous ceux que l’on envoie au front, sans masques, sans gants. Je pense aux soignants, aux caissières, aux éboueurs, aux livreurs… Je pense même aux policiers. Oui, ceux qui ont gazé, matraqué, éborgné… Quand nous redescendrons dans la rue pour demander que quelques comptes soient réglés, que l’on revienne à plus d’humanité, à plus d’égalité, à plus de services publics, à une école qui donne sa chance à tous, à un hôpital capable de faire face à une éventuelle nouvelle pandémie…, j’espère qu’ils n’auront pas oublié la façon dont on les a traités, et qu’ils se rangeront à nos côtés. Parce que là, le pouvoir tombe les masques et montre de quelle façon il se soucie de ses forces de l’ordre, et dans quel degré d’estime il les tient. Pour les autres catégories professionnelles, ils savent, nous savons, que pour le Capital dignement représenté par monsieur Macron, ils ne sont que de la piétaille.

La peur. Je l’ai tenue à distance, le temps d’organiser la vie du phalanstère / gynécée. C’est fait. Nous expérimentons que le fait de garder les rythmes du quotidien, de ne pas se laisser aller, de continuer à faire fonctionner notre cerveau en travaillant, en écrivant, en révisant, ça fait du bien, ça permet de tenir sur la longueur. Hier, j’ai fait un break Netflix, presque tout l’après-midi. Au final, aucune satisfaction, mais l’impression que j’avais perdu mon temps. Bon, on le sait, parfois il faut savoir perdre du temps pour en gagner. J’aime mieux aujourd’hui, où j’ai terminé la rédaction d’une chronique littéraire que je livrerai à Factuel dans la semaine. Ainsi que ce témoignage de mon confinement avec Anouk et Nina. Si je laisse maintenant la porte ouverte à ma peur, je la sais raisonnée et raisonnable. J’essaie de la maitriser. Qu’elle ne devienne pas une de mes centaines de névroses.

Quant à ma colère, j’essaie aussi de la maitriser, afin qu’elle soit raisonnée et raisonnable. Raisonnable ne veut pas dire fade ou assagie. Non. Il faudra analyser les faits. Il faudra se batte bec et ongles pour redessiner un monde meilleur. Et enfin se mettre d’accord sur ce que doit être ce monde meilleur. Si nos anciens du Conseil National de la Résistance y sont arrivés, pourquoi pas nous ?

JOUR 14 – ANOUK

Ce matin, Nina s’est mouchée, j’ai failli appeler le 15.

À part ça, tout va bien. Nous passons nos journées à nous éviter dans la maison. Quand Mimi dit « j’étouffe » (Mimi dit ça souvent, elle parle d’un étouffement psychologique), je panique. Dès que je croise Mimi ou Nina, je mets ma tête dans mon pull dans un geste réflexe idiot pour les protéger. Dès que je touche une porte, je la désinfecte, je suis passée maître dans l’art d’actionner les interrupteurs avec le coude, de descendre les escaliers sans me tenir à la rampe, je passe en dernier à la salle de bain et je dois nettoyer le lavabo à la javel à chaque fois que je me lave les dents. Nous prenons nos repas ensemble mais je ne touche à rien. Depuis que le Docteur Robert nous a expliqué la contamination par le « passe-moi le sel », cette pauvre salière a tout du coupable idéal et je n’ose la toucher, c’est Nina qui se charge d’assaisonner mon plat. Dès que je rigole, je me sens coupable, dès que je me mouche, je mets le kleenex aux toilettes, je me lave les mains, je tire la chasse, je désinfecte les toilettes, puis je me lave les mains et je mets du gel hydro alcoolique. Les geste barrière sont en train de devenir des toc. Aujourd’hui, comme je me sentais mieux, c’est moi qui ai préparé le déjeuner. Un Hachis Parmentier, 30 minutes au four à 200°, normalement y’a pas de problème. Il a quand même fallu désinfecter la porte du four, puis tous les ustensiles, puis le plan de travail. Le souci, c’est que dans mon bel élan, j’ai commencé à mettre la table. Merde ! Il a fallu tout enlever et mettre la vaisselle à tremper. Faut dire, on n’a pas l’habitude. Moi, je le savais que notre système hospitalier était en crise, la dernière fois que je suis allée aux urgences, c’était en Août et ils étaient déjà en grève, dans un décor de fin du monde, avec le plafond qui menaçait de nous tomber dessus. On en avait parlé avec l’infirmière et on était parties de là, avec Nina, à quatre heures du matin, en se disant qu’ils étaient incroyables tous ces gens : les pompiers, le médecin urgentiste qui avait fait une petite blague : c’est vous la mère ? Alors c’est de votre faute ! Et les jeunes infirmières qui arrivaient à être sympa et drôles, en plein milieu de cette nuit du mois d’août, près de la gare du Nord, dans un service d’urgence qui ressemblait déjà à un « hôpital de campagne ». Un décor de guerre. Et puis il y a eu Jean et là, on s’est carrément retrouvés en réa à la Salpetrière, avec des infirmières tellement intelligentes, alors qu’elles étaient si jeunes, que je n’en suis toujours pas revenue. Alors moi j’y croyais à notre système de santé, je me disais que quoi qu’il arrive, ils nous sauveraient. C’est vrai, c’est con, c’est ce que je me disais. On a le meilleur système de santé du monde. Sauf que depuis des mois, donc, ils étaient en grève, et comme leur mission, c’est de sauver des vies, ils ont continué à bosser. C’est peut-être pour ça qu’on n’a pas pris la mesure. On ne le voyait pas, que ça n’allait pas, puisqu’ils arrivaient encore à nous sauver (et puis aussi, il faut bien le dire, parce qu’on n’a pas besoin d’être sauvé tous les jours, en temps normal). Mais là, ils n’y arrivent plus. Là, on se dit, faut pas s’y retrouver à l’hôpital, par ce que ce n’est pas certain qu’ils y arrivent, à nous sauver. On vit dans le plus beau pays du monde, mais ceux qui sont censés nous aider (pas que les soignants, d’ailleurs, les flics aussi, les profs qui s’occupent des enfants des soignants, les caissières, les transporteurs, les éboueurs), tous ces gens manquent du minimum : pas de masque, pas de sur combinaison, par de charlotte, pas de putain de gel hydro alcoolique. Ils font ce qu’ils peuvent. Mais ils ne pourront pas tous nous aider. Ils font ce qu’ils peuvent, mais ils sont les suivants sur la liste.

Alors je tremble pour mes proches, comme tout le monde. Et je ne fais plus de câlin à ma Nina. C’est con, mais c’est pas fastoche, de passer toute une semaine dans la même maison que sa grande Nina, et de ne pas pouvoir lui faire un bisou, pas la prendre dans mes bras. C’est pour ça, quand j’ai lu dans un article la trouille des soignants, quand j’ai lu qu’ils n’osent plus embrasser leurs enfants, le soir, en rentrant chez eux, j’ai éclaté en sanglots.

Mais sinon, je vous assure, ça va. Si si…

Et vous ?

 JOUR 14 – NINA

Nina ayant passé sa journée à écrire des lettres de motivation, elle n’est pas très motivée pour son billet du jour. Elle me charge de vous dire : à demain !

Tiens, j’en profite pour glisser deux post scriptum :

1 : Avec Nina, on a inventé une façon de se faire un câlin à distance : on se regarde en serrant nos bras autour de nous-même.

2: Merci Mimi de dire qu’en regardant des séries, on ne fait rien d’intéressant. Pour ceux qui ne le sauraient pas, écrire des séries est l’un de mes métiers ! ;-)

PS de Mimi au PS d'Anouk : Oups !!!

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