Trois femmes et un confinement /Jour 10

Jour 10, quelques révélations ...

chariot_2

JOUR 10 – MIMI

Pourquoi Mimi ? Je vous explique :

Jojo, ma maman, 90 ans, habite dans le Jura, à 80 bornes d’ici. C’est dur de ne pas aller la voir régulièrement, mais c’est une testadura, et elle résiste au covid 19, avec humour même. Quand nous allons chez elle, elle nous raconte son enfance, son adolescence, pourquoi elle a aimé et épousé Henri. Elle nous raconte ma naissance, celle de mon frère, celle de ma sœur… Elle nous donne des pistes pour comprendre à quel point nous sommes fortement inscrites dans l’histoire de notre famille. Grâce à ses récits, grâce à des albums photos, et grâce à des centaines de photos empilées dans une boite, elle nous montre qui était qui, ce qui lui est arrivé et croyez-moi, dans cette branche de la famille, il y en a des histoires « extravagantes » dit Jojo. Dans la branche paternelle aussi. Si ce confinement dure, peut-être vous en raconterai-je quelques-unes. Celle de l’homme-canon, par exemple.

Geneviève, mon ex belle-mère, 90 ans aussi, habite dans le Haut-Doubs. Elle aussi et à sa manière est une testadura et elle résiste au covid 19. C’est dur de ne pas aller la voir comme nous le faisons toutes les trois dès que possible. Avec elle, nous avons un rituel. Nous allons déjeuner à L’Hôtel du Lac, à Malbuisson, où nous sommes connues comme le loup blanc. Immuablement, en fin du repas arrosé d’un verre de vin du Jura, et d’un soda pour Nina, nous choisissons le chariot des desserts. Ah ! Le chariot des desserts ! Simplement à y penser, je salive, mes papilles pétillent, mon corps tout entier réclame ces gourmandises empilées sur au moins trois étages du charriot. Ensuite, car Geneviève est restée bonne marcheuse, nous faisons une grande balade au bord du lac. Il n’est jamais de la même couleur, ce lac. Il est toujours magnifique.

Je reviens à : Pourquoi Mimi ? La naissance d’un enfant donne souvent lieu au besoin ou au désir de savoir dans quelle chaine ce nouveau maillon va s’inscrire. À qui elle, ou il, ressemble-t-elle, ressemble-t-il… avant de ressembler à elle-même ou à lui-même. Bref, quand Nina est née, il y a eu grand remue-généalogie, qui nous a permis, entre autres, de nous rendre compte que, symboliquement et à cause d’un fait particulier, nous « souffrions » du syndrome des Matriochkas. Vous savez ! Ces poupées russes emboitées les unes dans les autres. Rassurez-vous, nous travaillons activement à un processus de désemboîtement. Le confinement ne rend pas la chose facile. Je reviens encore une fois à Pourquoi Mimi ? et j’apporte la réponse. Quand nous avons parlé généalogie à Nina, photos à l’appui, nous lui avons expliqué que Jojo et Geneviève étaient ses arrière-grand-mères, que j’étais sa grand-mère… Arrière grand-maman, grand-maman…Elle a simplifié. Les arrières grands-mères seraient Mamie, et moi je serais Mimi. Ça va à tout le monde.

JOUR 10 – ANOUK

Jour 10 ? Ça y est, ça n’a plus beaucoup de sens. On pourrait tout aussi bien être le jour 137. Aujourd’hui on ne sait qu’une chose avec certitude, c’est qu’on ne sait absolument pas quand tout cela va se terminer, comme le disait si bien Nina hier. Alors le temps se distend. Mais il nous est rendu, aussi. Moi, si j’avais une date butoir, vous pouvez être sûr qu’une fois guérie, je me mettrais à vouloir le rentabiliser, ce temps, je me mettrais à compter, organiser, maîtriser. Comme avant. Comme il y a dix jours. Alors que là, tout ce qu’on nous demande, à nous autres, les vernis, les privilégiés parmi tous les privilégiés, tout ce qu’on nous demande, c’est de lâcher prise. De vivre au jour le jour, dans l’instant. De toutes les façons, qui peut dire comment ce sera, dans deux semaines, dans trois, ou même à l’automne ?

Et comme nous sommes bien d’accord que tout ce qui se passe dans le confinement restera dans le confinement, tout ce qui se dira ici restera entre nous. On n’a pas le choix, non ? Autant être sincères, parce qu’on ne va pas réussir à dire des trucs hyper drôles ou intelligents tous les jours. Alors je vous livre une confidence : la question que je me pose, moi, aujourd’hui, clouée au lit par le COVID 19, c’est : quand tout cela sera terminé, est-ce que je vais réussir à ressortir ? Ceux qui me connaissent le savent : j’ai une petite tendance agoraphobe. Plusieurs fois dans ma vie, dans des périodes de fragilité ou d’angoisse, je me suis retrouvée devant la porte de chez moi, m’exhortant au courage : « allez, tu vas y arriver, tu peux le faire »… ensuite je sortais en rasant les murs, en essayant d’endiguer la crise d’angoisse. J’ai appris à vivre avec ça, et puis j’ai appris à l’apprivoiser, à le combattre, et enfin à vivre tout court : et maintenant ça ne me pose presque plus du tout de problème de sortir de chez moi. Quand je suis très fatiguée, ou un peu fragilisée, je sens de petits symptômes familiers, mais ils sont tout légers, une toile de fond, un souvenir… Une alerte aussi : pour me rappeler que je suis passée tout près, vous savez, que j’aurais pu être une de ces personnes qui ne sortent plus jamais de chez elles, qui s’organisent pour se faire tout livrer, qui ne peuvent tout simplement plus affronter le monde extérieur, sa folie, ses microbes…

Heureusement, je l’aime trop, le monde extérieur. J’aime trop flâner dans les rues, j’aime trop mes amies (maintenant que vous en connaissez une, vous comprenez pourquoi), j’aime trop mes amis, le travail, les voyages, les rencontres, j’aime les cafés, j’aime tellement les cafés… Alors j’ai apprivoisé ce trouble, petit à petit, coûte que coûte, je ne l’ai pas laissé gagner. Depuis quelques années, je me sentais presque guérie, puisque j’allais même plusieurs fois par mois travailler dans un bureau ! Certes, à grand renfort de lingettes, de lunch box, certes au prix d’une certaine fatigue, mais avec quel plaisir, quel bonheur ! Ces tout derniers temps, je me sentais carrément délivrée : voilà que je courais d’un rendez-vous à l’autre, à travers tout Paris, pour le travail, pour les amis, voilà que je visitais des appartement, serrant des mains, même plus mal au ventre, même plus mal au cœur, même pas peur ! Et voilà que je relâchais mes petits gestes barrière à moi, après tout merde, c’est pas grave, on s’en fout. Et puis tout d’un coup en fait non, on ne s’en fout pas. Ah bon ? Voilà qu’en fait, les gestes barrière, c’est pas toi qui es dingue, c’est conseillé : voilà qu’on fait le ménage dans les bureaux, voilà qu’on évite de prendre le métro, c’est non seulement conseillé mais c’est un geste de civisme ; voilà qu’on vous demande de ne pas monter dans ce TGV, voilà que vous n’êtes plus la seule à le trouver dégueulasse ce TGV. Et moi justement, je n’ai plus peur ! Ça m’a pris 45 ans, mais je m’en fous ! je veux monter dans le TGV, je veux le prendre le métro, avec des gants, mais quand même ! Et là bim, le virus, dans ta gueule. Et là bim, c’est dangereux dehors, tu avais raison, dehors, c’est la mort. Et là bim, ne sortez plus, #restez chez vous.

Alors oui, aujourd’hui, confinée dans la maison de mon enfance, j’ai une petite pensée pour la suite. Quand je sortirai à nouveau, j’espère que je n’aurai pas tout oublié. J’espère que je saurai encore vivre.

JOUR 10 - NINA

Encore une journée qui est passée plutôt vite ! Je crois que j'ai enfin trouvé comment m'occuper. Mimi et maman aussi d'ailleurs ! Et en s'occupant, elles m'occupent. Comment ? En se disputant. Ce qui ne me déplait pas plus que ça. Ça me fait un spectacle. Quand une dispute "éclate" je m'empresse de saisir mon paquet de pop-corn (c'est pas une blague je les regarde vraiment se disputer en mangeant des pop-corn) et je profite du moment. Les disputes de Mimi et maman sont magnifiques. Maman soupire, Mimi fronce les sourcils et moi je rigole ! Un super moyen de mettre du piment dans une journée de confinement. Merci maman et Mimi !

Newsletter

Lisez la Lettre de Factuel

ABONNEZ-VOUS À LA NEWSLETTER !