Transition énergétique : « plutôt une révolution ! »

Chaque année, l'énergie produite en Franche Comté correspond à 485.000 tonnes d'équivalent pétrole (TEP) pendant que la consommation s'élève à 33 millions, soit un milliard d'euros pour un produit intérieur brut de 28 milliards (2010). En ouvrant la conférence régionale qui doit déboucher sur trois mois de débats et une synthèse nationale prélude à un projet de loi à l'automne, Marie-Guite Dufay a dit qu'il fallait « changer d'échelle ». Plusieurs dizaines d'intervenants ont ensuite montré des pistes, formulé des propositions, annoncé des initiatives.

chamole

Chaque année, l'énergie produite en Franche Comté correspond à 485.000 tonnes d'équivalent pétrole (TEP) pendant que la consommation s'élève à 33 millions de TEP, soit un milliard d'euros pour un produit intérieur brut de 28 milliards (2010). 43% de cette énergie sont utilisés dans les logements et les bureaux (France 44%), 28% dans les transports (France 32%), 27% dans l'industrie (France 21%, 2% dans l'agriculture (France 3%). Quand la région émet des gaz à effet de serre, 34% proviennent des transports, 22% de l'agriculture, 12% de l'habitat, 11% de l'industrie, 6% des déchets... Quant à la qualité de l'air, elle est globalement bonne, mais on enregistre ponctuellement des dépassements de normes pour les particules fines issues des moteurs diesel et des chauffages au bois sans filtre...

Les pionniers l'emporteront-ils ?
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Le schéma régional climat, air, énergie (SRCAE) conclu en novembre entre le Région et l'Etat, approuvé par arrêté préfectoral, prévoit les mêmes objectifs pour 2020 que le Grenelle de l'environnement pour la réduction des gaz à effet de serre et de consommation d'énergie (-20%). Il est plus ambitieux en matière de production d'énergie renouvelable : 32% de plus au lieu de 23%, essentiellement par la mobilisation des ressources en eau et en bois, a expliqué Marie-Guite Dufay en ouvrant ce mercredi la conférence régionale de transition énergétique. Celle-ci s'inscrit dans un débat national se tenant dans toutes les régions jusqu'en juin avec une conférence de clôture produisant « synthèse et recommandations », puis une conférence nationale en juillet et un projet de loi à l'automne.

Trois projets éoliens à Chamole (Jura), Quingey (Doubs) et Vandoncourt (Aire urbaine)
Des citoyens veulent s'engager pour ne pas laisser les profits quitter le territoire
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La barre est haut placée, à tel point que la présidente du Conseil régional préfère parler de « révolution plutôt que de transition énergétique ». Il s'agit de « réviser nos modes de vie, de construire, de nous déplacer ». Pour ce faire, on doit « mettre les bouchées doubles » et « changer d'échelle » pour mettre en oeuvre un « immense chantier » entraînant le logement vers la « sobriété énergétique » par le biais de « travaux de rénovation très importants ». La région revendique un objectif de 15.000 logements rénovés par an pour atteindre la norme BBC d'ici 2050, alors qu'on n'en est qu'à 5.000 sans être en BBC. Comme les subventions publiques ne sont « pas à la hauteur des besoins », il convient de « passer à un autre système » comprenant notamment des financements de la Banque européenne d'investissement. Les enjeux sont économiques, sanitaires et sociaux, a expliqué le préfet Stéphane Fratacci qui entend « changer non pas de cap mais d'ambition, inventer de nouveaux leviers de croissance économique », d'autant que « la précarité énergétique risque de s'amplifier ».

Démontrer le réalisme de l'utopie

Pour faire bonne mesure et ne pas rester dans les hautes sphères, l'association européenne Energy Cities dont le siège est à Besançon, s'est vue confier l'organisation des débats d'ouverture. L'économiste Gérard Magnin, son délégué général, a sélectionné onze « pionniers » dont la fonction est de démontrer que ce qui paraît inatteignable est possible. Certains sont des praticiens de base de la sobriété énergétique, d'autres moins. Tous ont expliqué devant 250 acteurs économiques et sociaux, relais d'opinion pour certains, l'évidence de choix qui ne demandent qu'à faire école. On est assez loin des doux rêveurs des années 1960 ou 70 qui puisaient dans les ouvrages de vulgarisation du dessinateur Reiser des idées pour bricoler des installations solaires. Et pourtant... On est simplement passé de l'utopie à sa réalisation. Chacun est invité à dire les freins rencontrés et formuler des recommandations.
Louis Massias, ancien maire de Foussemagne (90), président de la communauté de communes du bassin de la Bourbeuse, préside ERCISOL (énergie renouvelable citoyenne et solidaire) : « Foussemagne ne consomme plus d'énergie fossile avec deux chauffages aux  granulés de bois et deux centrales photovoltaïques... En 5 ans, la consommation a baissé de 32%, l'électricité photovoltaïque représente 52%... Ercisol est une coopérative fondée en 2010, elle a 86 actionnaires. Son objectif est de rassembler 500.000 euros pour investir 3 millions... Elle produit déjà 1,5 kWh par an pour 350 foyers ». Il suggère de petites exploitations locales bien réparties, et que tous les fournisseurs puissent proposer le tarif réglementé...
Denis Vuillermoz, vice-président du Conseil régional (PS) et du parc naturel régional du Haut-Jura : « Nous avons accompagné un projet d'urbanisme frugal dans trois villages, édité un guide des bonnes pratiques, adopté une charte paysagère... Les freins sont le manque de coordination, la contradiction entre les besoins immédiats et les réponses de long terme... »

La fromagerie chauffe cinq bâtiments communaux

Philippe Julliard, fromager à Epenoy (25) : « Quand on a changé les cuves en 2003, on a choisi le bois quand le fuel était à 35 centimes, on a galéré pour convaincre, mais à la crise pétrolière de 2005, on est passé pour moins fou. Depuis 2010, la commune s'est branchée à la coop et on chauffe cinq bâtiments communaux... Le frein, c'est quand on règle à 19 ou 20 degrés, les gens disent que ça ne marche pas quand les radiateurs sont froids... On aimerait s'approvisionner localement en plaquettes car la commune est très forestière, mais on doit aller à Frasne... »
Myriam Normand, directrice de la maîtrise de l'énergie à Besançon : « on a le même problème, quand les radiateurs sont froids, les gens pensent que c'est en panne... Avec nos choix, on a gagné 400.000 euros sur des devis de 600.000... En 2014, on sera à 80% d'énergie renouvelable. La certification éco-énergie apporte 150.000 euros par an... Les freins : on ne croit pas assez à la raréfaction des ressources. Il faudrait une approche des projets en coût global sur 20 ou 30 ans, pas seulement à court terme ».

Le retard de la recherche et développement

Dominique Perreux, co-fondateur de MAHYTEC (matériaux, hydrogène, technologie) : « L'entreprise s'inscrit dans le développement du stockage d'hydrogène pour la mobilité future. On est associé à la recherche en amont car les marchés sont lointains et il faut payer les quinze salariés ! Quand on se heurte à des solutions pas encore matures, on a ces difficultés. Le frein, c'est le retard de recherche et développement, on doit certifier nos réservoirs en Allemagne, ce serait bien en France, on y réfléchit avec le Grand Dole. Les investissements sont importants et la rentabilité aléatoire : elle n'est pas sur 5 ans, mais sur 15 ou 20 : comment nous accompagner ? J'espère la BPI...  »
Dominique Charmoille, fondateur de Charm'ossature à Etalans : « On aura trois ans en avril, on fabrique des élements de maisons à ossature bois, c'est 12,5% des constructions en Franche-Comté, c'est 30 à 40% d'économie d'énergie, il faut des incitations fiscales. Il y a un sérieux obstacle avec les études thermique des permis de construire : personne ne connaît les normes, on manque de formation pour les professionnels et dans l'administration... »

« Il faudrait plus de souplesse réglementaire »

Guy Henrion, directeur à la SAIEMB logement, Besançon : « Après réhabilitation des logements, on est à 63 kWh/m2/an alors que l'objectif était 96... Le total des quittances est inchangé... L'obstacle, c'est la complexité des dossiers de subvention et leur différence selon le subventionneur... Il faut partager les réussites, mais aussi les échecs ».
Remy Cercoy, agriculteur au Gaec Vivier-Roche à La Rochelle (70), en charge de la méthanisation : « On fait 1,5 million de litres de lait par an et on a 450 hectares de céréales. Nous avions des problèmes d'effluents, on a visité des méthaniseurs en Autriche... On a eu 2 ans d'études, 3 ans de montage de dossier et en 2010, on a ouvert notre méthaniseur de 2000 m3. On chauffe nos bureaux, un séchoir, on fait de l'eau chaude... On a produit 1.272.000 kWh en un an, on a 54% de chaleur excédentaire, on pense aller à 65%... Ça a coûté 1,24 million, on a emprunté 850.000 euros et eu des subventions (Ademe, région, plan de relance). L'obstacle, c'était le peu de référence en France, le peu de matériel adapté. Il faut aussi faire un réseau de chaleur en même temps, et on a été confronté au refus de la commune... Il faudrait plus de souplesse réglementaire... »

Apprendre le bio dans les lycées agricoles

Jacques Lançon, adjoint au maire de Lons-le-Saunier : « Reconquérir la qualité de l'eau aboutit à des économies d'énergie : consommer moins de nitrates économise l'énergie et relocalise les productions pour consommer local... La régie municipale alimente les cantines et les foyers en blé bio local et en boeuf bio : c'est plus cher au départ, mais en quelques années c'est le même prix pour la collectivité. On relance le maraîchage bio : on est à 20%. Le frein énorme, c'est que les jeunes des lycées agricoles devraient avoir la double compétence agriculture conventionnelle et bio. Cest un problème qu'ils ne soient pas familiarisés aux pratiques bio ».
Bernard Champroy, vice-président du pays du Doubs central : « On a mis en place Tadoubs, système de transport à la demande, les usagers paient 20%, le Pays 40%, le Conseil général 40%. Un agent du pays prend les réservations et fournit la feuille de route au transporteur : la fréquentation a doublé en 5 ans, on a évité 6500 km en 2012 grâce au transport groupé, c'est 1,86 t de CO2 économisé en 2011 et 1,87 t en 2012... C'est difficile de regrouper les voyageurs, et le transport à la demande limite l'usage à une catégorie de population ».
Yves Ménat, directeur de General Electric, Belfort : « L'électricité ne se stocke pas, elle pourra peut-être l'être à l'avenir avec l'hydrogène... On fait des centrales à gaz avec cycle combiné : il y a une variation selon la puissance de l'autre source, le vent... Le rendement est de 61% quand c'est 30% pour une voiture ou une centrale classique. Notre objectif est de transformer le parc mondial de centrales... L'obstacle, c'est l'articulation entre micro-économie et macro-économie : ça dépend du prix de l'énergie primaire qui a baissé avec le gaz de schiste : le charbon est devenu le moins cher. Pendant qu'on parle d'énergie renouvelable, on construit des centrales à charbon à cause du système de subvention, je crains un black out d'une semaine sans électricité en Europe dans les 5 ans ! Ma proposition, c'est d'annuler l'ensemble des subventions, sur 5 ans, et de les remplacer par la tonne de carbone. Mais avec du charbon à 4 euros, il faudrait distribuer des droits plutôt à 20 ou 30 euros », ce qui suppose des « énergies renouvelables rentables... ».  
Très prompt à réagir dans le débat qui s'ouvre ensuite avec la salle, le député Eric Alauzet (EELV) indique que « le tiers investisseur va se mettre en place » car le coût global de nombreux investissements est « dissuasif ». Il s'agit en fait, traduit Gérard Magnin, de « faire payer les investissements avec les économies qu'on va réaliser ». Quant aux aides aux énergies renouvelables, l'élu estime qu'elles renvoient au débat sur l'éco-fiscalité qui « aurait le mérite de la simplification : la réflexion du gouvernement va sans doute dans ce sens, l'éco-fiscalité pour financer l'économie ».
La conseillère régionale et ancienne députée Françoise Branget (UMP) est « d'accord avec Eric Alauzet ». Elle craint que « l'administration et les professionnels ne suivent pas » pour la rénovation du bâtiment, et estime qu'il faut « mettre le paquet pour la formation ». Sous les sourires, elle relance la piste d'un « projet fluvial remodelé » pour éviter que la Franche-Comté « ne soit le couloir à camions de l'axe nord-sud de la France ». 

        



 

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