Quand le travail, ce n’est plus la santé

Assistante sociale à la Sécu, Delphine Pratini accompagne des personnes en arrêt de longue durée pour maladie, accident et parfois harcèlement. Un métier passionnant et utile, mais dont le sens est remis en cause par certaines orientations managériales. Elle en a tiré une conférence gesticulée qui remet bien des pendules à l'heure.

(Le 3 juin 2022 à 18 h à Bletterans, Jura, la fête populaire organisée par la NUPES dans le cadre de la campagne législative)

delphinepratini

Assistante sociale à la Sécu... Waouh ! On imagine les sourires entendus, les remarques vachardes. On entend les collègues de bureau ou d'atelier chambrant l'un des leurs levant le pied : « Eh, on n'est pas à la Sécu. On travaille ici ! »

Assistante sociale à la Sécu, c'est le boulot de Delphine Pratini depuis 18 ans. Et ce n'est pas ce qu'on croit. Pour l'expliquer, elle a tiré de son histoire personnelle et de son expérience professionnelle une conférence gesticulée intitulée comme de juste « Le travail, c'est la santé ? »

Elle explique son père disparu, modeste artisan dans le Jura, prisonnier d'un donneur d'ordre quasi unique, ce qui le conduira à la liquidation. Elle raconte comment les valeurs de ses parents, le travail bien fait et la solidarité, l'ont conduite à entrer à l'Institut régional du travail social de Besançon (IRTS). Ses mots sonnent juste quand elle rapporte la fierté de son père quand elle décrocha le bac, première de sa famille qui investit avec espoir dans ses études.

Anecdotes vécues

Elle dit son métier d'assistante sociale, son code de « déontologie », le situe dans l'histoire de la Sécurité sociale issue des combats de la Résistance, les 123 caisses locales bâties le soir et les week-end par des militants de la CGT en 1946. L'affiche du film de Gilles Perret La Sociale, dans un coin de la scène, donne le ton. Elle présente les quatre piliers du travail dans notre société : règles de métier, collectif de travail, reconnaissance, identité. On réalise leur importance quand le travail n'est plus là...

Elle raconte surtout des anecdotes vécues, présente des témoignages de personnes qu'un arrêt de longue durée a laminées, pour certaines jusqu'à la dépression. Les unes ignorant leurs droits, d'autres victimes de harcèlement sans le savoir, d'autres encore désorientées parce qu'en perte de ce qui les a construits, craignant de passer pour des « cas-soc' »...

Elle évoque ce délégué syndical d'usine licencié pour inaptitude que le groupe de parole qu'elle avait institué a libéré : il s'est rendu compte qu'il n'était pas seul à vivre le sentiment de déclassement et d'inutilité, à sentir l'incompréhension dans le regards de ses proches ou de ses voisins. Cela lui a permis de s'orienter vers autre chose qui lui plait.

Elle parle de Chantal qui vit ses conditions de travail se dégrader : elle s'occupait auparavant avec trois autres personnes de deux services, elle était maintenant toute seule... En arrêt pour souffrance au travail, elle dit un jour en entretien à Delphine s'être dit en rentrant chez elle en voiture que la solution serait de rentrer dans un arbre...

Et l'efficience remplaça les valeurs humanistes...

Il y a ce couvreur tombé d'un toit, en arrêt depuis plus de deux ans pour des fractures multiples, soufrant encore dans sa chair et ses mouvements, qui n'ose plus sortir en raison des remarques de ses voisins ou collègues : « t'as l'air en forme ! »

Delphine Pratini fait aussi part de ses interrogations face à l'évolution de son métier sous les coups de boutoir du néolibéralisme, mot qu'elle n'a pas peur d'employer. Ainsi, en 2011, une « grand messe » réunit à Dijon la centaine d'assistantes sociales de la région sous l'égide, ça ne s'invente pas, d'un certain Bernard Tapie, rien à voir avec l'ancien ministre de Mitterrand, seul nom qu'elle n'a pas modifié pour sa conférence : « il voulait remplacer les valeurs humanistes du métier par la notion d'efficience... Je me suis sentie trahie »

Delphine qui accompagnait les personnes dans la compréhension et l'obtention de leurs droits, les amenait à libérer leur parole pour essayer de les faire aller mieux ou de ne plus culpabiliser, a désormais pour tâche de les faire revenir au plus vite au travail. « Moi, dans tout ça, ça devient compliqué », lâche-t-elle... Elle arrive cependant à suivre en 2015 une formation d'accompagnement de victimes de souffrance au travail...

A côté de références historico-juridiques, de citations des sociologues Danièle Linhart et Pierre Bourdieu, de l'économiste Bernard Friot ou de psychologue Christophe Desjours, Delphine Pratini propose aussi un pas de côté dans l'imaginaire poétique du conte de Claude Ponti Okilélé qui, selon une fiche pédagogique « présente la différence en tant que situation marginale qui détermine une construction particulière de l'identité ».

Après cette conférence gesticulée, on n'a plus envie de se moquer des assistantes sociales de la Sécu ! En tout cas, c'est une excellente introduction à un débat.

  • Durée : 75 minutes environ. Contact : delphine.pratini @ orange.fr - 06.83.41.20.47 - page Facebook

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