Procès 5G : « D’autres vont prendre ma place, moi j’attends ma peine »

Ils se réclament de l’écologie radicale et ont voulu agir contre la 5G, mais les indices qu’ils ont laissés les ont conduits très vite à la barre du premier procès du genre en France. Entre craintes légitimes, absence de débat public et fausses informations au sujet de ces nouvelles ondes, deux Jurassiens ont été condamnés à 4 et 3 ans de prison par le tribunal de Lons-le-Saunier pour l’incendie en plein confinement du McDonald’s de Champagnole, d’engins de chantiers et d’une antenne relais à Foncine-le-Haut.

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Qualifiés de « révolutionnaires de fortune », les deux ne sont pas vraiment connus dans le milieu militant local, même si l’un a déjà été aperçu en manifestation. Ils se rangent plutôt derrière la bannière des « dissidents ». « Je ne participe plus à cette société et je n’en prends rien » dira le 20 juillet devant le tribunal de Lons-le-Saunier l’un des deux prévenus âgés de 58 ans au lourd passif judiciaire. Interrogé sur ses opinions, il explique qu’il ne va pas chercher ses informations sur des sites comme BFM et consorts, mais plutôt sur ceux classés dans la catégorie « complotiste ». Il ajoute que tous les êtres vivants sont sensibles aux ondes, d’autant plus avec la 5G qui a des fréquences basses, et qu’il a vu sur Internet des vidéos où des oiseaux meurent en passant à côté d’antennes 5G. Il a aussi récemment alerté ses connaissances sur le fait de ne pas utiliser leurs téléphones à une date spécifique « en rapport avec les cycles de la lune » parce que l’effet des ondes combinées y serait encore plus nocif qu’en temps normal.

Le premier acte de la série de destructions par moyens dangereux qui leur est reproché est l’incendie d’engins de chantier dans le village jurassien de Foncine-le-Haut le 12 avril. Le premier cité nie sa présence sur les lieux. Le second, 39 ans, intérimaire sans mission depuis 2019 et allocataire du RSA, assume pleinement et sereinement un acte passible de 10 ans de prison. Il expliquer sans sourciller les raisons qui l’on poussé à mettre le feu à trois pelleteuses et un chenillard au lieu-dit le Paradis, un endroit qu’il apprécie et qu’il fréquente depuis ses 10 ans. « Voir des arbres cassés et couchés comme ça m’a énervé. En plein confinement, eux peuvent aller tout saccager, mais nous on ne peut pas aller se promener ». En l’absence de panneaux mentionnant la nature du chantier, et avec en tête l’ordonnance censée donner la possibilité aux opérateurs d’installer pendant le confinement des antennes 5G sans procédures, il s’imagine que les engins préparent forcément l’édification d’un tel pylône. Sans que cette technologie « ne soit expliquée à la population », se défend-il.

« Si je n’avais pas mis le feu, il ne resterait peut-être plus rien »

Il avait commencé par « laisser un message » en arrachant les câbles électriques d’une pelleteuse une semaine plus tôt. Mais quand il revient se promener avec son chien, les dégâts sont encore plus frappants. Cette fois, il retourne à sa voiture remplir des bouteilles du mélange d’essence dont il se sert pour sa tronçonneuse. Il brise les vitres et allume son dispositif sous le siège des machines. « Il y avait une belle forêt, des marécages… Si je n’avais pas mis le feu, il ne resterait peut-être plus rien ». Pour lui, les manifestations sont inutiles et il vante l’action directe. « La solution où et quand j’ai agi était celle-là. D’autres vont prendre ma place, moi j’attends ma peine. Il y a eu plus d’antennes incendiées pendant le confinement que pendant toute l’année 2019, c’est bien qu’il se passe quelque chose ». Mais sur ce coup, il s’est trompé de cible. Ici, les engins travaillaient à restaurer une tourbière, pas à installer une antenne.

Deux jours plus tard, nouvel incendie. Cette fois, ce sont les baies d’alimentation de l’antenne relais du village, non loin du « Paradis », qui brûle dans la nuit. C’est aussi ce soir-là que le premier avait arraché son bracelet électronique qu’il ne supportait pas. Il était venu chez l’autre prévenu, son voisin. Pour justifier l’absence de signal, il avait signifié, sans convaincre, au surveillant pénitentiaire qui l’avait contacté par téléphone un problème de réseau. Quelque temps plus tard, le signal GSM sera effectivement perdu… Il déclare devant la juge qu’il s’est endormi chez son ami, qu’il ne l’a pas entendu sortir et qu’il n’avait aucune idée de ces intentions. Quant à son ADN retrouvé sur place, l’explication est toute trouvée : il partage un garage avec l’autre accusé, dont 8 traces ADN ont été retrouvées au pied de l'antenne par les enquêteurs qui avaient dépêché de gros moyens. Le presque quarantenaire a passé 3 ans dans l’armée, où il a « appris pas mal de trucs », mais apparemment peu sur la discrétion. Il se fait tatillon sur le sens des mots. Quand le procureur lui fait remarquer que la police a retrouvé d’autres cocktails Molotov à son domicile, lui dit que ce n’en est pas, qu’il s’agissait de bouteilles en plastique remplies d’essence avec des mèches en tissu qui ne se lancent pas.

Début d’incendie au McDo

Le 7 mai à 1 h 29 du matin, l’alerte est donnée au McDonald’s de Champagnole. Les caméras de surveillance de la ville et du fast-food captent la présence de deux individus qui cassent une vitre et qui semblent surpris des alarmes qui retentissent. Ils jettent deux engins incendiaires qui causeront un début d’incendie vite maitrisé et s’enfuient avec une voiture qui sera identifiée comme celle de leur propriétaire commun, habituellement conduite par le plus jeune. Son comparse a d’abord nié les faits en garde à vue, en indiquant aux policiers qu’il n’était pas d’accord pour brûler un McDo et qu’il aurait mieux valu brûler un tribunal pour le symbole étatique qu’il représente et pour l’impact que cela aurait eu. Cela ne passe pas auprès de la cour… « Que pensez-vous des gens comme moi, des juges ? », demande la présidente. « Je n’ai rien contre les magistrats ni contre la police d’ailleurs. Il y en aurait d’autres avant vous sur la liste ». Une réponse loin de les avoir rassurés.

Il avait finalement avoué sa participation à l’incendie du McDo plus tard, lui qui est auto entrepreneur dans la restauration de bâtiment et qui venait d’ouvrir une pizzeria dans son village quand le confinement a forcé sa fermeture. Quand il a vu les images des longues files d’attente de véhicules attendant de pouvoir commander des hamburgers, il n’a pas supporté. « On a fait ça sur le coup de la colère. Nous les artisans et les commerçants on meurt tranquillement et la grande idée de l’État c’est de rouvrir les McDo. Pour moi, c’est l’apothéose de la connerie », lance-t-il.

Le mystérieux Conseil national de la transition

« Vous avez adhéré au Conseil national de la transition ? », interroge le procureur à l’adresse de son complice. Il opine, mais indique qu'il s'est contenté de s'inscrire à la liste mail du mystérieux mouvement qui souhaite ouvertement renverser le gouvernement. Celui-ci matérialise sa présence dans l’espace public en peignant des ronds verts partout où ils peuvent. Et dans la région, il y en a de plus en plus. Le procureur semble alors en quête de plus de renseignements. « C’est le peuple qui veut reprendre l’État, qui est par définition le peuple. Ce sont des personnes qui ont des idées plutôt correctes, je pense aussi que ce pays est gouverné par des holdings ». Le mis en cause indiquera qu’il s’agit principalement de militaire et qu’il considère le gouvernement du CNT, en exil en France, comme plus légitime que celui actuellement en place.

Après cette tirade sur le groupuscule, le procureur en a fini et peut débuter sa plaidoirie. « Ce qui sous-tend ce dossier, c’est la 5G », clame-t-il tout d’abord lors de ce procès qui est sûrement le premier du genre en France. Les attaques contre les antennes se sont multipliées pendant le confinement, il en totalise 142 en Europe dont plusieurs dizaines en France et 3 dans le Jura. Alors que presque personne n’a été interpellé pour ces faits, il établit le spectre de ceux qui en voudraient à ces pylônes téléphoniques : écolo-libertaire, technophobe, électrosensibles, ceux qui souffrent de problèmes psy ou qui auraient des problèmes avec les opérateurs ou les forces de sécurité intérieure. « Les plus radicaux planifient, préparent et exécutent de manière quasi militaire leurs actions en ne laissant presque pas de traces. Ce qui semble exclu ici. » Il s’est posé la question de requérir la peine maximum. « Mais ils ne sont pas en haut du spectre, si on leur met la peine maximum, qu’aura-t-on à opposer aux plus radicaux ? » Il demande 6 ans et 4 ans de prison pour ces personnes de « très bonnes intelligences, mais qui se sont nourri de peu de choses, notamment de ce qu’elles ont pu trouver sur le net. »

« Sans rentrer dans une quelconque théorie du complot, le sujet interroge »

Dans sa plaidoirie, l’avocate de l’un des détenus ne souhaiterait évidemment pas que son client ne serve d’exemple dans la lutte contre la 5G qui promet de durer et de peut-être s’intensifier encore à mesure de sa mise en œuvre. Elle insiste sur les questions que pose cette technologie et qui demeurent sans réponses. « Sans rentrer dans une quelconque théorie du complot, le sujet interroge. L’agence de sécurité sanitaire doit rendre des conclusions qui ne sont pas attendues avant le début de l’année prochaine alors que le déploiement de la 5G doit commencer en France avant la fin de cette année… Cela suscite des controverses et des craintes, dont certaines sont d’ores et déjà confirmées, comme l’augmentation du nombre d’antennes et l’impact négatif sur les prévisions météorologiques. Des politiques s’en mêlent et réclament des explications, un débat public, tout comme Orange et Bouygues parce qu’ils voient qu’énormément de gens ont des craintes ».

Selon elle, ces inquiétudes ont été exacerbées par le confinement et l’attitude des autorités qui ont participé à la défiance croissante par rapport à ce qui nous est présenté. Elle cite en exemple l’ordonnance qui était censée faciliter le déploiement de la 5G. « Corinne Lepage, avocate, ancienne ministre, a été une des premières à relayer des informations de ce type sur cette ordonnance en indiquant que le gouvernement veut faire passer la 5G dans le dos des gens. Mon client va y croire, il n’y a pas de réponses, tout le monde est dans l’incertitude. Alors il s’est dit que s’il ne faisait rien, il sera trop tard. » Verdict, 4 et 3 ans de prison. Si l’un a reconnu qu’il a pu être influencé par de fausses informations et que l’impact psychologique du confinement a joué, il n’éprouve aucun regret et fait face à sa peine.

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