Prix du lait : les producteurs inquiets

L'alerte a été donnée en septembre dernier, quand le puissant groupe coopératif Sodiaal a décidé de baisser de 5 euros la rémunération des 1000 litres de lait standard, et même de 15 euros pour les volumes destinés au beurre et à la poudre. Dans la foulée, le géant Lactalis annonçait également une baisse de 5 euros. Une délégation de producteurs est reçue ce mercredi par le préfet de Haute-Saône.

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L'alerte a été donnée en septembre dernier, quand le puissant groupe coopératif Sodiaal qui a racheté Entremont et créé Monts-et-Terroirs pour les fromages sous labels, dont le comté a décidé de baisser de 5 euros la rémunération des 1000 litres de lait standard, et même de 15 euros pour les volumes destinés au beurre et à la poudre. Dans la foulée, le géant Lactalis annonçait également une baisse de 5 euros. Tous deux collectent et transforment du lait de la région et même un peu au-delà. Avec la fromagerie haut-saônoise Milleret, ils traitent les trois quarts du lait standard franc-comtois, le reste étant travaillé par la coopérative vosgienne de l'Ermitagequi détient l'UAC à Clerval à laquelle ont adhéré les producteurs de la Centrale laitière de Belfort, Bongrain, et la coopérative d'Aboncourt-Gésincourt qui fait de l'emmental grand cru.
C'est donc peu dire que lorsqu'un prix se décide à l'ouest, il influe sur les payes de lait à l'est. Selon Emmanuel Aebischer, président de la FDPL fédération départementale des producteurs de lait, branche lait de la FDSEA de Haute-Saône, Lactalis paie les producteurs en moyenne à 312 euros les 1000 litres quand l'Ermitage verse 331 euros, Milleret 325, Bongrain 305... Ces prix sont en net retrait par rapport aux moyennes 2012 constatées par le mensuel L'Éleveur laitier de mars sur l'ensemble du bassin laitier du Grand-Est. « Nous sommes dans une situation délicate, le coût de production de la tonne de lait a augmenté de 30 euros, essentiellement à cause des protéines qui ont explosé », explique Emmanuel Aebischer : « l'indispensable tourteau de soja est normalement autour de 320/350 euros, il est aujourd'hui à 420/430... ». Pour faire face, la FNPL revendique un prix de lait à 340 euros. Pour une fois, le prix allemand n'est pas mis en avant par les industriels : il est plus élevé, ce qui est plutôt rare.

Organisations de producteurs sans capacité de négocier

On en est loin, et ça risque de durer. Jusqu'à ce que l'Union européenne ne considère les accords de prix entre producteurs et transformateurs comme une entorse à la concurrence, ces accords étaient peu ou prou respectés. Aujourd'hui, « les entreprises nous disent : on va discuter avec les organisations de producteurs », témoigne Emmanuel Aebischer. Prévues par la loi de modernisation de l'agriculture de 2010 pour mettre en place une régulation privée de la production afin de remplacer la régulation publique qui prend fin avec les quotas en 2015, ces organisations de producteurs peinent à se mettre en place. « Elles ne sont pas encore reconnues par Lactalis et Milleret, donc n'ont toujours pas la capacité de négocier. Pour les premier et second trimestres 2013, les laiteries vont donc appliquer leur loi, à part l'Ermitage qui a suivi les indications », dit Emmanuel Aebischer. « Il n'y en a pas non plus chez Bongrain où les syndicats de vente en font office. Il faut du temps pour que les organisations de producteurs se mettent en place, il faut regrouper les syndicats... », dit Vincent Fidon, de la Confédération paysanne de Haute-Saône.  Ce qui est prévu, c'est une organisation de producteurs par transformateur au niveau du bassin laitier. 
En attendant, comme souvent, les producteurs vont donc se tourner vers l'Etat. Ce mercredi matin, une délégation de la FDPL de Haute-Saône a rendez-vous avec le préfet pour « essayer de trouver des solutions politiques », indique un communiqué commun avec la FDSEA et le syndicat Jeunes Agriculteurs. Qu'est-ce à dire ? « Il faut quelque chose, par exemple un report de charges », dit Emmanuel Aebischer. En janvier des laiteries Sodiaal ont été bloquées à Vienne (Isère) et dans la Sarthe. « Il y a une pression du syndicalisme pour accompagner les laiteries à faire passer les hausses de prix à la grande distribution », analyse Jean-Michel Voccoret, rédacteur en chef de L'Eleveur laitier. 

Bientôt plus que 30.000 producteurs de lait en France ?
Des zones denses et des déserts...

Vincent Fidon ironise sur la situation : « Ce sont ceux qui ont négocié le prix du lait qui ne sont pas d'accord, ils n'ont à s'en prendre qu'à eux-mêmes... » Lui fait-on remarquer qu'il n'y a plus d'accord possible vu la position de l'Europe, il répond : « il n'y a plus d'interprofession, les industriels fixent les prix comme ils veulent, c'est le résultat de la réforme laitière en cours ». Autrement dit la réforme de la politique agricole commune (PAC). Selon la Confédération paysanne, mais aussi d'universitaires, elle consiste en une restructuration lourde : « On n'est plus que 72.000 producteurs de lait en france, on va tout droit vers les 30.000 annoncés par un rapport il y a quelques années... » Ils étaient 90.000 il y a moins de dix ans...
Jean-Christophe Kroll, professeur à Agrosup-Dijon, annonçait il y a plus d'un an une « guerre économique entre régions préparant l'effondrement de la production ». Sommes-nous à la veille d'une nouvelle crise du lait ? « Par rapport aux contraintes et au temps de travail, au prix des intrants, il faut vraiment être motivé », dit Vincent Fidon qui n'ira pas manifester car « les dernières élections aux chambres d'agriculture ont conforté le système en place... Si le lait était à 400 euros, il y aurait des jeunes pour s'installer en lait, mais là, on densifie par endroits alors qu'il n'y a plus personne dans d'autres ».  
Emmanuel Aebischer fait aussi ce constat : « Sur les 230 producteurs qui livrent Milleret, une quinzaine vont arrêter en 2013 pour faire autre chose. Si on ne fait rien, cela va s'accentuer... »

Nous avons cherché à joindre Denis Milleret qui, outre ses fonctions de direction à la fromagerie Milleret de Charcenne (Haute-Saône), est membre du bureau de la FNIL, la fédération nationale des industriels laitiers, qui siège aux côtés de la FNPL et de la FNCL (les coop) au sein du CNIEL, le comité national interprofessionnel laitier. Nous publierons évidemment sa position. 

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