Ce matin, la Franche-Comté a connu son premier « décrochage présidentiel. » Le groupe local « Action non-violente COP21 » (ANV-COP21) a préparé l’opération dans la plus grande discrétion, avec une dizaine de ses membres mobilisés vêtus de leurs chasubles jaunes caractéristiques. Roche-lez-Beaupré, petite bourgade périphérique de 2 000 âmes, a été choisie « pour sa proximité avec Besançon sans prendre les mêmes risques qu’une tentative intra-muros. »
Pour certains activistes néophytes, le stress était palpable, mais tous pensaient aussi à préserver le personnel municipal et les éventuels usagers présents. Un ciblage minutieusement réfléchit donc, pour mener le projet à son terme en évitant toute possibilité de confrontation. Il est 09h30, un « éclaireur » se détache afin de dialoguer et rassurer la secrétaire puis confirmer que la voie est libre. Dès lors le groupe investit tranquillement le modeste bâtiment.
Direction la salle du conseil, assemblée des dix-neuf élus. À l’entrée, le portrait du président trône. Deux compères prennent les devants, l’un dressant une banderole « urgence climatique – justice sociale : où est Macron ? » pendant que l’autre soustrait avec soin le précieux cadre. À sa place une affiche reprenant en illustration la photographie, mais affublée des précédents slogans. Ils ont aussi déposé le livre de Fred Vargas « l’Humanité en péril » et une lettre adressée à l'équipe municipale et aux personnels de la mairie pour expliquer leur geste.
« Nous sommes là pour nos enfants »
L’opération dure une petite dizaine de minutes sans le moindre accroc tant matériel que physique, les gendarmes n’étant d’ailleurs même pas sollicités. Plusieurs prises de parole s’improvisent alors pour appuyer les gestes : « on s’inquiète du monde laissé notamment aux plus jeunes » esquisses Josette, retraitée de l’Éducation nationale. « Macron fait semblant d’œuvrer sur les questions environnementales, c’est pourquoi nous devons symboliquement nous mobiliser » ajoute-t-elle.
Jean-Pierre, lui aussi ancien prof’, enfonce le clou. « Nous avons conscience des risques judiciaires, mais l’urgence est là. La canicule de cet été apparaît bien chétive par rapport aux prévisions pour les prochaines années. Nous sommes là pour nos enfants et les futures générations. » Quant à Charles, il évoque « un devoir écologique et social » et comptabilise déjà une centaine de « prises ». Pour ANV-COP21, l’objectif est de décrocher au moins 125 portraits présidentiels d’ici le G7, qui se tiendra à Biarritz du 24 au 26 août. 125, c’est le nombre de jours à partir desquels l’humanité est supposée avoir consommé l’ensemble des ressources que la planète est capable de régénérer en un an. Ce jour du dépassement est fixé en 2019 au 29 juillet et recule tous les ans.
Après un ultime plan devant la façade principale, tout le monde se sépare à 09h45. Le maire divers droite, Jacques Krieger, en fonction depuis 2014, est arrivé quelques minutes après la fin de l’événement. Bien qu’il « aurait préféré être prévenu », il n’a pas l’air plus traumatisé que ça s’excusant presque de devoir « nécessairement en avertir le préfet » à partir de ce lundi. Concernant les revendications, il n’hésitera pas à les « relayer auprès du bulletin mensuel de la commune ». Quant à Jean-Louis Fousseret, maire de Besançon, il s’est déclaré « scandalisé » par cette action non violente selon des propos rapportés par France 3 Bourgogne-Franche-Comté. « C'est inacceptable ! J'espère qu'ils seront retrouvés, on s'est battu pour la République. Quelle que soit l'opinion que l'on a du Président de la République, on ne peut pas faire cela pour défendre une soi-disant cause. Elle va où notre République ? », a-t-il réagi.
« L’urgence sociale et climatique est sous nos yeux, le vrai crime serait de se contenter de discours. Nous ne céderons pas au chantage de la répression, nous continuerons à “sortir Macron” des mairies pour lui faire voir le dérèglement climatique et l’extinction de la biodiversité en cours d’accélération, pour lui faire entendre les clameurs des gens en colère », semble lui répondre les militants dans leur communiqué.
Une vague de décrochages partout en France
ANV-COP21 s’est déjà engagé à de nombreuses reprises sur Besançon et sa région. En septembre 2018 par exemple, l’association occupait en collaboration avec plusieurs mouvements la banque Société générale rue Mégevand concernant ses affaires de fraudes fiscales et ses investissements dans les énergies fossiles. C’est ensuite le dossier emblématique des Vaîtes qui a été très suivi avec la coorganisation d’un « pique-nique de résistance » en avril dernier avec l’association Les jardins des Vaîtes.
Mais c’est bien les décrochages qui ont récemment défrayé la chronique. À Paris, Lyon, Orléans, Nancy, et dans des dizaines de localités, ces scènes se sont ainsi répétées. Autant de garde à vue, perquisitions, et poursuites, à l’encontre des protagonistes et leurs soutiens. Préfectures et gendarmerie ont reçu des consignes fermes de l’exécutif afin de les réprimer, le bureau de la lutte antiterroriste (BLAT) étant par ailleurs régulièrement saisi pour renforcer les enquêtes.
Les charges et condamnations potentielles sont en effet lourdes. Pour « vol en réunion », les « hors-la-loi » risquent jusqu’à cinq années de prison et 75 000 euros d’amende. Reste que les tribunaux ne suivent heureusement pas toujours quant aux suites voulues. Ainsi à Strasbourg le 26 juin dernier, trois militants ayant agi en ce sens début mars à Kolbsheim étaient poursuivis par le Parquet, le premier édile refusant de déposer plainte… Ils viennent d’être relaxés.