Potagers en résistance, ébauche de ZAD aux Vaîtes

Cela fait plusieurs années que le dossier emblématique des Vaîtes n’en finit plus de faire des vagues à Besançon. Alors que le projet est provisoirement suspendu par la justice, c’est sur le plan politique et électoral que les choses se sont dernièrement envenimées. En attendant, et loin des tergiversations feutrées, associations, riverains, jardiniers et opposants sont bien décidés à faire vivre cet écrin bucolique au cœur de la ville. Batailles juridiques et d’opinion, occupation maraîchère des sols, et prémices d’une ZAD forment un front combatif face à des autorités fragilisées, mais déterminées à poursuivre les travaux.

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Les Vaîtes constituent un secteur champêtre dans la ville d’environ 34 hectares, situé au nord-est de Besançon. En 2005 la municipalité a engagé les procédures en vue de la réalisation d’un vieux projet urbanistique d’ampleur, prévoyant l’établissement de 1 800 logements et 4 500 habitants en 2021. Depuis, associations, riverains, jardiniers, et écologistes se battent afin de préserver ces lieux de la « bétonisation » annoncée. À peine les travaux lancés début 2019, que la maison du projet était incendiée et que le préfet suspendait le chantier le temps d’un examen environnemental. En effet, le CNPN (Conseil national de protection de la nature) avait rendu un avis défavorable à l’arrêté de destruction d’espèces protégées. Le recours déposé au tribunal administratif par FNE et Les jardins des Vaîtes, tranché le 6 mai dernier, empêche la reprise des travaux avant un examen de fond.

 

Mais au-delà des soubresauts de l’actualité, quelle est la situation sur le terrain ? Sous quelles formes la défense de l’un des derniers secteurs agraires et refuge de biodiversité intra-muros s’organise-t-elle ? Alors que les opposants s’activent dans les jardins, observent des animaux et reprennent des cabanes, l’avocat représentant la mairie et l’aménageur, Territoire 25, n’hésitait pas quant à lui à fustiger lors de l’audience du 2 mai des « friches parfois à l’état de quasi-décharge », des plants « parsemés de roundup », ou encore un « bâti déjà omniprésent. »

Les visites sur place contredisent au moins sur cet axe le portrait dressé par la défense. Aux abords de l’aire des premiers terrassements - cœur de la ligne de front entre les deux parties -, force est de constater que l’espace demeure luxuriant et entretenu avec soin. Si certains jardiniers sont certes partis quand les pelleteuses sont arrivées en laissant les équipements tels quels, bien d’autres s’emploient à maintenir leur ouvrage.

Jardins, jardiniers et bestioles remarquables

Ainsi bien que la plupart des « anciens » n’ont plus de titres malgré une présence parfois longue, ils persistent à utiliser les terrains « jusqu’au moment où ils seront contraints d’en partir. » Tomates, salades, courgettes, choux, fraises, poireaux, radis, aromates, mais aussi arbustes et arbres fruitiers, rivalisent d’opulence et de couleurs cette année. Pour combien de temps encore ? Colette, 80 printemps, a hérité d’un petit lopin de terre à sa retraite. Elle cultive ses légumes ici depuis 20 ans, ce qui en fait une des doyennes. Elle louait son petit jardin à un prix modique à un privé. Avec l’écoquartier, elle a dû s’installer un peu plus loin voilà trois ans. Le déménagement l’avait perturbée jusqu’à envisager d’arrêter, avant de se reprendre « tant que la santé le permet. » Elle dit apprécier le retour à la nature, le contact avec la terre, et le lien social qui se tisse autour de l’ensemble. Si elle ne souhaite pas « polémiquer » sur le fond du projet, les riverains rencontrés ne cachent pas leur hostilité, dont certains signes sont encore visibles aux fenêtres.

La faune sauvage n’est pas en reste non plus. La mare artificielle bricolée en « compensation des espèces détruites ou déplacées » est totalement vide, quand celle d’origine foisonne d’eau et de vie notamment avec l’évolution de tritons. Hérissons, écureuils, et oiseaux apparaissent souvent comme l’illustrent nombre de témoignages et de photos. Une bonne trentaine d’espèces a ainsi été recensée, même si l’inventaire n’est pas encore complet. Fauvettes à tête noire, lézards des murailles, grenouilles communes, ou chauve-souris pipistrelles, sont autant d’autres locataires.

Une guerre d’opinion

L’association Les jardins des Vaites est en pointe du combat sur le volet contentieux, mais développe également des actions régulières de sensibilisation. Par exemple les 8 et 9 juin derniers, avec les « rendez-vous au jardin » qui a fait découvrir au public l’ensemble des richesses animales et végétales le temps d’un week-end. En parallèle une campagne publicitaire percutante s’affichait dans le centre historique, grâce à l’engagement de l’artiste Anaïs Florin. Un activisme opiniâtre destiné à gagner l’opinion, mais qui se veut respectueux des lois.

Toutefois, d’autres pratiques se développent indépendamment. Le 21 mai 2016 déjà, le mouvement « Nuit debout » s’implantait brièvement sur place ; puis le 24 mars 2019, un pique-nique de résistance et un « Troc’plante » organisés avec l’association, Alternatiba et les Gilets jaunes posaient les bases d’un engagement plus intense. Et surtout, une occupation type ZAD a été récemment initiée par une poignée de téméraires, qui retapent en bons termes avec les ayants droit et les riverains des cabanons abandonnés. Plusieurs pancartes dressées aux points d’entrées ne laissent d’ailleurs pas de doutes...

Claire Arnoux, la présidente de l’association Les jardins des Vaîtes fait le point. Elle abonde sur le principe d’une organisation « autogestionnaire » quant au partage et à la gestion des parcelles. « Lorsque quelqu’un raccroche en désignant un successeur, par cooptation, ou sur consultation des uns et des autres, il est possible de s’installer. Surtout, elle constate « les modes d’action différents » et rappelle les « excellents rapports entretenus avec les zadistes ». » Chacun cite comme modèles de synergie les cas de l’aéroport Nantes/Grand-Ouest, du barrage de Sivens, ou du Center Parcs de Poligny.

Une occupation plus active en gestation et une invitation à rejoindre les zadistes

 

En mars, l’expérience pionnière avait pourtant tourné court ; à peine arrivée, la bande de copains qui allait constituer le noyau central était délogée par des dizaines de policiers et leurs biens détruits. Rebelote mi-avril, à partir d’une petite construction de taule. Après deux semaines, un nouveau démantèlement sonnait la fin de la partie. Avant ce troisième retour, depuis maintenant deux mois. Coin cuisine, douche, toilettes, dortoirs, et aménagements de convivialité, se succèdent entre les serres et lopins semés. Un poulailler est en finition, et l’idée d’avoir des chèvres fait son chemin.

Rabouin, Guivre, et Moustique, des permanents, expliquent leur démarche, autour d’une dizaine de convives, de passage. La réappropriation populaire des terres, la souveraineté alimentaire, l’opposition à un projet « écocide », l’idée de récup’, sont autant de points abordés. « Poser les jalons d’une alternative saine et crédible », résument-ils. Si leur arrivée a pu faire l’objet de craintes au début, ils semblent aujourd’hui totalement acceptés et loués par le voisinage. « Il fallait simplement briser la glace. Les services rendus et le barbecue dominical ont fait le reste ! »

Colette ne tarit pas d’éloges à leur propos, à l’instar d’autres jardiniers. « Ils m’aident de temps en temps. Encore l’autre jour, ils m’ont apporté de la paille pour mon potager. C’est cette philosophie solidaire que je recherche. » En contact appuyé avec des réseaux nationaux aux pratiques équivalentes, ces arrivants semblent résolus à se maintenir et invitent d’ores et déjà tous ceux qui le souhaitent à les visiter ou les rejoindre. « Alors que nous vivons la sixième extinction de masse, les grands projets inutiles se multiplient. C’est notre devoir de relever la tête », concluent-ils.

Un dénouement imprévisible

La municipalité et la préfecture sont les principaux promoteurs du projet, qu’ils souhaitent absolument voir aboutir sans tenir compte des multiples protestations. Censées pourtant garantir l’intérêt général, ces deux entités s’enfoncent à coordonner le maintien de leur ligne de conduite et voient d’un très mauvais œil toute cette « agitation. » Les courriers recommandés, visites d’huissiers, interventions des forces de l’ordre, et autres évacuations de campements, ont jusqu’ici été privilégiés afin d’essayer de casser toute contestation. En obtenant bien sûr l’effet inverse.

Car même en escomptant arracher une victoire auprès des tribunaux, difficile de penser que la bataille administrative en restera là. Mais pour les bâtisseurs le plus dur reste sans doute encore à venir : la consolidation et le durcissement des « rebelles » présents sur le site qui reçoivent le soutien de nombreux administrés. Le conseiller L.R. Jacques Grosperrin n’hésitait pas ainsi à agiter le drapeau rouge en assemblée le 8 mars dernier, craignant qu’un futur « Notre-Dame des Landes » ne prenne racine. Les antagonismes et incertitudes n’ayant jamais été aussi forts, l’éventualité n’est plus à écarter. Samedi dernier les policiers sont intervenus, en l'absence des zadistes, pour confisquer un barbecue...

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