Pollution des rivières comtoises : « tout mettre sur la table, analyser, agir »

Hydrogéologue féru de spéléologie, Pascal Reilé estime peu probants la multiplication des études et le recours aux seules connaissances théoriques. Il propose un travail collectif sur les nombreuses études réalisées et la participation des « compétences locales ».

Pascal Reilé

La Franche-Comté est un paradis pour les spéléologues. Elle compte environ 9.000 cavités dont 6.000 dans le Doubs, inventoriées par les membres du comité départemental de spéléologie. Cela signifie qu'elles ont été découvertes, visitées, géo-référencées et topographiées par leurs soins... Ce travail a été réalisé par le Groupe pour l'inventaire, la protection et l'étude du karst du massif jurassien, le Gipek.

Durant leurs travaux ou sorties, ces amoureux des mondes souterrains sont au contact de nombreuses pollutions, qu’elles soient urbaines - « de la serviette hygiénique aux excréments qui vous tombent dessus » -, agricoles avec « des boyaux où l’on patauge dans le lisier », ou industrielles « avec des cavités où planent des odeurs de solvants, sans parler des surfaces argileuses aux couleurs étonnantes allant du bleu au jaune orangé ».

L'activisme porte parfois ses fruits

Face à ces réalités, les spéléologues se battent pour sensibiliser acteurs et décideurs, afin que soient engagées des actions concrètes permettant de maîtriser ces pollutions. Dans certains cas, l'activisme porte ses fruits. C’est le cas de la grotte du Cul de Vau à Vuillafans, contaminé par Lavans-Vuillafans et qui retrouve sa qualité initiale grâce à des travaux d’assainissement. Dans d’autres cas, les actes se font attendre...

Lorsque Pascal Reilé confronte ses constats de spéléologue à sa pratique de l’hydrogéologie, il est pessimiste : « Je pense que nous sommes allés au bout de l’efficacité des traitements. On n’arrivera pas à traiter mieux, y compris avec des traitements au coût monstrueux. Il serait pertinent d’adapter les structures existantes en les dotant de lagunes de "polissage", véritables zones réceptacles totalement végétalisées avant rejet dans le milieu, rivière ou grotte ». Autrement dit, il faut agir différemment pour faire baisser réellement, et partout, le fond de pollution dont on ne sait pas se débarrasser.

L'héritage est un piège qui diffuse lentement son cockail

Pour Pascal Reile, « partout ça moyennise : les gros points noirs semblent maîtrisés. Dans d’autres lieux, la pollution continue à baisser, mais nous devons comprendre que nous sommes assis sur un héritage structurel né de nos pratiques urbaines, industrielles et agricoles ». Cet héritage est un piège qui diffuse lentement son cocktail délétère, fait d’un mélange de nitrates, de phosphates, d’azote organique et de métaux lourds...

Toutes ces matières sont transportées par les eaux, souterraines ou de surface. Ainsi, concernant les PCB et métaux lourds, c’est un vrai panaché qui vient des grands secteurs industriels, par le Doubs, et qui a déjà dépassé Besançon ...

« Pour ce qui est de l’azote, le milieu dans lequel nous vivons s’est chargé au fil des années d’azote organique (d’origine urbaine ou agricole). Tant qu’il reste ainsi, il n’y a pas de problème. Par contre, en se minéralisant, il va progressivement se diffuser dans les sols et passer dans l’eau et favoriser son eutrophisation. L'azote va donc participer au fond de pollution que nous n’arrivons pas à faire disparaître... Enfin, dans les anciens sites industriels, on peut voir ressurgir des polluants encore stabilisés dans les sols, mais qui peuvent tout aussi bien se retrouver libérés à l’occasion de travaux ».

Dans ce court inventaire, il n’est question que de ce que l’on connait bien. En effet, comme le précise notre hydrogéologue, « aujourd’hui, nous nous activons sur des indicateurs faciles à lire, mais pas sur ceux qui renvoient à des matières plus dangereuses pour la santé. Il est donc nécessaire de se doter d’outils de mesure pertinents pour tout ce qui est antibiotiques et œstrogènes qui ont une responsabilité dans certains dérèglements de la physiologie piscicole... »

« Arrêter les études alibi »

Que faire désormais ? La question semble d’autant plus évidente que beaucoup d’études ont été réalisées. « L’État a par exemple travaillé sur les flux de polluants, bassin par bassin, et nous n’avons jamais eu autant de connaissances pour agir, mais elles restent disparates et parfois nécessitent d’être affinées »

C’est dans cette logique que s’inscrit l’implantation d’une série de six stations de mesures assurée, après bien des atermoiements, par la Direction départementale des Territoires et le Conseil général du Doubs. L’objectif est d’assurer un suivi continu des débits et de la chimie des eaux (concentration de certains nutriments, comme l’azote, ou le phosphore sous toute ses formes) sur les basins de la Loue et du Doubs. Jusqu’à présent, hormis le suivi du captage de Besancon à Chenecey Buillon « aucun suivi en continu n’avait été mis en place » !

Alors ?

Alors, « arrêtons de refaire ce qui est déjà étudié. Mettons tout sur la table, analysons et puis agissons ! Deux exemples pour bien comprendre le gâchis... Dans n’importe quel domaine, quand vous faîtes le bilan d’une action, pour voir ce qui a marché, ou pas, vous comparez la situation finale à la situation initiale. Eh bien, quand on fait le bilan du contrat de rivière de la Loue, on ne demande même pas l’état des lieux fait au démarrage. Comment voulez-vous mesurer l’évolution de l’état de ce cours d’eau, et l’efficacité des actions menées, sans tenir compte de la situation initiale... ? Nos voisins suisses ont travaillé sur les pathologies des poissons. Partant de là, ils ont amené des pistes nouvelles grâce à l’identification de causes de mortalité, mais personne ne s’en sert ! Vous ne croyez pas que reprendre les résultats d’une telle étude nous aiderait à agir efficacement ?  »

Utiliser les compétences locales

Les méthodes évoluant, ne peut-on imaginer que de nouvelles études donnent des résultats plus probants ou, pourquoi pas, différents ? Pascal Reilé n'est pas convaincu : « Arrêtons de faire appel à des modes opératoires inadaptés aux réalités locales. Nous sommes ici en présence de karst. Il faut connaître très concrètement cette réalité et donc cesser de faire appel à des spécialistes venus d’ailleurs et qui ont, en la matière, des connaissances, bien sûr, mais des connaissances théoriques, des connaissances “papier glacé” ! Il faut avoir la modestie d’écouter ceux qui ont cette connaissance acquise sur le terrain. Ce n’est qu’ainsi que l’on pourra entrer dans le vif du sujet. Par exemple, les derniers travaux et propositions du Comité Interprofessionnel du Gruyère de Comté sont de nature à avancer de manière positive avec le milieu agricole. »

Les services de l’Etat et du Conseil Général ont d’ailleurs su éviter ce piège en s’adressant à des scientifiques locaux et à ceux qui connaissent notre sous-sol où « tout » s’infiltre. S'adresser aux spéléologues permettrait peut-être de gagner du temps... En d’autres termes, depuis des années, nous tournerions en rond. Pour poursuivre cette logique, Pascal Reile propose d' « examiner les propositions accumulées au fil du temps. Prenons ce qui semble pertinent et n’a jamais été testé et cherchons pourquoi. Comment voulez-vous avancer sans comprendre pourquoi les initiatives imaginées au fil des années n’ont pas été mises en œuvre ou —quand elles l’ont été— quels résultats ont été obtenus ».

Intégrer les spéléos aux débats

« La première étape est de cesser de confier des études à des spécialistes qui n’ont des connaissances de notre milieu que théoriques. Ensuite, il faut avoir la modestie d’écouter ceux qui ont cette connaissance acquise sur le terrain. Ce n’est qu’ainsi que l’on pourra entrer dans le vif du sujet. Enfin, ressortons les études déjà menées. Examinons les propositions accumulées au fil du temps, prenons ce qui semble pertinent et n’a jamais été testé et cherchons pourquoi. Comment voulez-vous avancer sans comprendre pourquoi les initiatives imaginées au fil des années n’ont pas été mises en œuvre. Des propositions ont déjà été faites. Le préfet de Franche-Comté s’est même vu adresser une feuille de route de gestion du karst, pour la lutte contre la dégradation des rivières franc-comtoises (avril 2014). Nous demandons juste que son contenu soit débattu, comme les autres, quitte à ce qu’il soit prouvé que ce que nous avançons est mauvais, mais au moins, le doute ne subsistera pas. Nous saurons en quoi, il est inadapté et on pourra passer à d’autres propositions encore laissées de côté. Vous savez, les gens ne veulent plus de chiffres mais des résultats, donc de l’opérationnel et du pragmatisme...»

Intégrer les spéléologues aux débats ? C'était « attendu » après la première conférence sur la Loue et les rivières comtoises. C'était « évident » lors de la dernière, le 12 avril dernier avec la « feuille de route du karst » d'avril dernier. Reste le plus difficile : les entendre vraiment...

Cet article a été modifié et complété le 13 novembre à 11 h 35.

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