Pollution des rivières comtoises : « nous ne sommes pas convaincants »

Le président du Conseil général du Doubs, Claude Jeannerot, l'a admis lors de la deuxième conférence départementale sur la Loue et des rivières comtoises : « il faut des moyens supplémentaires pour dépasser les obligations légales ». Le préfet de région a renforcé les règles d'épandages et de stockage des lisiers. Les environnementalistes plaident pour une reconversion en 10 ans de la filière comté en bio.

Reculée de Baume-les-Messieurs : à quelques centaines de mètres de sa source, le Dard souffre manifestement d'eutrophisation...

Va-t-il enfin se passer quelque chose sur le front des pollutions accablant les rivières comtoises ? Le ton alarmiste qui est celui des défenseurs de l'environnement depuis des années est désormais repris par les autorités, c'est nouveau. « Il faut accélérer le tempo », a exhorté le préfet Stéphane Fratacci en ouvrant la deuxième Conférence départementale de la Loue et des rivières comtoises, le 12 avril à Besançon.

Plusieurs études régionales tentent d'éclairer un phénomène - la pollution des rivières - qui reste complexe :
- Ces centaines de micropolluants qui rendent l'eau non inbuvable.
- Eutrophisation de la Loue, le rôle des nitrates et du phosphore.
Voir la position critique de la conférence par le collectif SOS Loue et rivières comtoises ici

« Il ne faut plus seulement débattre, mais nous engager dans des mesures correctives », a ajouté le président du Conseil général du Doubs, Claude Jeannerot (PS), en donnant au problème une dimension dramatique : « Malgré ce que nous avons fait avec la Chambre d'agriculture et les fédérations des coopératives laitières du Doubs et du Jura, malgré la mise aux normes des bâtiments d'élevage, la mise en conformité de stations d'épuration et nos dépôts de plaintes systématiques, les résultats ne sont pas au rendez-vous et la situation s'aggrave. Nous savons que nous ne sommes pas pleinement convaincants, ce que nous avons mis en place n'est pas suffisant, n'a pas encore produit ses effets, il aller plus vite et plus loin, mettre des moyens supplémentaires pour dépasser les obligations légales. Devant l'ampleur du désastre, rien n'est possible sans l'Etat, ni toutes les forces vives ».

82.000 euros par dossier « gestion des effluents » dont 76% payés par l'agriculteur

Il va donc se passer quelque chose, mais on va encore donner un peu de temps au temps. Le préfet a renforcé le Règlement sanitaire départemental en prescrivant l'augmentation de la capacité de stockage des lisiers et en élargissant à tous les élevages des dispositions relatives à l'épandage ne s'appliquant jusque là qu'aux IPCE, les installations classées pour la protection de l'environnement. Il s'agit d'augmenter la capacité des fosses à lisier et d'être plus strict quant aux conditions d'épandage : distance des cours d'eau, des lieux publics et des habitations. La mesure est immédiate pour les extensions et les créations de bâtiments, mais le délai de six ans accordé aux élevages existants paraît bien long.

Certes, les paysans ont pris en charge 76% de l'investissement moyen de 82.000 euros qu'a coûté chacun des 379 dossiers gestion des effluents du plan de modernisation des bâtiments d'élevage entre 2007 et 2013. On voit mal comment on pourrait imposer de telles mesures à d'autres sans augmenter les aides. C'est ce qu'on comprend en entendant Claude Jeannerot dire qu'il faut « des moyens supplémentaires pour dépasser les obligations légales » et que le conseil général « fera l'effort financier nécessaire ». En entendant la présidente du Conseil régional, Marie-Guite Dufay (PS), expliquer compter sur des fonds européens (FEADER) en hausse en Franche-Comté pour contribuer à l'effort.

Insecticides toxiques, poissons stressés, larves d'insectes moins nombreuses...

La modification du Règlement sanitaire expose des motifs sérieux, tout droits issus des travaux scientifiques : « l'extrême sensibilité du milieu karstique aux pollutions », la « dégradation générale des cours d'eau » et « l'intérêt de la lutte contre l'eutrophisation en vue de la reconquête de la la qualité des eaux ». Président du comité scientifique national Loue, directeur de recherche à l'INRA et spécialiste des cyanobactéries, Jean-François Humbert (sa déclaration d'intrérêts, DPI, ici) apporte de nouvelles données confirmant ce qu'on savait sur la dégradation des rivières : présence de molécules toxiques d'insecticides (chlorpyrifos, pyréthrinoïdes), sollicitation croissante des défenses immunitaires des chabots plus on va vers l'aval de la Loue, stress neurotoxique hivernal des mêmes chabots plus fort en aval, larves d'insectes aquatiques (trichoptères, éphéméroptères et plécoptères) deux à trois fois moins nombreuses que dans les années 1970... Les Suisses, dit-il, ont fait les mêmes constats, mais depuis plus longtemps car ils collectent les données depuis 30 ans...

Jean-François Humbert compte sur des travaux en cours à l'Université de Franche-Comté pour compléter le tableau en 2015, en particulier une étude sur les nitrates, phosphates et matières en suspension dans la Loue, des analyses supplémentaires sur les polluants, des données sur la qualité des habitats des poissons... Il annonce les mesures en continu des polluants sur trois points de la Loue, longtemps réclamées en vain par les environnementalistes. Un groupe bassin versant sera mis en place sur Plaisir-Fontaine pour relier l'état de l'eau et les pratiques agricoles, en liaison avec les travaux menés avec la Chambre d'agriculture. On en attend des traçages pour mieux connaître le périmètre du bassin d'alimentation de la source, de nouvelles analyses, et l'ébauche d'une modélisation.

Les dolines, points d'impact importants : « nous le voyons », disent les spéléos

Un séminaire sera organisé pour que toutes ces informations soient partagées et « mises en débat » avec le monde agricole et les associations de défense de l'environnement. Mais le débat n'attend pas : les spéléologues sont 250 à explorer le sous-sol depuis au moins trente ans : « connaître le karst est fondamental et les observations de terrain doivent être prises en compte », explique leur représentant qui considère que « seuls, les travaux scientifiques sont insuffisants ». Il souhaite une attention particulière sur les dolines : « ce sont des points d'impact très important, nous le voyons directement... Il faut que les spéléos soient dans le comité scientifique ! » Leur participation était « attendue et nécessaire » après la première conférence, en juillet 2013, mais il n'y a manifestement pas eu de suite... « Il est évident qu'on vous invitera », répond le professeur Humbert. Son confrère bisontin Pierre-Marie Badot (DPI ici)souligne que « l'étude du transfert dans le karst n'a pas encore débuté ». Le député Eric Alauzet (EELV) souligne, et regrette, l'absence des consommateurs et des industriels.

Comme en écho, le conseiller général de Montbenoît, Alain Marguet (UMP) rappelle avoir déjà signalé la présence d'algues dans le Doubs « entre Arçon et Montbenoît en 2003 » et souhaite renforcer tous les contrôles : rivières, stations de traitement de surface, plan d'épandage, tuyaux de tout à l'égout, déversoirs d'orage... Un habitant fait les « mêmes constats » que les spéléos : « malgré tous les efforts sur les effluents d'élevage, la situation s'est aggravée, ce qui remet en cause le principe de l'épandage sur sol karstique ». Il convient que ce n'est pas simple car cela soulève un problème économique. L'épandage de lisier est en effet l'un des éléments de l'autonomie des fermes qui, ainsi, n'ont pas à acheter d'azote minéral. «Le lisier est un bénéfice économique », ajoute d'ailleurs Jean-François Humbert, partisan d'efforts sur l'épandage.

Daniel Prieur : « ne stigmatisez pas les agriculteurs... »

Daniel Prieur, le président de la Chambre d'agriculture assure que « l'on n'épand pas pour que ça aille dans les rivières » et défend l'amélioration des pratiques : « il y a 40 ans, on mettait 40 m3 de purin à l'hectare, aujourd'hui on peut en mettre 10 en passant plusieurs fois par saison ». Et il hausse le ton car il a bien senti que, derrière le « nous sommes tous coupables » de Claude Jeannerot, beaucoup pensent que certains le sont plus que d'autres : « Ne stigmatisez pas les agriculteurs, parlez avec eux, car si ça continue, je ne sais pas où ça ira... On en sortira par le haut si tout le monde respecte les autres ». Eric Durand, conseiller régional (EELV) s'étonne de ces « propos musclés qui ne vont pas changer grand chose ni arrêter la pollution : on doit travailler ensemble malgré les divergences ». Après la réunion, il se murmurait qu'il n'était pas impossible que surviennent un jour des épandages de lisier à la préfecture ou au Conseil général...

Pour l'heure, les agriculteurs responsables auraient surtout à se plaindre de ceux des leurs qui font n'importe quoi et ont parfois bien de la chance. Par exemple, ce paysan photographié au volant de son tracteur en plein épandage sauvage de 24 tonnes de lisier qui a bénéficié d'un classement sans suite des poursuites en raison d'un procès verbal mal rédigé ! Pourtant, dit le directeur départemental des Territoires, Christian Schwartz, 776 contrôles ont donné lieu à 490 constats d'infractions en 2013 ! Le garde-pêche Alexandre Cheval assure de son côté « savoir le positif, mais aussi voir des choses qui ne vont pas » et ironise : « j'avais cru comprendre, en entendant les agronomes de la chambre d'agriculture, que l'épandage se fait au moment où la végétation en a besoin, je suis surpris du décalage entre ce discours et la pratique sur les plateaux ».

Marc Goux : « pas plus de 3 mg de nitrates par litre ! »

Marc Goux, du collectif rivières comtoises, en est certain : « il y a une difficulté des agriculteurs à utiliser les matières organiques, mais ne sont-ils pas situation d'excédent structurel en fonction des sols ? Il faut partir des seuils maximum admissibles de nitrates par les rivières ». Se basant sur une étude de Victor Froissard sur l'Ain, il estime ce maximum à 3 mg par litre alors que le professeur Humbert penche pour 10 mg, bien loin des 50 mg fixés par les normes...

Christophe Chambon, responsable environnement à la FDSEA du Doubs, dit sa « conscience aiguë » des problèmes et assure que « les agriculteurs vont dans le bon sens : les épandages en janvier, on ne cautionne pas, mais il y a souvent des explications. L'hiver a été si pluvieux que des cuves à lisier étaient pleines... Nous avons conscience, avec les subventions, des efforts des collectivités, il faut que le grand public prenne conscience des efforts des agriculteurs. Fractionner les apports de lisier ? Si on passe trois fois, on va dire qu'on pollue trois fois plus ! » Daniel Prieur défend la pratique « agronomique de l'alternance lisier-fumier » et suggère des « analyses de sol systématiques pour aller vers une agriculture de précision ». Cela rejoint les préoccupations de ceux qui veulent proscrire les épandages sur les sols fragiles ou très peu épais.  « Chiche », lui dira Marie-Guite Dufay en réclamant à l'Etat un « zonage des zones fragiles ou à risque ».

Un pôle de recherche karstique soutenu par la région

La présidente du Conseil régional voit plus large que le Doubs et propose d'étendre la démarche Loue aux autres départements comtois. Interrogé par Factuel.info sur une éventuelle modification des autres règlements sanitaires, notamment du Jura en large partie karstique, le préfet de région répond l'envisager mais pas dans l'immédiat. En concluant la conférence, il propose d'en faire deux par an. Comme Marie-Guite Dufay, il reprend la proposition formulée par Marc Goux que « la région prenne la tête d'un pôle renforcé de recherche sur le karst en lien avec l'université ». 

La conférence a peut-être accouché de cette perspective. Elle pourrait bien faire écho à ces pistes évoquées par la présidente de la région pour la filière agricole : le doublement de la dotation à l'agriculture biologique, des soutiens à la filière comté « pour des actions visant à préserver le cahier des charges ». Le bio, c'est justement ce que suggèrent plusieurs environnementalistes, avec une reconversion en 10 ans de la filière comté...

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