Pach Jahwara : « comme le viol de mon âme »

Pach Jahwara

« C'est une terrible violence qui est faite à ma conception du Mali, comme le viol de mon âme. » Avant même la recherche d'explications, pour lui même et pour ceux à qui il veut faire comprendre comment on en est arrivé là, Pach Jawhara exprime son indignation, sa douleur.
Il devait conduire dans la capitale Bamako de jeunes Bisontins et Bisontines pour un stage de danse en février, comme chaque année. « C'est exclu, bien sûr ! Même s'il n'y a pas de combats à Bamako, c'est l'état d'urgence et je ne veux faire courir aucun risque à mes élèves ». Pach, comme nombre de Bisontins l'appellent, devait aussi faire de la promotion pour sa formation musicale. Il suit d'ici l'évolution de la situation au Mali, en contact avec ses proches là-bas et les membres expatriés de la communauté malienne. Sur internet et les réseaux sociaux, il anime le débat. Il nous a reçu pour faire valoir son point de vue.

Les Maliens confrontés à la guerre

« L'état d'urgence au Mali c'est une première, c'est une situation inconnue dans la population. Il faut apprendre à concevoir même cette situation et se comporter en conséquence. Les Maliens sont en général très pacifiques. La découverte de la guerre toute proche est un choc. » Selon lui, la classe politique, les responsables politiques et militaires ont conduit le pays au bord du gouffre. Le Mali est un des pays les plus pauvres d'Afrique. Il a connu des périodes de développement, « certains chefs d'Etat ont fait construire des ports, des routes, des ponts, des écoles. Ce fut insuffisant, c'est vrai, pas à la mesure des besoins de la population. Mais le drame actuel s'explique pour beaucoup par les conséquences du putsch du 22 mars 2012. »
Le capitaine Amadou Haya Sanogo a en effet renversé le chef de l'Etat Amadou Toumani Touré au motif de son impuissance à contenir l'avancée des sécessionnistes du nord. Avec les groupes politiques qui le soutiennent, les putschistes  ont alors fragilisé un processus démocratique précaire. Pach faisait savoir en septembre 2012 : « En s'opposant à la décision du Président par intérim (chef suprême des armées) de faire déployer les troupes de la Communauté Economique des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cédéao) sur notre territoire, ils prennent en otages les responsables et les institutions du Mali et ne recherchent rien d'autre que la main-mise sur le pouvoir. Le Mali a besoin de la force de frappe de la communauté internationale pour bouter tous ces bandits qui ont asservi nos populations sous des prétextes fallacieux de religion. » Il rappelle aussi les premières paroles de Sanogo après son putsch : « c'est notre tour maintenant » et souligne que « la recherche coûte que coûte du pouvoir fait perdre toute faculté de jugement ».

Refus des amalgames et nécessaire unité

La question touareg et les djihadistes
Au nord du pays, dans la zone saharienne, vivent des peuples nomades, les Touareg notamment. Des revendications d'autonomie et d'indépendance sont exprimées par des groupes politiques et des groupes armés issus de ces populations depuis l'indépendance du Mali en 1960. C'est donc une question plus que cinquantenaire, une question qui avec celle du développement économique et social menaçait le processus démocratique. Un mois après le coup d'Etat de Sanogo, les Touareg du MNLA (nationalistes d'orientation laïque, membres pour certains de l'armée de Kadhafi en Libye et à l'offensive depuis mi-janvier) ont proclamé l'indépendance du nord du pays. Revendiquant un Etat, l'Azawad (Nord-Mali), ils se sont associés aux autres rebelles touaregs d'Ansar Eddine qui prônent un Etat islamique. Cette orientation a été adoptée. Le MNLA a perdu l'ascendant politique et militaire dans les villes qu'il contrôlait. Les négociations du gouvernement malien avec Ansar Eddine ont échoué. Des groupes djihadistes, d'origines étrangères (Al-Qaida au Maghreb Islamique et son groupe dissident MUJAO tourné vers les trafics et prises d'otages), se sont imposés dans des parties de ce vaste territoire du nord, qui s'est étendu encore au Sahel jusqu'à la décision de François Hollande d'intervenir militairement.

Quand on le questionne sur la question touareg (lire ci-contre), Pach reconnait son importance mais se montre convaincu que la partition du pays sera préjudiciable à tous. « Ce qui se passe au sud pourrit le problème du nord. La division du pays est une catastrophe (en quoi il est en phase avec les prises de parole de la plupart des artistes et musiciens maliens). » Il conteste la légitimité d'une partition : « les Touareg sont dans leur pays au Mali, ils ne sont pas seuls au nord, ils y représentent 12% de la population et parmi eux 10% sont pour l'indépendance. Il n'y a d'ailleurs jamais eu de demande de referendum. Et puis des efforts de développement ont été faits au nord, les premiers lycées régionaux par exemple, le pont de Gao en 2011. Les Touareg ne sont pas des citoyens de seconde zone. Quand les Touareg disent qu'il n'y a rien au nord, c'est pareil partout ! » En tous cas rien pour lui ne saurait justifier les amalgames et l'hostilité envers tout un peuple.
L'application d'une loi islamique hostile aux formes locales de la religion musulmane, hostile à tout ce qui déroge à une rigueur pieuse totalitaire avec lapidations et autres mutilations, depuis quelques mois dans le nord, a pour le moins terrifié. La capitale Bamako a semblé sous la menace. Pach aussi a éprouvé cette menace en particulier après la prise de Gao, une ville importante. L'intervention militaire de la France lui a alors semblé un moindre mal. Il revient sur la « nécessaire unité du pays, préalable à toute évolution positive, démocratique et d'un meilleur partage des richesses. Pour cela et dans l'immédiat, des troupes africaines doivent prendre le relai. »
L'inquiétude ne le quitte pas. Des points de non-retour ont été atteints. Il s'efforce, ici et avec d'autres, de ne pas se résoudre à la seule perspective guerrière.

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