Médecin et pêcheur à la mouche, romancier et militant…

L'auteur d'Autopsie d'une truite est médecin anesthésiste au CHU de Besançon et pêcheur à la mouche depuis les années 1970. Il a créé avec des amis l'antenne franc-comtoise d'une association, passée sous la pression de la pollution, de la promotion d'une activité de loisir à la défense d'un environnement menacé.

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Le 12 avril 2014, Préfet et Président du Conseil général du Doubs, s’exprimant sur les pollutions des rivières, s’accordaient sur la nécessité « d’accélérer le tempo » face à « une situation qui s’aggrave ». « Il ne faut plus débattre, mais nous engager dans des mesures correctives », lançait Claude Jeannerot, président du Conseil général du Doubs, ce jour-là lors de la Conférence départementale sur la Loue et les rivières comtoises.

La situation est d’autant plus grave que depuis des années, les constats alarmistes se multiplient. Dans le même temps des actions dites correctives sont menées, mais rien n’y fait. Les études les plus récents aboutissent à un constat lourd de sens, « les larves d’insectes aquatiques sont deux à trois fois moins nombreuses dans nos rivières que dans les années 70 ! »

Ces constats, hors des salles de réunions de l’Etat et des collectivités, sont clamés de longue date par ceux qui connaissant réellement nos rivières et, parmi eux, par les pêcheurs. Philippe Koeberlé est l’un d’entre eux. Sa vision de la situation est intéressante pour trois raisons. Notre homme est un scientifique – anesthésiste au CHU de Besançon – qui pèse ses mots et adosse ses prises de positions à des réflexions rationnelles. En second lieu, c’est un pêcheur à la mouche doté d’une connaissance approfondie de nos rivières et de leur biotope. C'est enfin un romancier qui a confronté le personnage central d’Autopsie d’une truite à une pollution dont les tenants et aboutissants étaient bien connus des habitants de la zone frontalière dans les années 1970-80…

« Tout ce que j’ai fait avant m’a amené à parler de la pollution », dit Philippe Koeberlé d'une voix douce et assurée. Cet homme au regard déterminé a commencé « tout petit » à pêcher. Enfant, c’est en Haute-Saône qu’il fait ses armes, au bord de l’Ognon où ses parents ont une maison de campagne.

« Les mouches diffèrent d'une rivière à l'autre ! »

Un jour, il découvre la pêche à la mouche. Les débuts sont difficiles. Il faut non seulement apprendre le geste mais aussi apprendre la rivière. L’initiation est longue et exigeante. Pas un poisson pris la première année ! Normal, les mouches, les vraies, diffèrent d’une rivière à l’autre : « Ce sont les mêmes espèces mais leur taille, leur développement diffèrent selon l’heure et le lieu. Concrètement, si vous savez où le poisson a des chances de se trouver, il faut encore lui présenter la mouche qu’il attend au moment où vous pêchez... L’idéal est d’avoir quelqu’un qui vous explique et, si aujourd’hui, cela n’est pas très difficile, à l’époque, il n’en allait pas de même. La pêche à la mouche n’était pas répandue comme maintenant... Il est impératif de connaître sa rivière en tant que système à part entière. Les truites se placent, selon leur taille, à l’endroit où elles pourront se nourrir en dépensant le moins d’énergie possible ».

Philippe Koeberlé s’est rapidement rendu compte de la pollution. Logique ! « Les insectes qui servent de nourriture sont totalement liés à la rivière puisqu’ils passent parfois plusieurs années à l’état larvaire dans l’eau...On a vu se raréfier les mouches puis décliner nettement au début des années 80 ». Il avait commencé à pêcher dans années 1970, à 12-13 ans : « déjà à cette époque, on était loin de la densité de poissons des années 60. Mais le véritable déclin, nous l’avons connu à partir des années 90 ».

De l'Ognon au Doubs et à la Loue : « cela va se terminer de la même manière »

Sa connaissance des problèmes de pollution de l’Ognon fait de lui un homme averti. Quand il passe au Doubs, puis à la Loue, il se rend compte que « cela va se terminer de la même manière ». Il ne sera pas contredit : certains observateurs avancent une baisse de 80% de la densité de poissons dans la Loue par rapport aux années 70 ! « En aval d’Ornans cette rivière est presqu’un désert... ». Il connaît des pêcheurs qui utilisaient un parcours privé sur lequel « la règle était de ne pas garder une truite mesurant moins de 50 centimètres. A partir de 2009-2010, plus une seule truite n’atteint cette taille. Et ce n’est pas un phénomène passager : depuis, cela ne remonte pas »...

Au fil des années, il ressent progressivement le besoin de replacer dans la rivière le poisson pris (pêche no kill). La suite est un engagement dans la protection de l’environnement. Il adhère à l’ANPER-TOS (truite, ombre, saumon), association créée pour promouvoir la pêche à la mouche dans les années 60. Constatant les dégradations dues aux pollutions, elle décide d’agir aussi pour la préservation de ces milieux fragiles et donc de leurs populations halieutiques. Avec quelques copains, il en crée l’antenne régionale en 1994. Celle-ci connaît rapidement le succès en rassemblant des pêcheurs jusque là isolés dans leurs constats et leur volonté d’agir, au point d’atteindre une centaine de membres en Franche-Comté.
Après avoir travaillé sur les pollutions du Dessoubre, qu’il connaît bien, Philippe Koeberlé rejoint le collectif SOS Loue et rivières comtoises créé en 2010, alors que la Loue connaît une mortalité piscicole massive. « Personne ne s’y attendait. On pensait même que l’état de la Loue s’améliorait. Ce fut un vrai choc. A l’époque on faisait le parallèle avec le Dessoubre que l’on pensait tiré d’affaires. A l’époque..., mais ce n’est plus le cas maintenant, comme on a pu le voir l’hiver dernier. »

« Le lisier est un déchet, pas un engrais... »

Quand on interroge notre homme sur les causes de ces pollutions, il cite plusieurs causes, parmi d’autres : le lisier, la surfertilisation, l’usage excessif des pesticides. « C’est dommage car, souvent dans nos problèmes, il y a une bonne idée. Ici la bonne idée est de donner du petit lait (un déchet) aux porcs, pour les nourrir et produire un fertilisant. Malheureusement le lisier est aussi un produit toxique et désormais c’est aussi l’élevage bovin qui se fait sur lisier et il est en excès…. Du lisier que nous devrions considérer comme un déchet, plutôt que de l’utiliser comme engrais ».

Il cite aussi les « défauts de collecte et d’assainissement des eaux usées, les insuffisances de surveillance et d’entretien des installations existantes ». Il n'oublie pas l’industrie du bois : « les traitements des grumes en pleine nature par des insecticides hautement toxiques, le stockage en plein air de bois traités et ouvragés dans les scieries. Le bois est un produit écologique, pas son industrie ! »

Il y a enfin les produits chimiques « pas toujours indispensables que chacun de nous utilise quotidiennement. Chaque foyer stocke de quoi détruire plusieurs dizaines de mètres de rivières sous son évier. »

De plus, la nature particulière des terroirs francs-comtois aggrave les choses : ils sont constitués de sols, souvent de faible épaisseur, et d’un sous-sol de roches calcaires, très souvent fissurées et qui n’ajoutent aucun pouvoir de filtration à celui des sols. En d’autres termes nos sols et sous-sols constituent une vraie passoire qui « favorise un passage rapide des polluants de la surface aux réseaux souterrains puis dans les rivières ».

Des filières économiques menacées...

« Un rivière peut être vue comme un arbre dont on ne voit pas les racines, ce qui ne les empêche pas de plonger dans un environnement très large », dit Philippe Koeberlé qui est persuadé que certaines filières économiques comtoises sont en danger. La première est celle du tourisme lié à la pêche à la truite et à l’eau en général. La Loue, le Dessoubre, le Doubs franco-suisse, jouissent d’une réputation internationale dépassant largement la Franche-Comté. Mais demain …


La seconde pourrait être celle des productions laitières dont le comté. Personne ne peut dire aujourd’hui comment elles évolueront (qualité gustative, etc), de plus en plus d’élevages abandonnant le fumier au profit du lisier, lequel est beaucoup plus lessivable par les pluies et dangereux pour la diversité floristique...

Et face à cela, Philippe Koeberlé propose plusieurs pistes : « Ne pas vouloir faire produire à notre terroir plus que ce qu’il peut donner, considérer le lisier comme un déchet et revenir au fumier, développer massivement l’agriculture biologique, stopper la course aux rendements dans la production laitière et l’intensification de l’élevage, construire ou compléter nos systèmes d’assainissement et de collecte des eaux usées, améliorer les méthodes de l’industrie du bois, contrôler la production des micropolluants… La tâche est grande, il n’est pas encore trop tard, mais il y a urgence »

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