Mal-être et explosion de la précarité chez les « étudiants fantômes »

Suite à une forte mobilisation étudiante, Emmanuel Macron a annoncé des mesures pour améliorer leur situation, fortement dégradée depuis le début de la pandémie de Covid-19. Les étudiants de Besançon n’échappent pas à la difficulté de suivre les cours à distance et de supporter l’isolement et l’incertitude. Étudiants, syndicats, associations et institutions locales s’organisent pour répondre à l’urgence de la précarité étudiante et revendiquer de meilleures conditions de vie.

Face à ces constats de précarité et de mal-être, la Fage (Fédération des associations générales étudiantes) a lancé une journée de mobilisation nationale le 26 janvier, relayée à Besançon par plusieurs associations étudiantes. Sur le terrain de rugby du campus de la Bouloie, les étudiants étaient invités à reconstituer une salle de cours, devant une banderole « Étudiants fantômes ».

«Je n’ai eu aucun cours en vrai depuis la fin du mois d’octobre». Romain, étudiant de 19 ans en première année de licence d’anglais a à peine eu le temps de découvrir la vie étudiante bisontine. Sa vie sociale s’est retrouvée «complètement anéantie» du fait du second confinement. Aujourd’hui, il n’est certes plus confiné, mais tous ses cours sont encore en distanciel. Il parvient malgré tout à maintenir le lien avec ses camarades de promotion via des groupes de discussion sur les réseaux sociaux_: «ça me rassure de voir qu’on est tous pareils, qu’on a du mal à rester motivés». Comme beaucoup de ses camarades, Romain ne comprend pas pourquoi les universités restent fermées alors que beaucoup d’autres établissements sont ouverts, «comme si les jeunes étaient ceux qui ne faisaient pas attention». Malgré les annonces présidentielles, impliquant des repas à 1€ dans les restaurants universitaires, des consultations psychologiques gratuites et la réouverture progressive des universités, aucune date n’est avancée pour le moment par son département quant au retour des cours en présentiel.

Romain, comme un grand nombre d’étudiants vivant en résidence universitaire, a fait le choix de rentrer chez ses parents depuis que les cours sont exclusivement en ligne. Les siens sont à Dole. Les étudiants étrangers, eux, n’ont guère eu d’autres choix que de rester dans leur chambre du Crous. C’est le cas de Ahmet, 22 ans, rencontré sur le campus de la Bouloie. Le jeune Marocain a perdu son travail d’inventoriste pendant le premier confinement et a alors dû faire appel au service social du Crous, ce qui lui a permis de bénéficier d’une aide financière et alimentaire. S’il parvient à travailler ses cours dans sa petite chambre de 9m², impossible toutefois de s’y réunir avec ses camarades pour des travaux de groupe. Faute de salle de travail ouverte, ils se réunissent dehors, devant le restaurant universitaire. «Pas plus d’une heure, à cause du froid», précise-t-il.

«Des étudiants venaient en shorts et en tongs aux distributions»

Mohamed, Algérien de 20 ans et étudiant en licence 2 de sciences du langage, s’est retrouvé complètement désemparé par le passage abrupt en distanciel, ne connaissant pas le fonctionnement de Moodle (la plateforme de cours en ligne de l’université). «Je ne comprenais rien, je n’arrivais pas à m’inscrire aux modules. Je suis sûr d’avoir raté mes partiels ». C’est finalement la responsable de sa licence qui prendra le temps de le former au fonctionnement de la plateforme. C’est aussi elle qui l’orientera vers les distributions alimentaires des Restos du Cœur, dont il a bénéficié pendant le deuxième confinement, faute d’avoir pu trouver un emploi à l’époque. Depuis janvier, il travaille en tant qu’auxiliaire de vie, ce qui lui permet au moins de quitter sa chambre, «_une cave». Un travail qui ne lui permet pas encore de s’en sortir financièrement, lui qui a renoncé plusieurs fois à consulter un médecin malgré de lourds problèmes de santé, par crainte de devoir avancer les frais médicaux.

Pour Pascal Louvet, trésorier de la Croix-Rouge à Besançon, en charge des distributions alimentaires réservées aux étudiants, le constat est clair_: «ce sont essentiellement des étudiants étrangers qui viennent nous voir». Actuellement, 130 étudiants viennent régulièrement à la distribution, orientés par le service social du Crous. En plus de denrées alimentaires, la Croix-Rouge fournit sporadiquement des produits d’hygiène. «On a aussi distribué des vêtements d’hiver. Beaucoup d’entre eux venaient aux distributions en shorts et en tongs._C’est une précarité forte et multiple », remarque le trésorier. Une précarité qui se lit aussi dans l’explosion du nombre de demandes d’accompagnement social du Crous: +30_% dans la région depuis la rentrée scolaire selon Estelle Nilsson, directrice de cabinet du Crous BFC. Parallèlement, la Dr Corinne Lesueur-Chatot du SUMPPS (Service universitaire de médecine préventive et de promotion de la santé) observe une forte augmentation des demandes de consultations psychologiques. « On a 30_% de demandes en plus par rapport à avant le confinement. Les étudiants sont préoccupés par le déroulé de leurs études, leur avenir professionnel_», affirme la docteure.

Une précarité préexistante à la crise sanitaire

Face à ces constats de précarité et de mal-être, la Fage (Fédération des associations générales étudiantes) a lancé une journée de mobilisation nationale le 26 janvier, relayée à Besançon par plusieurs associations étudiantes. Sur le terrain de rugby du campus de la Bouloie, les étudiants étaient invités à reconstituer une salle de cours, devant une banderole «Étudiants fantômes». Une action symbolique pour Leïla Alem, du Bureau des étudiants STAPS, mais qui permet aussi aux étudiants présents d’échanger sur leurs problèmes et de sortir de leur isolement.
Le syndicat CGT Salariés-Étudiants Doubs propose de son côté une distribution de denrées alimentaires, de produits d’hygiène et de fournitures scolaires aux étudiants qui en font la demande. Soixante colis seront ainsi distribués vendredi 29 janvier dans les locaux de la CGT rue Battant. Toutefois, pas question pour Wiam Bama, secrétaire du syndicat, «de dédouaner l’État de ses responsabilités». Les mesures annoncées par le président de la République ne sont pas suffisantes selon le syndicat, d’autant plus que la précarité étudiante était «préexistante au Covid». Les adhérents revendiquent la revalorisation des bourses pour que les étudiants puissent étudier sans être obligés de travailler et pour mettre fin à la précarité sous toutes ses formes.

Si les étudiants s’entendent pour considérer que les cours à distance ne peuvent pas être une solution pérenne, le débat reste vif quant aux modalités de réouverture des universités. «Comment respecter un protocole sanitaire efficace quand les salles de cours étaient déjà bondées au point que les étudiants s’asseyaient par terre?», demande Wiam Bama. Pour la FAGE, et des départements de l’université de BFC, l’urgence est au contraire à la réouverture, pour casser les sentiments d’isolement et lutter contre le décrochage. Alors que la probabilité d’un troisième confinement va croissante, Romain demeure prudent: «tant que je n’aurai pas réellement remis les pieds à la fac, je préfère ne pas imaginer une réouverture, même partielle. J’ai trop peur de me faire de faux espoirs, d’être déçu à nouveau. Je n’y crois plus.»

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