Des barrages de gendarmes, 10 km avant d’accéder à Ornans, une ville paralysée, interdite aux véhicules de passages et aux piétons aux abords du musée. C’est le prix désormais habituel d'une visite présidentielle. Pour certains Gilets jaunes, qui s’étaient aventurés tôt à Ornans et qui ont été conduits au poste avant l'arrivée d'Emmanuel Macron, le tarif sera de 135 €, le montant de l’amende qui punit leur présence ici et qu’ils contesteront. D’autres ont été raccompagnés à l’extérieur de la ville par les gendarmes. Ils ne sont pas seuls à assurer la sécurité, il y a le Raid, le Psig et d’autres unités mobiles. Un militant, qui avait accroché un drapeau franc-comtois visible depuis le musée, a été interpellé. Des hommes en armes quadrillaient le secteur, parfois avec des chiens, presque tous ceux qui étaient en civil portaient des oreillettes. Les journalistes ont été regroupés et leurs affaires reniflées par les démineurs.
Passés le dernier barrage de gendarme, vers le pont qui mène au musée, les invités patientent sous l’œil de la sécurité présidentielle au point de contrôle qui mène au grand chapiteau dressé pour accueillir 4-500 personnes. Et tout le monde attend Emmanuel Macron, qui arrivera par les airs à Ornans pour commémorer le bicentenaire de la naissance de Gustave Courbet et l’exposition « Yan Pei-Ming face à Courbet ». Dans le champ derrière la tente de réception, les chevaux se sont un peu affolés au passage des deux hélicoptères. Sylvain Ducret, maire du village de Courbet, entame les discours et ne s’attarde guère sur le peintre. L’édile met l’accent sur la source première de l’inspiration de l’artiste : la richesse de la nature environnante et ce qu’elle peut engendrer aujourd’hui en termes d’attractivité touristique. Mais il ne souhaite pas voir sa ville réduite à un musée ou à une attraction. La puissance de l’eau, c'est aussi l'énergie, qui a permis la « longue histoire industrielle » de la vallée de la Loue, qui abrite encore Alstom et d’autres « entreprises de dimensions internationales ». C’est sur ce sujet qu’il a voulu insister et a choisi d’interpeller le président de la République. « Beaucoup se posent la même question. De quoi est fait l’avenir de nos communes petites et moyennes ? Nous ne le savons pas », appréhende-t-il. « Il ne suffit pas d’attirer les touristes. Il faut aussi attirer et retenir les habitants ». Et pour cela, il espère bien perpétuer l’activité industrielle à Ornans, qui compte encore 2000 emplois dans la ville.
« La culture ce n’est pas du divertissement »
Dans un autre registre, un véritable éloge à Gustave Courbet, et à ce que représentent ses convictions, Christine Bouquin, présidente du Conseil général du Doubs, prend une distance de précaution envers un tel hommage rendu à Courbet, plutôt réputé pour sa volonté de « rompre avec les conventions ». « Courbet s’amuserait beaucoup de cet hommage posthume et de notre présence autour de son musée », entame-t-elle. « Rarement peintre n’aura, au risque de déplaire, de choquer, autant cultivé l’art d’être libre », dit-elle avant de souligner « ses engagements politiques qui seront tout aussi radicaux et le conduiront à l’exil et à la mort ». Elle est fière de ce qui a été réalisé avec cette exposition. « Nous ne sommes pas ici dans l’événementiel clinquant. Fidèles à l’esprit des habitants de Franche-Comté, qui ont bâti les filières agricoles ou industrielles, nous construisons. (…) Nous préférons la reconnaissance sincère, comme celle que vous nous apportez aujourd’hui par votre présence, (…) celle du ministère de la Culture, décernant à l’exposition Yan Pen Ming le label d’intérêt national ». Sa défense de la culture est plus lyrique. « La culture ce n’est pas du divertissement, elle maintient le lien avec notre passé. Aujourd’hui plus encore où les flots d’images modèlent l’imagination de nos enfants et leurs temps de rêves ». Cela l’amène à évoquer le « parcours de sensibilisation culturelle et artistique », qu’elle s’engage à faire bénéficier aux 11.500 collégiens du département. Après avoir rappelé les lettres d’Henri Fertet, l’adolescent bisontin fusillé par les nazis pour résistance, elle conclut. « Il y a Gustave Courbet, s’engageant dans la Commune de Paris, il y a la lutte pour la liberté, sans en mesurer le prix à payer. Notre responsabilité est énorme pour éduquer et transmettre ce que Malraux appelait l’héritage de la noblesse du monde ».
Gaston Courbet
Vient le tour du président, qui se réjouit d’avoir pu venir à Ornans honorer sa promesse faite à Christine Bouquin devant l’Hallali du cerf lors de l’inauguration du Musée des Beaux-Arts de Besançon en automne dernier, « le plus vieux musée de France ». Il parle d’Ornans comme étant familier à tous, tant les paysages y sont connus de ceux qui ont pu les fréquenter au musée d’Orsay ou contempler « des gravures en noir et blanc ». Ces terres ont un passé glorieux dira-t-il encore, « elles ont aussi une force industrielle que je n’oublie pas » tient-il a rassurer. Il cite la plasturgie, la micro mécanique bisontine, l‘industrie automobile, l’excellence médicale de Dijon et promet de continuer à accompagner ses territoires. Beaucoup de références au tissu industriel, mais aucune allusion directe à General Electric, dont on sent l’ombre planer jusqu’ici et qui a sûrement suscité quelques discussions. « Cette belle région Bourgogne Franche-Comté est au cœur de ces défis économiques », rajoute-t-il. En revenant sur Courbet et « sa volonté de transgresser », il écorche son prénom en l’affublant d’un Gaston, ce dont il ne se rend pas compte tout de suite et ce qui fait rire toute l’assemblée. Il force le trait pour célébrer « ces terres qui ont un goût pour la liberté et l’utopie ». « Il n’y a pas de hasards si Hugo, Fourier ou Proudhon sont nés ou ont foulé ces terres », puis il passe sur LIP, « pas de hasard non plus ». « Il y a au milieu de ces vallées, qu’il s’agisse du Doubs ou de la Loue, quelque chose d’une capacité à voir le réel et à penser l’impossible », encense-t-il. Sa chute, ou du moins sa première partie, en laissera plus d’un pantois. « Une vache n’est plus une vache avec Courbet, et le bedeau du village devient aussi important qu’un personnage de Raphaël ».
Le président poursuivra sa visite dans le musée pour l’exposition en compagnie de Yan Pei-Ming, qui lui rend aujourd’hui hommage avec ses portraits (article à venir). Il rencontrera aussi des bénéficiaires du Pass culture, qui permet aux jeunes dans leurs dix huitièmes années de bénéficier d’un chèque de 500 € pour des activités culturelles. Le Doubs fait partie des premiers départements à profiter de cette mesure qui concerne 7.437 personnes sur le territoire. Devant une assistance plus captivée par Internet que la TV, la radio ou la lecture, le président prévient : « On ne consomme pas la culture, on la vit, elle nous transforme. Ce que l’on a voulu faire avec le Pass culture : que les impossibilités matérielles ne soient pas des freins pour accéder à la culture ». Revenu déjeuner au Courbet, il va au-devant des personnes qui l’attendaient derrière les barrières. Il s’arrête aussi quelques minutes devant les journalistes. La première question n’est pas sur le sujet du jour et porte sur les récents ralliements dont il a bénéficié. Il coupe court. « Alors je ne ferai aucun commentaire politique. On est là pour parler ruralité et Courbet ». Après le déjeuner avec des élus locaux, il a filé en hélicoptère.