Liquidation de la fonderie sanclaudienne : les salariés de MBF ne renoncent pas

Mardi 22 juin 2021, la sentence est tombée : liquidation judiciaire pour la fonderie historique sanclaudienne, MBF Aluminium. Les salariés auront lutté pendant des mois pour obtenir une reprise, sans succès. Cet échec vient parachever des années de licenciements et de reprises fragiles, syndrome de la sous-traitance dans l’industrie automobile. Les salariés de MBF ont toutefois annoncé leur intention de faire appel. Retour sur une lutte historique, dans un bassin industriel jurassien maltraité, miroir des processus de désindustrialisation à l’œuvre en France.

D’abord atelier de mécanique fondé par en 1941 par M. Manzoni et M. Bouchot (le « M » et le « B » de MBF), l’entreprise devient fonderie sous pression en 1948. Elle se concentre rapidement sur la production de pièces automobiles et embauche à tour de bras des générations et des générations de sanclaudiens. L’entreprise monte jusqu’à plus de 800 salariés au début des années 2000, puis connaît de grandes difficultés financières. Un premier dépôt de bilan est déposé en 2007, un autre en 2012. Des dizaines - quand ce ne sont pas des centaines - de postes sont supprimés régulièrement, amenant les salariés à se mobiliser massivement. La famille historique Manzoni passe la main en 2012 et la fonderie se fait racheter par le groupe CMV, pour devenir MBF. En 2020, l’entreprise ne compte plus qu’environ 250 salariés permanents, perd des commandes et croule sous les dettes.

La chronologie MBF

Printemps 2020 : face à son fort endettement, une procédure de conciliation avec les créanciers de MBF est mise en place.

Octobre 2020 : MBF déclare la cessation de paiement.

4 novembre 2020 : MBF est placée en redressement judiciaire par le tribunal de commerce de Dijon.

3 mars 2021 : audience au tribunal de commerce de Dijon. Les deux repreneurs potentiels, Mickaël Azoulay et Laurent de Lustrac se sont positionnés et demandent un délai, qui leur est accordé.

31 mars 2021 : le tribunal de commerce de Dijon fixe l’ultimatum du 27 avril pour amener une offre de reprise sérieuse, sans quoi MBF sera liquidée. Les salariés apprennent qu’ils ne seront plus payés.

1er avril 2021 : démarrage de la grève des salariés de MBF.

6 avril 2021 : plus de 150 de salariés manifestent devant le siège de Stellantis (ex-PSA), à Sochaux, pour exiger de nouvelles commandes.

8 avril 2021 : une centaine de salariés montent à Paris pour manifester devant le siège social de Renault pour lui demander d’honorer ses commandes. Les représentants de l’intersyndicale rencontrent les députés du Doubs et du Jura à l’Assemblée nationale, puis ont une audience à Bercy.

17 avril 2021 : les salariés de MBF manifestent dans les rues de St-Claude, aux côtés des habitants, du maire de la ville Jean-Louis Millet, et le secrétaire général de la CGT Philippe Martinez.

22 avril 2021 : les salariés de MBF organisent une opération escargot sur un péage d’autoroute dans l’Ain.

26 avril 2021 : la région Bourgogne-Franche-Comté vote une aide de 500 000€ pour le paiement des salaires des employés de MBF.

27 avril 2021 : nouvelle audience au tribunal de commerce de Dijon. Les salariés de MBF défilent devant. Un délai est accordé.

4 au 6 mai 2021 : 8 salariés de MBF font le tour de France des fonderies en difficulté.

12 mai 2021 : le tribunal de commerce de Dijon accorde un nouveau délai suite au dépôt tardif du dossier de Mickael Azoulay.

18 mai 2021 : 4 salariés entament une grève de la faim devant Bercy.

21 mai 2021 : des salariés de MBF installent des bouteilles de gaz et menacent de faire sauter l’usine à Saint-Claude.

22 mai 2021 : les 4 salariés à Paris suspendent leur grève de la faim.

25 mai 2021 : le tribunal de commerce de Dijon refuse l’offre de Mickaël Azoulay, jugée trop fragile. L’idée d’un consortium au capital mixte (public et privé), avec notamment un gros apport de la région Bourgogne-Franche-Comté, est discutée.

22 juin 2021 : le tribunal de commerce de Dijon prononce la liquidation de MBF. Les salariés expriment leur colère dans les rues de Dijon et enflamme une voiture floquée aux couleurs de l’entreprise.

24 juin 2021 : une enquête pour abus de biens sociaux est ouverte par le procureur de Lons-le-Saunier.

27 juin : 4 salariés sont placés en garde à vue après avoir tenté d’interpeller le président de la République Emmanuel Macron au Touquet (Nord-Pas-de-Calais).

28 juin : début du blocage par des salariés de MBF du site de Sofrastock à Saint-André-de-l’Eure, filiale de Renault-Nissan et site stratégique de la firme.

1er juillet 2021 : le CSE vote l’appel. Fin du blocage de Sofrastock.

Déplacement de fonds dans le groupe CMV

Le groupe CMV (pour Colla, Martins et Vieville) est connu pour ses techniques de superpositions de holdings, notamment en Grande-Bretagne. Le dernier patron en date, Gianpierro Colla, fait d’ailleurs l’objet d’une enquête pour abus de biens sociaux depuis le 24 juin 2021. En effet, des déplacements de fonds ont été observés depuis les comptes de MBF, sans justification. Les syndicats de l’entreprise avaient entamé des procédures juridiques dès 2019 pour questionner ces déplacements, mais elles ont été suspendues à cause du redressement judiciaire. « On avait quelques doutes » explique Koray Sukran, délégué syndical SUD Industrie à MBF. « La direction ne remettait pas les documents qu’on demandait, on voyait que de l’argent transitait par CMV. ». Ce seraient près de 8 millions qui se sont volatilisés des caisses de MBF et détourné vers une holding britannique, appartenant à Gianpierro Colla.

Des carnets de commande en suspens

Les fonderies telles que MBF sont en capacité de produire des pièces pour des véhicules hybrides, et ne demandent qu’à ce que des investissements soient faits pour être en capacité de produire pour des véhicules électriques. « On a réussi la transition du moteur à explosion vers l’hybride. Il n’y a pas de raison pour que ça ne marche pas pour une transition vers l’électrique », estime Koray Sukran, « le matériau d’avenir c’est l’aluminium, et nous, on l’a ! » Si Stellantis se serait a priori engagé pour de nouvelles commandes, le groupe Renault a quant à lui fait savoir qu’il se passerait des services de MBF. Au-delà d’un supposé « sens de l’Histoire » , certains salariés de MBF invoque des griefs personnels entre des membres de la direction de Renault et les actionnaires de MBF. « Ce sont des combats de coq, des guerres d’ego » grince Koray Sukran. Les salariés de MBF ont toutefois obtenu un entretien avec le constructeur automobile à la suite de leur blocage de Sofrastock, qui devrait avoir lieu ces prochains jours.

« Le sens de l’Histoire » de Luca de Meo

Les fonderies sous-traitantes ou internes aux constructeurs automobiles n’en finissent plus de fermer, d’être menacées de l’être (fonderie de Bretagne, Poitou-Fonte), ou encore d’être vendues (fonderie de Caudan). Interrogé sur France Inter, le patron de Renault, Luca de Meo invoque le fait que l’arrêt de véhicules thermiques (pour des véhicules hybrides ou électriques) est « malheureusement le sens de l’Histoire », semblant s’appuyer sur le concept de destruction créatrice de Joseph Schumpeter, bien utile pour justifier des licenciements. « On ne peut pas avoir le même métier toute sa vie, il faut avoir la capacité de se transformer » prétend-il. Une remarque cynique, puisque Luca de Meo joue le jeu de la délocalisation, notamment en Espagne.

Engagements et désengagements publics

Au-delà de la responsabilité des constructeurs automobiles, les salariés pointent du doigt celle des pouvoirs publics. Rassurés par ces derniers, la liquidation a été une vraie surprise, et même perçue comme une trahison. Le consortium d’investisseurs publics et privés (cf chronologie) avait été accepté par Mickaël Azoulay, le repreneur potentiel. Était ainsi prévu une part de 20 % d’actionnariat pour les salariés. Il était également entendu que la région rentrerait au capital à hauteur maximum de 33 %, ce qui aurait rendu le repreneur minoritaire et donc non décisionnaire. Enfin, l’État s’était selon les syndicats de MBF engagé sous forme de prêts à hauteur de 12 millions d’euros via la ministre déléguée chargée de l'Industrie Agnès Pannier-Runacher, et la région également à hauteur 1,8 millions. « Sauf qu’ils se sont désistés » tempête Koray Sukran, « et au dernier moment. La région est finalement revenue sur sa décision, mais le mal était fait. » En cause : des doutes sur la situation fiscale du repreneur. Le manque d’expérience dans le monde industriel lui est également reproché.

Saverio Vadala, délégué syndical CFDT ne cache pas son amère déception. « Le conseiller personnel de Macron nous a dit "On va s’en occuper personnellement", on avait le cabinet d'Agnès Pannier-Runacher qui nous assurait aussi qu’ils allaient s’occuper du dossier. Ce sont des menteurs ! » fulmine-t-il, en larmes. Pour Koray Sukran, si les commanditaires ont une grande part de responsabilité dans la situation de MBF, c’est l’État qui est le principal auteur de la situation. « Ceux qui sont en train d’assassiner MBF, c’est l’État » accuse-t-il. « C’est comme si on nous disait "Vous allez mourir dans 3 mois, donc on ne vous soigne pas." »

Une usine barricadée, des actions en Normandie

Les salariés ne baissent pas les bras et continuent à se mobiliser. Suite à la réunion du CSE jeudi 1er juillet, il a été acté de faire appel à la décision de liquidation judiciaire. « On a déjà trouvé un avocat » affirme Saverio Vadala. « On ne va pas abandonner » assène Koray Sukran. « On veut que le tribunal change d’avis, qu’il abandonne la liquidation ». Interrogés quant à la qualité de leur repreneur, Koray rétorque : « Peu importe qui c’est le repreneur, on a confiance en nous, en notre savoir-faire. » A la fonderie, les entrées et les sorties sont scrupuleusement surveillées. Seuls les salariés peuvent circuler. Le lendemain de l’annonce de la liquidation, un commissaire-priseur s’est rendu dans l’usine pour en faire l’inventaire, mais « on lui a dit gentiment de rentrer chez lui » explique Saverio Vadala. Une partie des salariés est quant à elle mobilisée en Normandie, sur le site de Sofrastock, filiale de Renault. Koray est sur place, avec d’autres camarades. Ils bloquent les livraisons, espérant faire entendre leur voix.

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