Les pépites et les scories de la crue…

Comme de nombreux Bisontins, on s'est laissé envahir par la contemplation des eaux du Doubs s'étalant dans son lit majeur à Micaud... Mais que cachent donc les « laisses de crue » ? Que sont ces marques témoignant qu'il n'y a pas que de l'eau à être passé par là ?

eau

Les inondations ne font pas qu'entraver la circulation motorisée, provoquer des centaines d'interventions des pompiers, enquiquiner les propriétaires de caves, noyer des habitations ou des usines construites en zone inondable, provoquer du chômage technique...

On dit que les rivières sortent de leurs lits, mais on se trompe : un cours d'eau a un lit mineur, où il coule l'essentiel du temps, et un lit majeur, où il s'étale de temps en temps quand la pluie tombe en abondance, quand la neige fond... Il n'y a pas si longtemps, on se lamentait du niveau bien bas des nappes phréatiques. Elles se rechargent quand les lits majeurs ne sont pas entravés, bétonnés, construits, imperméabilisés...

A voir les sourires et les exclamations des Bisontins venus ces derniers jours en masse contempler le spectacle du Doubs s'étaler dans son lit majeur du parc Micaud, on constate que beaucoup ont intégré le respect de la nature, y compris dans sa dimension sauvage. Ne court-on pas admirer les chutes d'eau grossies par les précipitations ? Du Saut du Doubs au Creux Billard en passant par les centaines de cascades de la région, ils sont, nous sommes des milliers à aimer sentir la fraîcheur du halo de fines gouttelettes naissant du fracas des torrents.

Gonflées ou en furies,
les eaux parlent aussi de nous,
de notre monde...
En charriant ce que nous avons oublié,
laissé traîner ou cru enfouir dans un trou,
elles nous tendent un miroir...

Le spectacle de la nature sauvage nous envoûte et stimule nos sens. Elle nous réveille et nous inspire, nous fascine et nous comble. Elle peut faire peur, mais la connaître, donc nécessairement l'approcher, diminue les craintes qu'elle fait naître.

Gonflées ou en furies, les eaux parlent aussi de nous, de notre monde. En charriant ce que nous avons oublié, laissé traîner ou cru enfouir dans un trou, elles nous tendent un miroir. Refuser de le voir, c'est notamment fermer les yeux sur la réalité de notre société, ses beautés comme ses laideurs. Le regarder, c'est explorer l'infini du courant et de la vie, c'est guetter des traces dont certaines ont été laissées par nos semblables en amont, c'est découvrir ou redécouvrir le lent travail d'érosion et de transport de toute matière vers la mer, comprendre que le destin d'une montagne est de s'effriter et de tomber...

On s'extasie des pépites de la décrue, ce que les scientifiques appellent les laisses de crue, de la dentelle végétale ornant les garde-corps et les balustrades... On déplore y déceler quelques scories en plastique... On est plus particulièrement interpelé par les cercles de mousse qui entourent les arbres de Micaud (et d'ailleurs) pile à la même hauteur, mais aussi les bancs, les panneaux, les poubelles, les pierres...

Alors, on demande à ceux qui savent : d'où vient donc cette mousse entre le blanchâtre et le jaunâtre qu'on a déjà repérée dans les ruisseaux forestiers ou campagnards, les fossés longeant les vignes, les rigoles alimentées par des résurgences, certains bords calmes de rivières...?

« Si dominante lessive : tuyaux d'évacuation et fosses septiques noyées... »

Biologiste retraité de l'université, Jean-Pierre Hérold nous répond avec humour et précision : « Le meilleur appareil de détection: le système olfactif.... Prélever une noix de cette mousse et la frotter entre ses paumes , approcher le nez au plus près .. et inhaler lentement...
- Si dominante pétrole : cuve de mazout noyée, hydrocarbures aromatiques polycycliques (résidus de combustion du mazout/gas-oil)
- Si dominante lessive : tuyaux d'évacuation et fosses septiques noyées
- Si dominante matière organique fermentée : STEPstation d'épuration noyée, réseau rincé, lisier, purin et le reste...
L'ensemble de ces "arômes" sont adsorbés sur des matières organiques (protéines). Tout le lit majeur des rivières inondées (ou des remontées de nappes) est crépi de ce mélange odorant et adhésif. Donc l'identification peut être délicate ! »

Aussitôt reçu, ou presque, on retourne à Micaud pour faire le prélèvement. Pas facile : en quelques heures, la mousse devient poudre, la noix s'effondre au creux de la main... Il y en a suffisamment pour l'étaler. On approche le nez et on hume délicatement (ce n'est pas la peine de s'en remplir les narines). L'odeur n'est pas très forte et ça ne pue pas. On ne sent pas d'hydrocarbure, on pencherait pour un mélange de lessive et de station épuration avec un zeste de lisier...

On n'a pas envie de trinquer pour autant et on va se rincer les mains à la borne-fontaine. On reprend la conclusion de Jean-Pierre Hérold : « A vos expériences olfactives nouvelles, il n'y a pas que le savagnin ! »

 

La passerelle sous le pont Robert-Schwint.

 

Vue du Pont de la République

 

Micaud

 

Micaud

 

Le ruisseau de la Mouillère... Le site d'un ancien campement de migrants installé en zone inondable. Il a été évacué par ses occupants il y a plusieurs semaines.
Le ruisseau de la Mouillère... Ce qui reste du campement...

 

Vue du pont Robert-Schwint.

 

Au bord de la digue de l'île Saint-Pierre

 

Une cave de la Boucle

 

« Ben, si on y va, on se mouille les pieds... »

 

La décrue...

 

Décrue...?

 

Laisse de crue. Sculpture sur banc.

 

Sous le pont Robert-Schwint.

 

     

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