La proposition de loi adoptée par le Sénat le 4 octobre dernier modifie la loi de 1881 sur la liberté d'expression en introduisant une disposition portant atteinte au constitutionnel principe d'égalité entre les différentes formes de presse. La prescription de trois mois en matière de diffamation ou d'injure serait portée à un an pour les journaux en ligne qui n'ont pas d'édition papier. Sont potentiellement visés les sites d'information, dotés du statut d'entreprise de presse, tels que Factuel.info, Médiapart, Contexte, La Tribune de l'art, Marsactu, Toutéduc, tous membres du SPIIL... En tout 160 pures players, autrement dit des journaux diffusant exclusivement en ligne.
Plusieurs organisations professionnelles d'éditeurs de presse
Préserver la cohérence de la loi de 1881
Voici le texte du communiqué des éditeurs de presse :
« La proposition de loi portant réforme de la prescription en matière pénale, telle qu’adoptée par le Sénat et qui sera discutée le 12 janvier en séance publique à l’Assemblée nationale, comporte en son article 3 une disposition qui menace l’équilibre de la loi de 1881 sur la liberté de la presse. Les organisations professionnelles de la presse alertent sur la nécessité de préserver la cohérence de cette loi, qui organise l'équilibre entre les garanties individuelles et la protection des libertés fondamentales en démocratie, toujours pertinente à l'ère des médias numériques.
« Comme l'ensemble des syndicats d'éditeurs de presse le rappelle régulièrement et l'a récemment souligné dans le cadre des débats relatifs au projet de loi « Égalité et citoyenneté », la loi de 1881 est régulièrement menacée, dans une inspiration qui traduit une certaine méfiance à l'égard de l'information en ligne. Ses dispositions en matière de défense de la liberté d'expression comme d'engagement de la responsabilité des médias sont pourtant essentielles à notre vie démocratique. Son équilibre complexe, validé par une abondante jurisprudence, doit être pleinement préservé, comme le Conseil Constitutionnel et la Cour européenne des droits de l’homme le rappellent régulièrement.
Un risque pour la liberté de la presse
« L’article 3 de la proposition de loi modifiée par le Sénat prévoit d’allonger de trois mois à un an la durée du délai de prescription de l’action publique et de l’action civile des infractions de presse de droit commun lorsqu’elles sont commises sur internet. Cette augmentation de neuf mois de la durée du délai ne s’appliquerait pas si le contenu est diffusé à la fois en ligne et sur support papier. Poursuivant l’objectif principal de lutter contre les abus de la liberté d'expression constatés en particulier sur les réseaux sociaux, la mesure en cause fait toutefois peser un risque important sur la liberté de la presse qui, elle, s’exerce en toute transparence. En effet, elle crée une discrimination injustifiée entre presse imprimée et numérique : entre éditeur de presse papier ou éditeur en ligne mais aussi entre supports « papier » et numérique d’un même éditeur de presse. Elle s’oppose ainsi au principe de neutralité des supports entre la presse imprimée et la presse en ligne.
« En outre, bien que les parlementaires tentent de préserver la liberté de la presse en prévoyant que la durée du délai ne s’appliquerait pas si le contenu est diffusé à la fois en ligne et sur support papier, la presse resterait pleinement touchée. La réalité actuelle du travail des journalistes et des rédactions modernes conduit en effet à publier indifféremment sur les supports papiers et sur les supports numériques, sans toujours prévoir en amont le support de publication. Imposer des délais de prescriptions différents - et de surcroît trop longs -, serait donc peu adapté à la réalité du travail de la presse. Surtout si la proposition en cause entrait en vigueur, elle serait source d’une grande insécurité juridique, voire éditoriale, pour les publications de presse.
« Les organisations professionnelles de la presse demandent donc au Parlement et au Gouvernement de préserver les équilibres de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.
« Toute évolution de la loi de 1881 doit en toute hypothèse être élaborée avec prudence et ne saurait aboutir sans concertation globale avec l’ensemble des parties prenantes. »