Le GEEC, la consultation citoyenne et le programme

Le GEEC a rendu un rapport très critique qui reprend pour beaucoup l’argumentaire des associations environnementales et de la justice qui a stoppé les travaux. Mais il ouvre aussi la voie à une urbanisation moins importante d’un secteur préservé, ce qui correspond au programme de la municipalité EELV, qui souhaite revisiter l’écoquartier, mais pas abandonner la construction de logements aux Vaîtes. Une consultation numérique est lancée, une conférence citoyenne suivra. Processus scientifique et démocratique pour la mairie, procédé de légitimation de décisions déjà prises pour les opposants. Une grande mobilisation est attendue ce samedi à Besançon et convergera vers les Vaîtes pour réclamer l’abandon du projet dans le cadre d’un mouvement national contre l’artificialisation des terres.

Une manifestation dans le cadre de l'appel national "Les soulèvements de la terre" contre leur artificialisation est prévue ce samedi 27 mars à Besançon. Parmi les signataires on retrouve plus de 60 associations locales, dont Les Jardins des Vaîtes, la Confédération paysanne, Extinction Rebellion Besançon, l'Union syndicale Solidaires 25, Mirapam, FNE 25-90.

Inquiet de la perte de terres arables, incertitudes sur le besoin réel en logements, critique sur les conséquences environnementales du projet immobilier des Vaîtes sur un espace de verdure peu remarquable en termes de biodiversité, mais considéré comme important à préserver en pleine ville dans le contexte du changement climatique, etc. Malgré ses grandes réserves, le rapport du GEEC (Groupe d’experts pour l’environnement et le climat) laisse pourtant grande ouverte la porte à une urbanisation, moindre et plus vertueuse, d’un espace historiquement maraicher. Il adresse à la municipalité de Besançon, qui a monté le groupe et commandé le rapport, des recommandations en ce sens. Des conclusions qui résonnent avec le programme présenté aux municipales par Anne Vignot, élue maire EELV.

À la mairie, on ne fait pas mystère du souhait de « revisiter » le projet, mais sans pour autant dresser de contours précis de la forme que cela pourrait prendre. Il s’agit, nous dit-on, de rester neutre pour ne pas influencer le choix des 50 citoyens bisontins qui seront tirés au sort, mais dans un panel qui devra nécessairement être représentatif, et qui rendront eux aussi un avis. On nous assure qu’aucune décision n’est prise et que le sort des Vaîtes ne sera scellé qu’après expiration des différentes séquences installées par la mairie : « le temps scientifique et le temps de la consultation citoyenne ».

Avant les municipales, bien que le dossier épineux des Vaîtes était toujours émaillé d’une part de mystère, l’analyse était pourtant affinée et inscrite noire sur blanc dans le programme qui comportait le point suivant : « Revisiter le projet des Vaîtes (développement de l’écoquartier le long du tramway, bâtiments avec performance énergétique et accès à des logements à loyers modérés) avec une prise en compte plus exigeante des enjeux environnementaux (restauration de la partie de zones humides et amélioration des écoulements, compensation de l’habitat de la flore et de la faune…). Cette position est bien sûr susceptible d’évoluer en fonction des diverses questions et interrogations que ne manqueront pas de soulever la conférence citoyenne et la consultation numérique qui a démarré, mais les bases sont claires.

Ni pour, ni contre “sauf entre les lignes”

Et déjà, le rapport du GEEC, malgré toutes ces précautions qui le rendent compatible avec les intentions que l’on pourrait légitimement prêter à la mairie au regard de son programme, ne manque pas de critiques envers le projet. En le présentant à la presse, Hervé Richard, dont la nomination à la tête du GEEC avait été décriée en raison du soutien qu’il avait apporté à la campagne d’Anne Vignot, tient à rappeler d’emblée l’intention qui les animait. “Sauf entre les lignes”, il ne s’agissait pas d’être pour ou contre, mais “simplement de faire des constats, de regarder si les documents étaient suffisants, de rendre des conclusions et surtout des préconisations”.

Et la fiabilité du projet, retoqué par un avis négatif du CNPN (Conseil national de protection de la nature) et par le Conseil d’État, prend un gros coup dès le début de sa présentation. Les scientifiques n’ont pu que constater ses faiblesses : pas de plans de masse véritables permettant d’en saisir tous les impacts et manque de chiffres précis concernant le besoin en logement.

Le président indique qu’il n’est pas persuadé non plus que la construction du quartier participera à limiter l’exode à l’extérieur de Besançon, l’un des arguments phares portés par ses promoteurs. “Dans les exemples que l’on a pu avoir des autres villes, cela ne se passe pas comme ça. Les nouveaux quartiers vont attirer des gens venus de l’extérieur, ou de Besançon, mais qui ont les moyens d’avoir un logement plus sympa, avec jardin, etc.”. Et de citer les personnes de plus de 60 ans qui souhaiteraient se rapprocher des plateformes médicales du centre-ville. Il pointe aussi la sous-exploitation du logement en ville, mais fait part aussi de l’inadéquation entre l’offre de logements urbains et la demande d’appartements plus grands et plus agréables. “Beaucoup préfèrent faire 30 km le matin et le soir. C’est dur de les faire revenir, les enfants sont intégrés”, souligne-t-il.

“A aucun moment on ne s’est posé la question de réduire”

Sur la procédure judiciaire en cours, il rappelle qu’elle n’en est qu’à son commencement, et qu’il faut de toute façon régler ça avant d’imaginer aller plus loin. Il semble faire siennes les conclusions du Conseil d’État, dont l’arrêt stoppe les travaux en constatant qu’aucune autre option n’a été étudiée et que les mesures d’évitement, de réduction et de compensation des conséquences néfastes du projet sur l’environnement n’ont pas été assez explicites. “Le juge se fonde dessus et dit qu’à aucun moment on ne s’est posé la question de réduire”, insiste le président.

Sur la question environnementale, il estime “n’avoir pas vu grand-chose” de cet “écrin botanique écologique exceptionnel” qui est quelquefois évoqué. “En termes d’espèces, d’habitats remarquables, on n’est pas au niveau de listes rouges d’espèces menacées ou de zone Natura 2000. C’est la nature ordinaire en ville”. Il souligne toutefois que “c’est une chance extraordinaire d’avoir cette zone de nature en ville et que cela mérite une réflexion sur une préservation, au moins partielle”. De plus, “les 23 Ha de verdure ont une fonction essentielle d’ilot de fraicheur dans le cadre du changement climatique”.

Il insiste sur le fait que la tradition maraichère devrait être conservée dans ce quartier et que cela devra faire l’objet d’un vrai projet, pas être mis sur le côté. Il regrette par ailleurs que les discussions entre les membres de la municipalité et les différents acteurs sur place n’ait pas donné lieu a des comptes-rendus. “A-t-il été proposé autre chose aux maraichers ?”. Sur ce point, l’association Les Jardins des Vâites, qui mène le combat sur le terrain et dans les prétoires aux côtés de France Nature Environnement 25-90, regrette de n’avoir pas été consulté par le GEEC, qui n’a considéré que des écrits et mené aucun entretien, car eux en disposaient.

“On voit très bien que le secteur des Vaîtes correspond à un ilot de fraicheur”

Michel Magny, membre du GEEC et spécialiste des changements environnementaux, donne sa vision du projet et des évolutions qu’il doit prendre. “Il faut essayer d’inscrire le projet des Vaîtes dans les conditions climatiques qui sont en train de se développer”. En prenant appui sur la carte thermique établie à partir de satellites qui permet d’identifier précisément les phénomènes d’ilots de chaleur et d’ilots de fraicheur. “On voit très bien que le secteur des Vaîtes correspond à un ilot de fraicheur”. Il prend exemple de l’impact selon les différents espaces. “La différence entre le parc Micaud et la rue d’Alsace, de l’autre côté du Doubs et de 9 °C.”. Si le projet devait se faire, il insiste sur la nécessité “d’adapter le bâti et les matériaux sur au réchauffement climatique, d’éviter qu’un processus de climatisation ne rejette de l’air chaud en ville”.

Un autre point a retenu l’attention du GEEC : la gestion des eaux. Pour le groupe d’experts, ces mesures sont insuffisantes, car elles ne permettraient pas de compenser l’artificialisation des terres et ne prennent pas en compte les événements pluvieux maximum d’ordre centennal. “On va vers une accentuation des événements extrêmes, la référence à 20 ans n’est pas suffisante”, explique Michel Magny. Les risques d’inondation existent, et même si “les réponses sont celles attendues par la réglementation, elles ne sont pas à la hauteur”, explique Vincent Bichet, géologue lui aussi membre du GEEC.

“Les conclusions de ce rapport nous seront grandement utiles pour la suite des procédures judiciaires”

Face au constat environnemental du rapport, l’association Les Jardins des Vaîtes ne peut que se réjouir, car ce sont ses arguments qui ont été repris par les scientifiques. “Les conclusions de ce rapport nous seront grandement utiles pour la suite des procédures judiciaires”, écrit-elle d’ailleurs, comme un pied de nez. “Le GEEC met à l’honneur le travail des jardinièr·es et habitant·es des Vaîtes, qui  ont tissé des liens riches avec leur environnement. Là encore c’est un élément clé de notre argumentaire, qui avait jusqu’alors été complètement ignoré”, poursuit dans son analyse Le Jardin des Vaîtes.

Si l’association se félicite de ces conclusions, elle n’en demeure pas moins très critique sur certains points. L’association regrette par exemple que “le GEEC ait eu par moment une lecture orientée des dossiers” en refusant de rencontrer les associations. “Est-il besoin de le rappeler : la Mairie n’est pas un acteur neutre !”, pointe l’association qui regrette que malgré tous les éléments cités dans le rapport du GEEC, “la construction de l’écoquartier même sous une forme réduite, semble rester une option raisonnable, en contradiction avec toute l’analyse écologique précédente, et sans réelle motivation en termes de besoins en logement – le GEEC ne cessant de pointer l’insuffisance des études permettant de motiver le besoin en logements.”

Certaines critiques sont adressées aux militants des Jardins des Vaîtes et à ceux de plus de 60 associations locales qui ont signé l’appel du mouvement Les Soulèvements de la terre à cesser l’artificialisation des terres et qui affirme que “le projet de bétonisation des Vaîtes est un projet écocide, inutile, et qu’il doit être totalement abandonné, pas revu à la baisse ou réaménagé”. Pas de place pour la discussion ou le compromis donc, mais une posture politique assumée. “Je ne sais pas quels écologistes peuvent être d’accord avec l’artificialisation de terres si on n’a pas besoin de logements. Je ne comprends pas les critiques sur le fait de demander l’abandon, quand d’autres associations demandent la fin du Round Up, des néonicotinoïdes ou du nucléaire, on demande l’abandon, pas une moitié d’abandon”, justifie Claire Arnoux, du Jardin des Vaîtes. De son côté, la mairie fait valoir que les besoins en logement sont réels, que les opérations de réhabilitation prévues ne pourront pas tout combler et que des centaines d’autres seront détruits à Planoise. Mais comme le souligne le GEEC, les études ne sont pas suffisantes pour corroborer cette affirmation, ou la contredire. Du côté des opposants au projet, la crainte est que ce processus démocratique ne serve qu’à justifier des orientations politiques déjà prises.

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