Le gâchis Camponovo

"Il a foutu en l'air cette librairie, foutu en l'air 39 personnes, foutu en l'air ce qu'ont créé les frères Camponovo... C'est incroyable qu'on laisse faire ça dans notre société. Un patron fait ce qu'il veut et on ne peut rien faire..." C'est avec des sanglots de colère à peine retenus que Samira, déléguée du personnel de la librairie Camponovo a conclu la conférence de presse donnée ce mardi après-midi au siège de SUD-PTT par une dizaines de salariées et un syndicaliste de La Poste.

P1100631

"Il a foutu en l'air cette librairie, foutu en l'air 39 personnes, foutu en l'air ce qu'ont créé les frères Camponovo... C'est incroyable qu'on laisse faire ça dans notre société. Un patron fait ce qu'il veut et on ne peut rien faire..." C'est avec des sanglots de colère à peine retenus que Samira, déléguée du personnel de la librairie Camponovo a conclu la conférence de presse donnée ce mardi après-midi au siège de SUD-PTT par une dizaines de salariées et un syndicaliste de La Poste.

Florence, l'autre déléguée, l'avait ouverte en rappelant les échanges de la dernière réunion mensuelle des délégués avec le patron, Jean-Jacques Schaer, jeudi 27 septembre, en présence de Julien Juif, représentant l'Union syndicale Solidaires. "On a tenu à se faire accompagner pour éviter les débordements..." Lors de cette réunion, M. Schaer, selon les déléguées, a affirmé qu'il avait vendu à Mme Hisler-Even à qui il a récemment cédé la librairie Grangier de Dijon, fermée depuis mai dernier. Or, cette dernière dément... M. Schaer a aussi réitéré son refus de vendre Camponovo à Michel Méchiet, le libraire pontissalien qui fut directeur général de Camponovo dans les années 1990, et qui porte un projet de création d'une librairie sur la friche commerciale de l'ancien cinéma Plazza. Un homme que Jean-Jacques Schaer assassine dans ses courriels à Mme Hisler-Even de qualificatifs orduriers. Dans ces mails, il affirme également que les salariés de Camponovo seraient réjouis de se retrouver au chômage...
 
Alors que la perspective se précise, nous avons pu constater qu'il n'en est rien. En guise de réjouissance, c'est plutôt la colère et la tristesse, le dégoût ou la révolte qui les animent. Ils s'indignent en lisant cet autre courriel de leur patron au président du tribunal de commerce : "mon personnel n'en a rien à faire de la pérennité de Camponovo"... "Des mails comme ça, on en a des pelles", assurent les salariées.
 
Si elles évoquent le tribunal de commerce, c'est que la menace s'est précisée lors de cette réunion de jeudi. "Le président du tribunal nous a contactées pour qu'on soit là le 8 octobre". Car Jean-Jacques Schaer leur a annoncé qu'il allait déposer le bilan ce jour-là, les implorant de ne pas entamer de procédure pour les salaires non versés... Le personnel n'en a rien fait, 34 des 39 salariés approuvant et signant une lettre au président du tribunal, Jacques Dardy, l'informant de la situation et demandant son intervention. L'inspection du travail a également été avisée, ce qui peut théoriquement être le prélude  une action judiciaire.
 
Il y a trois semaines, Jean-Jacques Schaer a reçu une lettre de la DIRECCTE (direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi) l'informant qu'il ne répondait pas aux conditions du chômage technique dans lequel il a placé la librairie début septembre. En décembre 2011, il avait donné consigne de ne plus passer de commandes aux éditeurs et aux papetiers, ce qui, de fait, avait empêché l'entreprise de répondre à de nombreuses demandes de clients, notamment lors de la rentrée scolaire, un des moments forts de l'activité du secteur. 
 
En fait, assure Patricia, ancienne déléguée, approuvée par ses collègues, tout a commencé "comme par hasard après la grève de décembre 2008". Une heure et demi de débrayage de protestation contre la suppression d'une prime. Pour des salariés payés à peine plus que le Smic, ou, comme dit l'une "1200 euros après 10 ans de boîte", cette prime était importante. "Mais on aurait compris s'il nous avait dit que la situation était difficile", dit l'une. En fait,  elles sont persuadées qu'il a voulu leur faire payer au prix fort leur revendication. Samira ressort un propos qu'il a tenu dans Livre Hebdo en janvier 2009 : "Je ne céderai pas, dussé-je boucler la librairie"...
 
Vengeance ? Guerre sociale ? Perversité pathologique ? On hésite à se prononcer. Salariés et observateurs ont connu tant de revirements, entendu tant de promesses, que rien n'est sûr. Reste que le patron a su opportunément annoncer une fusion entre plusieurs entités, il y a quelques années, pour tuer dans l'oeuf toute velléité de revendication de création, y compris par la voie judiciaire, d'une "unité économique et sociale" qui aurait dépassé le seuil de cinquante salariés à partir duquel un comité d'entreprise aurait été de droit, et donc, par exemple, pu désigner un expert comptable indépendant pour avoir enfin l'information sur la situation économique et financière de l'entreprise qu'ils n'ont jamais eue. Cela aurait-il changé le cours de l'histoire ? Une telle information aurait en tout cas mis des chiffres et des faits là où il n'y a qu'affirmations non vérifiables.
 
On en est alors à s'interroger sur les motivations financières - il voudrait récupérer un million d'euros - à agir de la sorte d'un homme qui tient tête, non seulement à une quarantaine de personnes, mais aussi à l'ensemble de la classe politique locale, à la préfecture, à une partie de ses clients... Qui ne semble apparemment pas saisir qu'il a touché à un symbole, presque un tabou, celui de la transmission de la culture et du savoir. Bref, on se demande, comme Samira dans ses larmes d'indignation, si l'Etat est à tel point de déliquescence dans ce pays qu'il peut à ce point laisser faire ce que réprouve la conscience. 
  
----
 
- Pour l'heure, la solidarité s'organise. Plusieurs centaines de personnes ont assisté au concert de soutien donné vendredi dernier. Au cours de cette manifestation, environ 3000 euros ont été collectés. D'autres initiatives pourraient être prises d'autant qu'en cas de dépôt de bilan, l'indemnisation par les AGS n'interviendrait sans doute pas avant 15 jours...
 
- Des dons peuvent être envoyés sur le compte "sud campo soutiens salariés" à SUD-PTT, 31 boulevard Diderot, 25000 Besançon. 
 

Newsletter

Lisez la Lettre de Factuel

ABONNEZ-VOUS À LA NEWSLETTER !