Le carnet de Zachée n’a jamais existé

Suite à la mort de Zachée dans le lac de Bonnal, le procureur de la République de Vesoul avait ému jusqu’à la presse nationale en lisant les premières phrases de ce qui était présenté comme le carnet intime écrit par ce jeune migrant. Il nous laissait même entendre qu’il serait rendu public… Mais, problème, outre l’atteinte à la vie privée de ce mineur, ce carnet n’a jamais existé. Ces mots sont issus d’un document juridique, rédigé avec l’aide de l’association Sol Mi Ré. Comme cela a aussi été dit, ce ne sont donc pas les gendarmes qui ont retracé son parcours…

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« Je m’appelle Zachée Otto Koumata, je suis né à Douala au Cameroun, le 10 octobre 2004 de père inconnu, et abandonné par ma mère à ma grand-mère. J’ai été élevé par ma grand-mère, je suis allé jusqu’au CM2 ». Ces quelques mots, lus par Emmanuel Dupic, procureur de la République de Haute-Saône, lors de sa conférence de presse du 2 août consacrée à la mort par noyade de Zachée dans le lac de Bonnal, ont fait le tour des médias, y compris nationaux. Ils seraient, d’après le magistrat, tirés d’un « petit carnet retrouvé par les gendarmes dans les affaires de Zachée ». Une anecdote reprise en boucle dans les médias : « Zachée parlait et écrivait le français. Pendant deux ans, il consignait dans un petit carnet son parcours. Un carnet que les gendarmes ont retrouvé dans ses affaires », écrit ainsi France Info dans un article en ligne.

Les médias nous apprennent que grâce à ce carnet, la gendarmerie et le procureur retracent le parcours de Zachée, passé par l’Algérie, la Libye et l’Italie. « Dans une des pages du carnet, Zachée explique que, grâce au téléphone qu’il s’est acheté, il a pu entrer en contact avec un cousin se trouvant en France à Besançon », rapporte ainsi le Nouvel Obs. C’est ainsi qu’il arrive à Besançon, où il va « devenir, par la force des choses, SDF. Le jeune homme étant mineur, l’association Sol Mi Ré, qui vient en aide aux migrants et réfugiés, le prend en main et le met en contact avec l’Aide sociale à l’Enfance du Doubs », poursuit le Nouvel Obs. L’hebdomadaire, tout comme un billet de blog de Mediapart, souligne aussi « la persévérance des gendarmes » pour retrouver et informer la grand-mère du jeune homme de son décès.

Un carnet fictif

Pour les membres du collectif Sol Mi Ré (Solidarité Migrants Réfugiés), la surprise est grande de découvrir que Zachée aurait tenu un carnet. Personne parmi celles et ceux qui l’avaient hébergé n’était au courant, et aucun carnet n’avait été remis à la gendarmerie lorsque l’association a apporté les affaires de Zachée pour les besoins de l’enquête. Il n’était pas non plus présent quand les gendarmes ont rendu les affaires. Par contre, les quelques phrases lues par le procureur correspondent, mot pour mot, au récit de vie que le jeune homme, aidé par Sol Mi Ré, avait écrit « pour les besoins de son recours juridique en minorité », souligne le collectif dans une lettre adressée à Emmanuel Dupic, et restée sans réponse.

Contacté par Factuel.info, le procureur revient sur ses propos tenus lors de la conférence de presse du 2 août et reconnaît qu’il s’agit bien de « notes résultant de documents juridiques » et non d’un carnet que les gendarmes auraient découvert dans les affaires du jeune garçon comme il l’avait affirmé. En accédant au contenu de ce document, remis par Sol Mi Ré aux gendarmes, ces derniers et le procureur n’ont donc pas eu trop de mal à reconstituer le parcours de Zachée. Pourquoi alors parler d’un carnet ? La gendarmerie a refusé de répondre à nos questions. Lors de sa conférence de presse, le procureur avait aussi évoqué l’idée de rendre public ce « carnet ». Aujourd’hui, il affirme que la divulgation de son récit de vie ne sera possible qu’à la condition que la famille et le juge d’instruction acceptent, et à l’issue de la procédure en cours.

Un pan moins reluisant occulté

Focalisés sur cette belle histoire de carnet et de ténacité des gendarmes, la plupart des médias ont ainsi occulté un pan moins reluisant pour l’État. Le jeune homme de 14 ans ne doit en effet sa reconnaissance de minorité, et donc sa prise en charge par l’Aide sociale à l’enfance, qu’à l’association bisontine de soutien aux migrants Sol Mi Ré. C’est en effet cette association, uniquement composée de bénévoles, qui l’a hébergé plusieurs mois durant, aidé à faire ses démarches administratives, inscrit au collège, et engagé une action devant le tribunal pour faire reconnaître sa minorité.

« Le récit de vie de Zachée qui a été remis aux gendarmes de Rioz, et dont les deux premières phrases ont été publiées, n’était pas destiné à être rendu public : les informations qu’il contient relèvent de la vie privée. A fortiori s’agissant d’un mineur, celle-ci doit être protégée », s’indigne le collectif, qui précise qu’il restera « particulièrement vigilant à ce que la courte et intense vie de Zachée, enfant camerounais échoué sur les rives françaises d’une indifférence administrative qui mériterait, elle, d’être interrogée, ne soit pas sacrifiée sur l’autel de la communication ». Avec un tel cafouillage, ça commence mal...

Illustration Guy Simoulin

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