Lait, vaches et normes anti-pollution croissent en choeur

La troisième conférence de la Loue et des rivières comtoises a été l'occasion de l'annonce officielle de l'installation de six stations de mesures des pollutions en continu dont cinq dès 2015. Mais la vedette est incontestablement le karst qui, avec la complexité de ses circulations souterraines, commence enfin à faire l'objet de mesures

pollution

Le karst est en train de devenir célèbre. Les collectifs SOS Loue et rivières comtoises et SOS Doubs-Dessoubre remettent samedi 13 décembre au sénateur-maire d'Audincourt Martial Bourquin (PS) une pétition signée par 72.256 personnes destinée à la ministre de l'environnement Ségolène Royal. Le texte  réclame « l'adaptation des normes à la fragilité des rivières karstiques de Franche-Comté ». Le fameux « pôle karst » que défendait la présidente du Conseil régional Marie-Guite Dufay à la tribune de la manifestation du 17 mai dernier à Saint-Hippolyte, pourrait voir le jour en 2015, l'établissement public de bassin Saône-Doubs étant chargé d'une « mission de configuration » de ce qui serait un centre de ressources travaillant avec l'université.

Mais l'adaptation des normes, c'est aussi moins de rejets dans le milieu naturel. Et sur ce point, la préfecture du Doubs annonce dans les trois ans la généralisation à toutes les stations d'épuration des obligations faites à celles ayant une capacité supérieure à 10.000 équivalents-habitants... pour l'azote (les nitrates, 13 milligrammes par litre) et les phosphates (2 milligrammes). Le géochimiste Philippe Henryabsent à la conférence, universitaire et militant à SOS Loue-RC, trouve que c'est « encore beaucoup trop » pour le phosphore et défend un maximum de 3 mg pour l'azote... « Selon les débits, ça peut être vite dilué, mais les polluants s'additionnent », souligne-t-il. De fait, il critique la méthode officielle consistant à appliquer le « flux-dilution » qui calcule « l'impact sur le milieu à partir de la charge polluante et les débit d'étiage ».

2% de vaches et 5% de lait en plus

Mais comme on part de loin, tout ce qui est fait semble être un pas, même petit, dans la bonne direction. Par exemple, une nouvelle station d'épuration a vu le jour à Bollandoz, le traitement du phosphore est annoncé dans celles d'Arc-sous-Cicon et Epenoy. On a surtout découpé le département selon les milieux : « lorsqu'une station rejette directement vers le milieu souterrain, dans un réseau éloigné de son exutoire de surface où doit être évalué le bon état », la norme de rejet est plus sévère (zone rose sur la carte, accessible en cliquant sur l'image). Pour les rejets dans des karst à « faible développement » ou des « thalwegs secs », on étudiera au cas par cas le niveau de rejet autorisé (zone bleue).

C'est bien la moindre des choses de s'adapter à son milieu naturel. Invitée à le faire également, souvent présentée comme le pollueur non pas unique, mais principal, l'agriculture est sur la sellette. Soumise au démantèlement des quotas laitiers européens, elle a vu le nombre de vaches laitières augmenter dans le Doubs de 2% entre 2013 et 2013, et même de plus de 6% sur les cantons de Morteau et Vercel, de 4% sur celui de Baume-les-Dames. Sur la même période, la quantité de lait produite a augmenté de près de 5% sur le département, avec des pics de 7% sur les cantons de Baume-les-Dames, Vercel, Maîche et Montbenoît, de l'ordre de 6% à Morteau, Levier et Ornans... « La pression agricole est plus forte sur les mileux naturels sur une période courte, et 2014 poursuit la tendance des trois années précédentes », constate la Direction départementale des territoires.

Deux fois plus de comté produit en 25 ans

Conséquence, le comté a atteint cette année une production record de 60.000 tonnes, alors que les ventes sont un peu moindres en raison des durées d'affinage qui restent longues : 52.773 tonnes vendues en 2013, contre 40.000 en 1999 et 29.400 en 1990... Malgré cette intensification de la production, la réalité sur le terrain reste bien en deça de la limite de 4.600 litres de lait par hectare figurant dans le cahier des charges. On est selon le secteur entre 3.000 et 3.200 litres...

En croissance donc, l'élevage cherche des solutions pour limiter, voire diminuer, l'impact des effluents sur les milieux. Le groupe agricole de la conférence, qui réunit organisations agricoles, associations de défense de l'environnement et institutions publiques, a listé une dizaine de propositions, du recensement des fosses à lisier vide à l'écoconditionnalité des aides à l'installation, d'une meilleure connaissance des sols à la collecte des pesticides usagés en passant pas le « souhait » d'en utiliser beaucoup moins car ils sont « dangereux » grâce à des méthodes alternatives parmi lesquelles figure la conversion à l'agriculture bio. Il reste encore à les mettre en musique.

Une filière écartelée entre productivistes et écolo-compatibles

Longtemps à rebours de l'idéologie de la concurrence libre et non faussée, la filière comté s'y est adaptée en « renonçant à l'encadrement de la croissance de la taille des ateliers de fromagerie » et en limitant à 10% le surplus de production admis par exploitation dans le cadre du programme de modulation de la production Modlait. Elle espère contenir les dégâts en promouvant dans les comices les vaches « meilleures fourragères », en formant les jeunes au respect de l'environnement et en adoptant les plans d'épandage individuels.

Écartelée entre une tendance productiviste et les écolo-compatibles qui ne se recrutent pas qu'à la Confédération paysanne, la filière comté étudie avec soin les restrictions commandées par les enjeux d'aujourd'hui. Elle admet ainsi être le théâtre d'un « rapport de forces avec ceux qui veulent des robots de traite », synonymes de gigantisme. Elle réfléchit à l'évolution de son cahier des charges pour « plafonner les doses d'épandage, interdire les boues de stations traitant les déchets d'hôpitaux ou d'industrie, n'autoriser que des digestats d'origine agricole dans les méthaniseurs, vérifier l'absence de contaminants... » Ces bonnes intentions seront testées par des coopératives à Vercel et Saint-Hillopyte où l'on fera des diagnostics de sols et épandra - ou non - du lisier comme fertilisant en fonction de l'épaisseur et des caractéristiques constatées. « Il faut travailler à la parcelle », affirme son président, Claude Vermot-Desroches.

Enfin des mesures en continu sur six sites

Pour vérifier que tout cela aura - ou non - un effet sur la qualité des eaux, on a enfin, après des années d'atermoiements, décidé d'installer six stations de mesure continue des nitrates et des phosphates, et au coup par coup d'autres paramètres. Les cinq premiers seront dans le Doubs, juste en amont des pertes de Ville-du-Pont, aux sources de la Loue et du Lison, dans la Loue à Vuillafans (aval des sources issues du plateau) et Chenecey-Buillon. Une sixième viendra plus tard à Plaisirfontaine, un affluent de la Brême qui elle-même se jette dans la Loue. Il s'agit de « mieux connaître la dynamique de transfert des nutriments, puis d'évaluer les actions, et de constituer une base de données accessible à tous », assure Vincent Fuster, vice-président du Conseil général qui co-finance avec l'Agence de l'eau et le... BRGM.

« Les paysans font des efforts, mais j'attends toujours les actions des industriels et des collectivités, notamment pour endiguer la consommation de foncier », souligne Philippe Monnet, le président de la FDSEA du Doubs. Marc Goux, militant d'SOS Loue-RC rappelle avoir réclamé le classement en zone sensible de l'ensemble de la zone karstique. Il espère qu'« on n'attendra pas trois ans et les contrats de territoires avant de généraliser les bonnes mesures » aux autres départements du massif jurassien dont il regrette l'absence à la conférence. Son collègue Philippe Koeberlé aurait aimé des actions vers la filière bois dont des pesticides de traitement sur site ont été retrouvés dans les analyses. Au premier, le préfet du Doubs répond que celui-ci est « pilote » et qu'on « transférera les bonnes pratiques au Jura... » Au second, on assure que le problème-bois est « identifié », le sujet « à saisir » et qu'un rendez-vous sera pris avec les professionnels.

En février, le groupe scientifique présidé par le professeur Jean-François Humbert présentera les premiers résultats de ses recherches. On lui doit notamment d'avoir intégré les spéléologues à la démarche : « on va exploiter leurs bases de données et utiliser leur système d'alerte ». Reste qu'il a quelques nuances d'approche avec les scientifiques locaux, notamment sur le rôle du phosphore et des polluants bien incrustés dans les sédiments. Un calendrier d'actions communes avec l'université est néanmoins envisagé.

Newsletter

Lisez la Lettre de Factuel

ABONNEZ-VOUS À LA NEWSLETTER !