Lait : le mauvais exemple suisse

La fin des quotas, programmée pour 2015 dans l'Union européenne, est réalité depuis 2006 pour les 25.000 producteurs helvétiques. Ils expérimentaient depuis 1987 le découplage des prix et des revenus, et leur rémunération avait chuté de 1,07 à 0,70 franc suisse (CHF) par litre en 2006.

Le silence est teinté d'effroi. Daniel Geiser, paysan près d'Yverdon, est l'un des 1.400 adhérents de la coopérative Prolait qui collecte 7 % du lait suisse et livre 62 fromageries à gruyère, soit une sur trois du roi des fromages helvétiques. En décembre 2011, il a présenté à l'assemblée générale de la fédération des coopératives laitières du Doubs, la situation économique et sociale des producteurs de lait suisses. Et elle n'est pas brillante.
La fin des quotas, programmée pour 2015 dans l'Union européenne, est réalité depuis 2006 pour les 25.000 producteurs helvétiques. Ils expérimentaient depuis 1987 le découplage des prix et des revenus, et leur rémunération avait chuté de 1,07 à 0,70 franc suisse (CHF) par litre en 2006. Une brève spéculation sur les prix les avait vu remonter quelques mois à 0,76 CHF, mais c'était pour mieux plonger dans la foulée, à 0,63 CHF fin 2010, moins pour le lait frais.

« La descente aux enfers de l'emmental »

À écouter Daniel Geiser, la dérégulation est quasiment totale et les producteurs n'arrivent pas à s'organiser efficacement face aux grands opérateurs. Quatre groupes tiennent 80 % de la transformation. Deux distributeurs, les coopératives Coop et Migros, tiennent à eux seuls 82 % de la vente au détail. Et les quarante organisations de producteurs sont concurrencées par 10 à 15 % des producteurs qui remettent individuellement en cause la gestion collective des volumes de production.
L'emmental, première production fromagère du pays il y a peu, a vu son AOC déclassée : « Les paysans avaient donné les clés de la maison aux affineurs qui ont baissé les prix en tentant d'exporter en Italie, ça a été la catastrophe... Ils ont abandonné la gestion des quantités et ça a été la descente aux enfers... » Du coup, le gruyère a pris la première place.
Très récemment, la fédération des producteurs suisses de lait a annoncé son intention de quitter l'interprofession laitière, incapable de s'imposer, si rien ne change d'ici le printemps. Daniel Geiser est manifestement amer mais il tire lucidement quelques leçons : « Ce n'est pas l'interprofession qui fait les prix, mais chaque acheteur de lait. Et si une filière ne gère pas ses quantités, elle n'a plus de prix... »

« Produire plus pour gagner moins ! »

Les dirigeants de la FDCL du Doubs voulaient lancer le débat sur la fin des quotas. C'est réussi. La démonstration est là. Les risques, notamment pour les fromages AOP franc-comtois, sont identifiés. Les présidents des filières l'ont dit, il s'agit des quantités supplémentaires de lait d'ores et déjà réclamées sur les zones AOP. Le comté, avec son système de plaques vertes délivrées par le CIGC, en fait des autorisations de production, résiste mais n'a jamais été autant fabriqué (58.000 tonnes) et stocké. Sa marge de progression est dans l'exportation. Quant aux autres fromages, morbier et mont-d'or, ils sont concurrencés par des contrefaçons, y compris dans la zone, par le lait supplémentaire, accusent leurs présidents, Claude Philippe et Michel Beuque.
Du coup, produire plus n'est synonyme de gagner plus que pour quelques très costauds, certainement de gagner moins pour la majorité des producteurs, analyse Claude Vermot-Desroches, président du CIGC.

Coop-Invest se réoriente

Comment convaincre les francs-tireurs de ne pas charger la barque commune dès 2015 au risque de la faire couler ? Personne n'a pour l'instant la solution, hormis célébrer les bienfaits de la coopération dont c'est justement l'année en 2012.
Pas facile de rester lucide quand le lait AOP n'a jamais été aussi bien payé. Selon l'enquête de la FDCL, la moyenne 2010 est de 446 euros les mille litres. Un record... Mais les arbres ne montent pas jusqu'au ciel.
En attendant, Coop-Invest, le fonds d'investissement créé il y a deux ans par la moitié des coops pour conserver un strapontin dans Juragruyère, la branche comté d'Entremont repris par Sodiaal, réoriente sa stratégie. Capable de mobiliser 2 millions d'euros, il entend pouvoir entrer au capital d'affineurs, soutenir les coopératives en difficulté, et « porter un projet collectif pour stabiliser la filière, y compris en lait de dégagement ». Autrement dit, le lait hors AOP, celui sur lequel va et vient la spéculation, celui dont le prix joue au yoyo...

 

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