La filière comté est vertueuse. Ce n'est pas elle qui le dit, mais une « étude de démarches de durabilité dans le domaine agro-alimentaire » réalisée par trois ONG : Greenpeace, WWF et le Bureau d’analyse sociétale pour une information citoyenne (BASIC). Cette étude a consisté à attribuer une note de « potentiel d'impact positif » à quinze démarches de qualité selon quatorze critères : sept environnementaux et sept socio-économiques (étude ici, résultats détaillés là).
Grâce à son cahier des charges précis et relativement contraignant, son organisation de filière basée largement sur un système coopératif très diversifié et bien réparti sur le massif jurassien, le comté s'en tire plutôt bien avec huit appréciations positives – cinq avec impact fort et trois avec impact bon – et seulement trois appréciations « impact faible ».
L'impact est fort pour les pratiques engagées contre la dégradation des sols et les inégalités socio-économiques, ou en faveur d'un niveau de vie décent, de la cohésion sociale ou de la santé humaine. L'impact est bon pour les actions en faveur du bien-être animal ou contre la pollution de l'air (hors gaz à effet de serre) et l'érosion de la biodiversité. L'impact est moyen pour les pratiques engagées contre la dégradation de la ressource en eau, l'insécurité alimentaire ou le dérèglement climatique (gaz à effet de serre. L'impact est faible sur les mauvaises conditions de travail et les atteintes au droit du travail, les pertes et le gaspillage, l'épuisement des ressources énergétiques et des matériaux.
Aussi bien, sinon mieux, que les labels bio
Mieux, la filière comté supporte parfaitement la comparaison avec la filière cantal, la seule autre appellation d'origine protégée de l'étude, qu'il supplante nettement, notamment en raison d'une moindre ambition environnementale, économique et sociale, de règles moins strictes et de la prégnance de l'agro-industrie qui caractérisent le fromage du Massif Central. Le comté se place aussi très bien par rapport aux quatre labels bio AB, Bio équitable en France, Demeter et Nature&Progrès.
Le fromage jurassien est également bien plus vertueux que les trois démarches partageant le socle basique de la certification environnementale que sont le label HVE (Haute valeur environnementale, option A) et les réseaux Agir confiance et Zéro résidu de pesticides. Aucune de ces trois orientations n'a d'impact fort ou bon. Quant aux autres filières testées (lait bleu-blanc-coeur, volaille de chair label rouge, porc label rouge, porc-volaille bleu-blanc-coeur, lait et jus de pomme C'est qui le patron, aucune n'a plus d'un ou deux impacts positifs.
Du coup, au tableau des médailles, le comté arrive en tête devant Bio équitable de France et Demeter. Sans fanfaronner, le président du CIGC, Alain Mathieu, se contente de souligner dans son édito de juillet que « l’AOP Comté [est] en tête au coude à coude avec les engagements du label Bio équitable en France ». Il ajoute modestement : « A grande reconnaissance s’imposent de grandes responsabilités », mais en tire la conclusion qu'il ne faut pas changer de cap : « nous considérons que la voie empruntée depuis 63 années de reconnaissance en appellation d’origine est bien celle qu’il nous faut continuer de tracer. »
Inédite proposition dans l’univers agricole : une limitation de la taille des fermes par l’instauration d’un plafond de production à 1,2 million de litres de lait
On le sait, la filière comté est en effet engagée dans une nouvelle révision de son cahier des charges. Après une intense réflexion menée depuis plusieurs années au sein des quelque 140 fromageries dont une centaine sous forme coopérative, ainsi que dans les instances du CIGC où sont également représentés les producteurs de lait, les affineurs, les crémiers ou encore les syndicats agricoles, une première mouture a été adoptée par le CIGC. Il s'agit d'une série de propositions de modifications ou d’évolutions de plusieurs critères du cahier des charges de l'AOP-AOC que doit maintenant examiner une commission d'enquête de l'INAO. Ses membres, des représentants d’autres AOP ont discuté avec le CIGC, mais ont aussi reçu les avis de plusieurs acteurs de la filière, notamment de producteurs impactés par les changements proposés.
Parmi ces changements, figure une mesure totalement inédite dans l’univers agricole : une limitation de la taille des fermes par l’instauration d’un plafond de production à 1,2 million de litres de lait sur les douze mois d’une campagne laitière, il concerne cinq exploitations. Ce plafond est complété par un maximum de vaches par travailleur actif sur la ferme : 50 bêtes pour le premier, 40 pour les autres. Enfin, chaque troupeau serait limité à une production moyenne de 8500 litres de lait par an et par vache.
Ces mesures sont jugées excessives par les plus gros producteurs et les plus libéraux. Elles sont aussi en-deça des propositions de la Confédération paysanne, qui porte depuis longtemps l’idée même d’une limitation de la taille des fermes. Minoritaire, elle défend depuis le début de la révision du cahier des charges des dispositions plus contraignantes, estimant que celles adoptées par le CIGC se sont alignées sur les fermes les plus productives plutôt que sur un niveau souhaitable. Du coup, pour contrebalancer le lobbying des gros producteurs auprès de la commission d’enquête de l’INAO, elle lui a envoyé un avis combinant le résumé de son argumentation avec ses appréciations positives ou critiques.
« Manque d’ambition sur les mesures structurelles qui seules permettraient de garantir un avenir durable et soutenable pour la filière, ses acteurs et son environnement »
La Confédération paysanne se félicite que « les négociations [au sein du CIGC] ont permis d’aboutir à plusieurs améliorations notables (…) allant dans le sens du cahier des charges initial qui stipule que ‘’les vaches sont nourries avec les plantes de la prairie’’. Il s’agit par exemple de « l’obligation d’atteinte du seuil de 200°C au printemps pour l’épandage du lisier. » Pour les non initiés, on additionne les températures positives quotidiennes jusqu’au jour où l’on atteint un total de 200°C. Ou encore de « l’augmentation de la superficie herbagère par vache » ou d’une « proportion minimum de 50 % de la surface fourragère en prairie permanente ».
Mais le syndicat trouve que l’on a « manqué d’ambition sur les mesures structurelles qui seules permettraient de garantir un avenir durable et soutenable pour la filière, ses acteurs et son environnement. Autrement dit limiter l’intensification et garder une répartition de fermes et fruitières sur toute la zone. »
Une révision théoriquement compatible avec un modèle intensif
C’est pourquoi elle revient à la charge sur son idée de limiter « réellement » la taille des fermes avec un plafond à 800.000 litres de lait par an. Elle considère aussi que limiter à 50 le nombre de vaches par travailleur actif « n’est pas vraiment une limitation », car combinée à 8500 litres par vache, cela peut donner 425.000 litres de lait par actif. La Conf’ se veut « plus raisonnable » en limitant la production de chaque troupeau à une moyenne de 6500 litres.
Elle insiste sur ce point et craint que le « plafond risque de devenir un objectif ». Le nouveau règlement n’empêcherait pas à un couple d’avoir 90 vaches à 8500 litres et de produire 765.000 litres ! « Un tel modèle oblige à recourir aux artifices de tous ordres : mécanisation et automatisation des tâches, maximum de concentrés ce qui représente 30 % de la ration annuelle, produits phytosanitaires dans les cultures par manque de temps, etc. »
La Confédération paysanne demande aussi l’interdiction du maïs dans l’affouragement en vert, notamment parce que sa culture « peut entraîner une érosion des sols nus l’hiver, le lessivage de l’azote et l’utilisation de pesticides », parce qu’il est « synonyme d’intensification pour les consommateurs » et « pour la qualité du fromage : une généralisation du maïs en vert peut engendrer une modification des qualités organoleptiques au niveau des arômes... » Dans la même logique, le syndicat se réjouit de l’interdiction du glyphosate sur les prairies, mais demande l’extension de cette interdiction aux céréales cultivées sur les fermes de la filière.